PLUME DE POÉSIES
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 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 10

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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 10 Empty
MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 10   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 10 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:14

EPISTRE 10



À mes vers.
J' ai beau vous arrester, ma remontrance est vaine;
Allés, partés, mes vers, dernier fruit de ma veine;
C' est trop languir chés moi dans un obscur séjour.
La prison vous déplaist, vous cherchés le grand jour;
Et déja chés Barbin, ambitieux libelles,
Vous brûlez d' etaler vos feüilles criminelles.
Vains et foibles enfans de ma vieillesse nés,
Vous croyés sur les pas de vos heureux aisnés,
Voir bien-tost vos bons mots passant du peuple aux princes,
Charmer également la ville et les provinces,
Et par le prompt effet d' un sel réjoüissant


Devenir quelquefois proverbes en naissant.
Mais perdés cette erreur dont l' appas vous amorce.
Le temps n' est plus, mes vers, où ma muse en sa force
Du parnasse françois formant les nouriçons,
De si riches couleurs habilloit ses leçons:
Quand mon esprit poussé d' un courroux legitime
Vint devant la raison plaider contre la rime,
À tout le genre humain sceût faire le procez,
Et s' attaqua soy-mesme avec tant de succez.
Alors, il n' estoit point de lecteur si sauvage
Qui ne se déridast en lisant mon ouvrage,
Et qui, pour s' égayer, souvent dans ses discours,
D' un mot pris en mes vers n' empruntast le secours.
Mais aujourd' hui qu' enfin la vieillesse venuë,
Sous mes faux cheveux blonds déja toute chenuë,
A jetté sur ma teste, avec ses doigts pezans,
Onze lustres complets surchargés de trois ans,


Cessés de présumer, dans vos folles pensées,
Mes vers, de voir en foule à vos rimes glacées
Courir, l' argent en main, les lecteurs empressés.
Nos beaux jours sont finis, nos honneurs sont passés.
Dans peu vous allés voir vos froides resveries
Du public exciter les justes moqueries,
Et leur auteur jadis à Regnier preféré,
À Pynchesne, à Liniere, à Perrin comparé.


Vous aurés beau crier, ô vieillesse ennemie!
N' a-t-il donc tant vescu que pour cette infamie?
Vous n' entendrez par tout qu' injurieux brocards
Et sur vous, et sur luy fondre de toutes parts.
Que veut-il? Dira-t-on. Quelle fougue indiscrette
Ramene sur les rangs encor ce vain athlète?
Quels pitoyables vers! Quel stile languissant!
Malheureux, laisse en paix ton cheval vieillissant:
De peur que tout à coup efflanqué, sans haleine,
Il ne laisse en tombant son maistre sur l' arene.
Ainsi s' expliqueront nos censeurs sourcilleux:
Et bien-tost vous verrés mille auteurs pointilleux
Piece à piece épluchant vos sons et vos paroles,
Interdire chez vous l' entrée aux hyperboles,
Traiter tout noble mot de terme hazardeux,
Et dans tous vos discours, comme monstres hideux,
Hüer la metaphore, et la metonymie,
(grands mots que Pradon croit des termes de chymie: )


Vous soûtenir qu' un lict ne peut estre effronté;
Que nommer la luxure est une impureté.
Envain contre ce flot d' aversion publique,
Vous tiendrez quelque temps ferme sur la boutique:
Vous irez à la fin honteusement exclus
Trouver au magasin Pyrâme et Regulus,
Ou couvrir chez Thierry d' une feüille encor neuve
Les meditations de Buzée et d' Hayneuve,
Puis, en tristes lambeaux semez dans les marchez,
Souffrir tous les affronts au Jonas reprochez.
Mais quoy, de ces discours bravant la vaine attaque,
Déja comme les vers de Cinna, d' Andromaque,
Vous croyez à grands pas chez la postérité
Courir marquez au coin de l' immortalité.
Hé bien, contentez donc l' orgueil qui vous enyvre.
Montrez-vous, j' y consens: mais du moins dans mon livre
Commencez par vous joindre à mes premiers ecrits.
C' est là qu' à la faveur de vos freres cheris
Peut-estre enfin soufferts comme enfans de ma plume,
Vous pourrez vous sauver épars dans le volume.


Que si mesmes un jour le lecteur gracieux,
Amorcé par mon nom sur vous tourne les yeux;
Pour m' en recompenser, mes vers, avec usure,
De vostre auteur alors faites-luy la peinture:
Et sur tout, prenez soin d' effacer bien les traits
Dont tant de peintres faux ont flétri mes portraits.
Déposez hardiment, qu' au fond cet homme horrible,
Ce censeur, qu' ils ont peint si noir, et si terrible,
Fut un esprit doux, simple, ami de l' équité,
Qui cherchant dans ses vers la seule verité,
Fit sans estre malin ses plus grandes malices,
Et qu' enfin sa candeur seule a fait tous ses vices.
Dites, que harcelé par les plus vils rimeurs
Jamais, blessant leurs vers, il n' effleura leurs moeurs:
Libre dans ses discours, mais pourtant toûjours sage,
Assez foible de corps, assez doux de visage,
Ni petit, ni trop grand, très peu voluptueux,
Ami de la vertu plutost que vertueux.
Que si quelqu' un, mes vers, alors vous importune,
Pour sçavoir mes parens, ma vie et ma fortune;
Contez-luy, qu' allié d' assez hauts magistrats,


Fils d' un pere greffier, né d' ayeux avocats,
Dès le berceau perdant une fort jeune mere,
Réduit seize ans après à pleurer mon vieux pere,
J' allay d' un pas hardi, par moi-mesme guidé,
Et de mon seul genie en marchant secondé,
Studieux amateur, et de Perse, et d' Horace,
Assez près de Regnier m' asseoir sur le parnasse;
Que par un coup du sort au grand jour amené,
Et des bords du Permesse à la cour entraîné,
Je sçeûs, prenant l' essor par des routes nouvelles,
Eslever assez haut mes poëtiques ailes;
Que ce roy dont le nom fait trembler tant de rois
Voulut bien que ma main crayonnast ses exploits;
Que plus d' un grand m' aima jusques à la tendresse;
Que ma veuë à Colbert inspiroit l' allegresse;


Qu' aujourd' huy mesme encor de deux sens affoibli,
Retiré de la cour, et non mis en oubli;
Plus d' un heros épris des fruits de mon étude
Vient quelquefois chez moy goûter la solitude.
Mais des heureux regards de mon astre étonnant
Marquez bien cet effet encor plus surprenant,
Qui dans mon souvenir aura toûjours sa place:
Que, de tant d' escrivains de l' ecole d' Ignace,
Éstant, comme je suis, ami si declaré,
Ce docteur toutefois si craint, si reveré,
Qui contre eux de sa plume épuisa l' énergie,
Arnauld le grand Arnauld fit mon apologie.
Sur mon tombeau futur, mes vers, pour l' énoncer,
Courez en lettres d' or de ce pas vous placer.
Allez jusqu' où l' aurore en naissant void l' Hydaspe,
Chercher, pour l' y graver, le plus précieux jaspe.
Sur tout à mes rivaux sçachez bien l' étaler.


Mais, je vous retiens trop. C' est assez vous parler.
Déja plein du beau feu qui pour vous le transporte,
Barbin impatient chez moi frappe à la porte.
Il vient pour vous chercher. C' est luy: j' entens sa voix.
Adieu, mes vers, adieu pour la derniere fois.
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Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 10
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