EPISTRE 7
À Monsieur Racine.
Que tu sçais bien, Racine, à l' aide d' un acteur
Émouvoir, étonner, ravir un spectateur!
Jamais Iphigenie en Aulide immolée,
N' a cousté tant de pleurs à la Grece assemblée,
Que dans l' heureux spectacle à nos yeux étalé,
En a fait sous son nom verser la chanmeslé.
Ne croy pas toutefois, par tes sçavans ouvrages
Entraînant tous les coeurs gagner tous les suffrages.
Si-tost que d' Apollon un genie inspiré
Trouve loin du vulgaire un chemin ignoré,
En cent lieux contre luy les cabales s' amassent,
Ses rivaux obscurcis autour de luy croassent,
Et son trop de lumiere importunant les yeux,
De ses propres amis luy fait des envieux.
La mort seule icy bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l' injustice et l' envie,
Faire au poids du bon sens pezer tous ses écrits,
Et donner à ses vers leur legitime prix.
Avant qu' un peu de terre, obtenu par priere,
Pour jamais sous la tombe eust enfermé Moliere,
Mille de ces beaux traits aujourd' huy si vantez,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L' ignorance et l' erreur à ses naissantes pieces,
En habit de marquis, en robbes de comtesses,
Venoient pour diffamer son chef-d' oeuvre nouveau,
Et secouoient la teste à l' endroit le plus beau.
Le commandeur vouloit la scene plus exacte,
Le vicomte indigné sortoit au second acte.
L' un deffenseur zelé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnoit au feu.
L' autre fougueux marquis, luy declarant la guerre,
Vouloit vanger la cour immolée au parterre.
Mais si-tost que, d' un trait de ses fatales mains,
La parque l' eust rayé du nombre des humains,
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L' aimable comedie avec luy terrassée
Envain d' un coup si rude espera revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.
Toy donc, qui t' élevant sur la scene tragique,
Suis les pas de Sophocle, et seul de tant d' esprits
De Corneille vieilli sçais consoler Paris,
Cesse de t' étonner, si l' envie animée,
Attachant à ton nom sa roüille envenimée,
La calomnie en main, quelquefois te poursuit.
En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse.
Le merite en repos s' endort dans la paresse:
Mais par les envieux un genie excité
Au comble de son art est mille fois monté.
Plus on veut l' affoiblir, plus il croist et s' élance.
Au Cid persecuté Cinna doit sa naissance,
Et peut-estre ta plume aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.
Moy-mesme, dont la gloire icy moins répanduë
Des pasles envieus ne blesse point la vûë,
Mais qu' une humeur trop libre, un esprit peu soûmis
De bonne heure a pourvû d' utiles ennemis:
Je dois plus à leur haine, il faut que je l' avouë,
Qu' au foible et vain talent dont la France me louë.
Leur venin qui sur moy brûle de s' épancher,
Tous les jours en marchant m' empêche de broncher.
Je songe, à chaque trait que ma plume hazarde,
Que d' un oeil dangereux leur troupe me regarde.
Je sçai sur leurs avis corriger mes erreurs,
Et je mets à profit leurs malignes fureurs.
Si-tost que sur un vice ils pensent me confondre,
C' est en me guérissant que je sçais leur repondre:
Et plus en criminel ils pensent m' ériger,
Plus croissant en vertu je songe à me vanger.
Imite mon exemple; et lors qu' une cabale,
Un flot de vains auteurs follement te ravale;
Proffite de leur haine, et de leur mauvais sens:
Ris du bruit passager de leurs cris impuissans.
Que peut contre tes vers une ignorance vaine?
Le Parnasse françois annobli par ta veine,
Contre tous ces complots sçaura te maintenir,
Et soulever pour toy l' équitable avenir.
Et qui voyant un jour la douleur vertueuse
De Phèdre malgré soy perfide, incestueuse,
D' un si noble travail justement étonné,
Ne benira d' abord le siecle fortuné,
Qui rendu plus fameux par tes illustres veilles,
Vit naître sous ta main ces pompeuses merveilles?
Cependant laisse ici gronder quelques censeurs,
Qu' aigrissent de tes vers les charmantes douceurs.
Et qu' importe à nos vers que Perrin les admire?
Que l' auteur du Jonas s' empresse pour les lire?
Qu' ils charment de Senlis le poète idiot,
Ou le sec traducteur du françois d' Amyot:
Pourvû qu' avec éclat leurs rimes débitées,
Soient du peuple, des grands, des provinces goûtées;
Pourvû qu' ils sçachent plaire au plus puissant des rois;
Qu' à Chantilli Condé les souffre quelquefois:
Qu' Enguien en soit touché, que Colbert et Vivone,
Que la Rochefoucaut, Marsillac et Pompone,
Et mille autres qu' icy je ne puis faire entrer,
À leurs traits délicats se laissent pénetrer.
Et plût au ciel encor, pour couronner l' ouvrage,
Que Montausier voulust leur donner son suffrage.
C' est à de tels lecteurs que j' offre mes écrits.
Mais pour un tas grossier de frivoles esprits,
Admirateurs zelez de toute oeuvre insipide,
Que non loin de la place où Brioché préside,
Sans chercher dans les vers ni cadence ni son,
Il s' en aille admirer le sçavoir de Pradon.