PLUME DE POÉSIES
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 Charles Bordes. (1711-1781) CHANT V

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Charles Bordes. (1711-1781) CHANT V Empty
MessageSujet: Charles Bordes. (1711-1781) CHANT V   Charles Bordes. (1711-1781) CHANT V Icon_minitimeMer 14 Mar - 23:46

CHANT V
Quelques Lecteurs pourront trouver étrange
Qu'interrompant de si nobles travaux,
Une Soubrette occupe mon Héros.
Mais ce Poëme est dicté par un Ange:
Aux yeux du Ciel le chêne, le roseau,
Le grain de sable, & le plus beau joyau,
Tout est égal. Les charmes, la tendresse
Sont-ils un don de la seule richesse?
Oh! qu'il est doux par fois de déroger!
Plus d'un Héros est devenu berger,
Et plus d'un Duc en conte à la suivante.

Notre Marton étoit fort avenante;
Gens du bel air lui conviendroient beaucoup.
Mais dans le deuil de la Dame prudente,
Nul n'est reçu: dès qu'elle eut fait son coup,
Droit au logis retourne la Donzelle.
Genoux serrés, tremblant que son captif
Ne fût tenté de prendre congé d'elle,
Et ne lui fît un affront positif.

Tel un filou qui, d'une main adroite,
Vient de voler un bijou précieux,
Cachant son trouble, observe à gauche, à droite,
L'air affairé, redoutant tous les yeux:
Ainsi Marton a regagné sa porte.
Dans son réduit, toute seule au retour,
Sachons comment la Belle se comporte;
Vous y verrez tout ce que peut l'Amour.

Souvenez-vous qu'à la premiere vue
Le noble objet eut son affection;
Depuis ce jour, c'est une passion
Que le dépit & l'absence ont accrue.
Amour alors devient un autre Mars.
Notre Héros courut bien des hasards.
Si du destin la main toute-puissante
Avoit permis qu'il pût être vaincu,
Marton, sans doute, eut été triomphante,
Mais vous savez qu'il ne l'a pas voulu.
Bientôt Marton à sa douce Maîtresse,
Avec usure, a rendu tous ses torts.
Seule à son tour en proie à ses transports,
De six laquais l'importune tendresse
Gémit en vain; la Belle & ses appas
Ne se font voir qu'aux heures du repas;
Et lorsqu'il faut paroître à sa toilette,
Deux tours de main, voilà l'affaire faite.

La Capponi trouva qu'on lui manquoit,
Et le congé lui fut donné tout net.
Sans balancer, Marton & compagnie
L'ont accepté. Tous deux incognito,
Ne se lassant de leur charmant duo,
Vont occuper une chambre garnie,
Ne voyant qu'eux dans ce vaste Univers,
Et fort contents d'avoir brisé leurs fers.

Amour! Amour! quelle est ton imprudence!
Diane même a senti ta puissance:
Combien de soins pour son Endymion!
Combien l'Aurore a gémi pour Tithon!
Et qu'à Vénus tes malheurs & tes charmes,
Bel Adonis, ont fait verser de larmes!
Mais sans chercher des exemples si beaux,
Que de Laïs jadis si bien payées
Par des Prélats, par des Chefs de Bureaux;
Dans un grenier maintenant oubliées,
Ont tout perdu pour des Godelureaux!

Marton, sans doute, a fait une folie;
La pauvre enfant, son fonds est bien petit:
Ce fier régime augmente l'appétit;
Sa bourse fut bientôt à l'agonie.
Elle pleura, s'arracha les cheveux.
Voyez gémir l'imprudente fillette!
Son coeur poussé par de contraires voeux
Est devenu la frêle girouette,
Triste jouet des vents tumultueux.
Que faire enfin? Les extrêmes se touchent;
La faim, la soif tellement l'effarouchent:
Allons, dit-elle, & sans plus différer...
Mais perdre, hélas! de si douces caresses!
Et quel moyen de consoler mes sens,
De remplacer d'éternelles tendresses!
Hé bien, j'aurai, s'il le faut, dix Amants!
Les grands malheurs font les grands sentiments.

Fort à propos dans la maison voisine,
Lucrece alors, avec trente valets,
En grand fracas vint loger ses attraits.
Manon va voir cette beauté divine.
Entr'elles deux le marché se conclut,
Argent comptant, sans biller ni cédule:
Elle en obtint le prix qu'elle voulut;
Et soyez sûr qu'avec un grand scrupule,
Incessamment son voeu fut acquitté.
Mais que l'on doit d'estime à cette Belle,
Qui veut orner de cette rareté
Son cabinet d'Histoire naturelle!
Qu'elle a de goût & de sagacité!
Or, apprenez que c'est une Princesse,
Fille du Pape, & de plus, sa Maîtresse.

