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 Charles Bordes. (1711-1781) CHANT I

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Charles Bordes. (1711-1781) CHANT I Empty
MessageSujet: Charles Bordes. (1711-1781) CHANT I   Charles Bordes. (1711-1781) CHANT I Icon_minitimeMer 14 Mar - 23:44

CHANT I
D'autres pourront chanter le Labarum,
Le bouclier de l'Amant d'Egérie,
Ou l'Oriflamme, ou le Palladium,
Ou des Rhémois l'Ampoule si chérie,
Présents sacrés, tous descendus des Cieux,
Des Rois dévots merveilleuses étrennes:
Je veux chanter un don plus précieux.
Ce bijou-ci plairoit beaucoup aux Reines;
Il est céleste, unique, plein d'attraits:
Mais par malheur, sur les traces d'Astrée,
Il remonta là-haut dans l'Empirée;
Le Ciel jaloux a repris ses bienfaits.

Tendre Vénus, & vous Minerve même,
Guidez mes chants, inspirez tous mes Vers;
Vous m'aiderez à charmer l'univers;
Et mon Héros, par sa beauté suprême,
Tiendra sur lui vos yeux toujours ouverts.

Grace à ma muse, Emule de Virgile,
J'ai fait l'exorde; & c'est beaucoup, dit-on;
Parler des Dieux, n'est pas chose facile:
Or sus, ma lyre, il faut baisser d'un ton.

Jadis vivoit dans les murs de Florence
Un beau Galant, d'une haute naissance,
Nommé Rodric; hélas! trop généreux.
Car de la Blonde allant droit à la Brune,
En beaux festins, cadeaux, plaisirs & jeux,
Il eut bientôt dissipé sa fortune.
Que devenir en cette extrêmité?
Sage il devint, grace à l'adversité.
Fuyant sa honte, et cachant sa misere,
L'infortuné, d'un peu d'argent comptant
Qui lui restoit, achete une chaumiere,
Et tout auprès un petit bout de champ.
Là, tout pensif, sans valets ni servantes,
Il travailloit, ayant parmi ces foins
Un peu d'humeur: on en auroit à moins.

L'aurore ouvroit ses portes éclatantes,
Quand tout-à-coup un beau jeune Garçon
Vint l'aborder, & lui dit sans façon:
«Holà, l'ami, dis-moi ce que tu plantes?»
Rodric, peu fait à ces tons élevés,
Lui répondit: «c'est ce que vous savez.»
Jeunes Beautés, ce ne sont pas ses termes:
Il se servit de mots un peu plus fermes,
Disant tout haut les choses par leur nom,
Que je tairai, si vous le trouvez bon.
Vous connoissez cette plante si belle;
De vos beaux yeux un doux regard suffit,
Un seul regard, c'est le soleil pour elle,
Mais reprenons le fil de mon récit.

Lorsque Rodric, ayant martel en tête,
Eut proféré ce discours malhonnête,
Le beau Garçon froidement déclara:
«Vous en plantez, eh bien, il en viendra.»
Soudain il fuit comme une ombre légere,
Et de son pied touche à peine la terre.

Rodric alors resta pétrifié,
Lui qui parloit en tout temps comme un livre:
Avoir ainsi manqué de savoir-vivre,
Brutalement avoir congédié,
O Ciel! & qui?... c'est un Ange... sans doute,
C'est Gabriël, de la céleste voûte
Exprès pour lui descendu par pitié.
Un tel soupçon n'a rien de fort étrange.
Durant le cours de ses plaisirs mondains.
Toujours Rodric honora ce bel Ange,
Beau messager du Maître des destins.
Car à Florence on brûle plus de cierges
Aux Chérubins, qu'aux onze mille Vierges;
Informez-vous, chacun vous le dira.
Mais quel remords, & quelle étourderie!
Comme il gémit & se désespéra!
Si de l'effet la menace est suivie,
Plus de ressource; & comment se nourrir:
Pauvre Rodric, tu n'as plus qu'à mourir.

L'astre du jour, durant cette élégie,
De ses rayons prodiguant les bienfaits,
Lançoit par-tout la chaleur & la vie:
Soir & matin Rodric est aux aguets.
Finalement, ô douleurs! ô regrets!
Le fruit fatal s'élevant sur la terre,
Nouvel OEdipe, est vainqueur de sa mere.
Fille qui trouve un serpent sous ses pieds
En folâtrant sur la verte prairie,
De plus d'effroi ne peut être saisie.
Point de pécheurs qui ne soient châtiés.
Rodric puni se signe, s'agenouille,
De pleurs amers son visage se mouille:
Ecoutez bien, mes vers sont un sermon.

Le Gabriël est né plaisant, mais bon;
Il pardonna. Les aîles étendues,
Je l'apperçois, qui, d'un air triomphant,
Paré de pourpre & porté sur des nues,
Dit à Rodric: «Calme-toi, mon enfant;
Tu viens de voir un singulier prodige,
Mais ce n'est rien: prend la plus belle tige:
Dans un panier alors tu la mettras;
Cours à la Ville, & là tu la vendras
Cent mille écus; c'est le prix, & pour cause;
Car aussi-tôt que l'on verra la chose,
Femme ni fille, à tous ne manquera
De s'étonner, & de crier AH! AH!
Or, dans l'instant la divine merveille,
Chez celle-là qui poussera ce cri,
S'introduira, mais non pas par l'oreille;
Et là sans cesse, un doux charivari
Excitera volupté sans pareille,
Si l'on ne dit ce mot, PARAPILLA.
Adieu, Rodric; retiens bien tout cela.»
L'Ange s'envole, & Rodric s'humilie.

Il s'en va donc cueillir le fruit de vie,
Bien proprement le place en un panier,
D'un tas de fleurs lui fait un oreiller,
Le tout couvert de belle mousseline:
Le Pain béni n'a pas meilleure mine.
Quant au surplus des fruits de ce jardin,
Vous le dirai-je? il disparut soudain.

Le cher Rodric cependant s'achemine;
Il va bientôt revoir ces lieux chéris,
Temple des Arts, enfants des Médicis.
Tout s'embellit sous leurs mains souveraines;
Nobles Tyrans, & modeles des Rois,
Les Muses même avoient dicté leurs loix,
Et leur Palais est l'asyle d'Athenes.
Avec transport Rodric hâta ses pas;
Et le voilà, criant sa marchandise,
Et par son nom, de crainte de méprise,
Sans quoi les gens ne devineroient pas.
Car lisez bien Fable, Roman, Histoire,
Interrogez Sorciers & Loup-garoux,
Point ne verrez que jamais à la foire
On ait vendu de semblables bijoux.
Contes en l'air, me diront cent critiques;
Tant pis pour eux: c'est un homme de bien
Qui nous transmit tous ces faits authentiques;
Si l'on en doute, on ne croira plus rien.
Gens indévots, grands faiseurs d'Epigrammes,
Exercez-vous, j'en prends peu de souci;
Moi, je suis simple, & c'est aux bonnes ames
Que je veux plaire en écrivant ceci.
Or, préparez vos yeux & vos oreilles.
O Gabriël! que ton bras est puissant!
Vous allez voir d'étonnantes merveilles
Mais laissez-moi respirer un moment.
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Charles Bordes. (1711-1781) CHANT I
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