Alors siégeoit le fameux Borgia,
Du doux Jesus terrible Grand-Vicaire,
Haï de Rome & chéri dans Cythere;
Comme l'on sait, chantant _Alleluia_,
Et célébrant, plus souvent que la Messe,
Le cas joyeux dans les bras de Lucrece.
Nul n'a jamais violé celle-ci;
A Tarquin même elle eût dit, grand merci.

Nous avons vu comme quoi dans Florence
Elle acheta, sans plaindre la dépense,
Le don sacré: puis elle s'en revint
Au Vatican trouver le Pere Saint.
Le beau bijou ne quittoit sa ceinture;
Il l'amusa beaucoup dans la voiture,
Toujours charmant, & par monts & par vaux.
Si vous savez tant soit peu de physique;
Fort aisément ce mystere s'explique,
Elle pâmoit presqu'à tous les cahots.
La carossée étoit toute en allarmes.
Hélas! bon Dieu! dit sa Dame d'honneur,
Vous plairoit-il ce flacon d'eau des Carmes?
Depuis quand donc avez-vous tant de peur?
AH! disoit l'autre, elle va jusqu'au coeur.

Mais quoi? déjà le toît du Capitole,
Et des Chrétiens l'auguste Métropole,
Frappe les yeux: non telle qu'aujourd'hui,
Où d'Agrippa la fameuse rotonde,
Sur les desseins du fier Buonarotti,
S'éleve aux Cieux pour commander au monde;
Mais telle encor que le grand Constantin
L'avoit jadis par ses mains consacrée,
Humble au-dehors, & bien plus révérée
Avant le temps de Luther & Calvin.
Oh! qu'ici-bas les destins sont bisarres!
Tout change en mal sur ce globe maudit:
Rome autrefois redoutoit les Barbares,
Ses Attilas ce sont les gens d'esprit.
Mais des enfers que peut la folle rage?

LA Voyageuse enfin rentre au Palais,
Le cher objet toujours serré de près.
Bon jour, ma fille, as-tu fait bon voyage?
Et fourrageant déjà tous ses attraits,
D'une main libre... Alte-là, dit Lucrece:
Mon très-cher pere, & mon très-cher amant,
Vous que mon coeur doit chérir doublement,
Votre santé, c'est ce qui m'intéresse.
Vous pouvez tout, & mieux que Jupiter
Savez lancer & la foudre & l'éclair.
En fait d'amour il n'en est pas tout comme:
Vous le savez, ailleurs qu'_in Cathedrâ_,
Je vous ai vu sujet à l'_Errata_:
Le Dieu du monde est souvent moins qu'un homme,
Pour m'épargner tout fâcheux accident,
Saint Gabriël m'a fait un beau présent.
Malgré l'Eglise, en dépit de la Bible,
Pour cette fois j'ai trouvé l'infaillible.
Voyez plutôt: ce n'est pas tout encor,
Ajouta-t-elle avec un air novice;
Quand je permets qu'il prenne un peu l'essor,
Vous allez voir comme il fait l'exercice.

Incontinent le Lutin mis en jeu,
Part, s'élançant comme d'une soupape,
Et va brider le nez du Pere en Dieu.
Imaginez l'effroi du vieux Satrape
A cet aspect subit, inattendu.
Dans sa fureur il poursuit l'anti-Pape;
Mais à son poste un soupir l'a rendu.
Plus d'une fois on répéta la chose.
Tel qu'un volant qui jamais ne repose,
L'oiseau léger partoit & retournoit.
Le Saint Prélat couroit, & entonnoit:
«Au nom du Ciel, de la Vierge Marie,
Démon, fuyez, je vous excommunie;»
Le pourchassant, alongeant ses deux doigts,
Faisant sur lui de grands signes de croix,
Le tout en vain: & s'il court à Lucrece,
Déjà l'intrus l'a gagné de vîtesse.
La folle éclate, & l'orgueilleux rival
Demeure ferme au lieu Pontifical.

Notre Alexandre étoit non moins colere
Que celui-là qui prit Persépolis.
«Je n'ai donc plus les clefs du Paradis!»
Et tout de suite il écrit à Saint Pierre,
Jurant de mettre & le Ciel & la Terre
En interdit, si justice on ne rend
Brieve & prompte, & sur-tout accusant
Le Gabriël d'être un mauvais plaisant.

Ce fut au Ciel une rumeur du diable:
Saintes & Saints tout s'assemble, tout court.
L'Ange a beau jeu pour ne pas rester court;
Il s'en explique, & d'un art admirable,
Il détailla les vices du vaurien:
Puis persifflant le Pape & sa pantouffle
Qu'il fait baiser, le traite de maroufle.
A tout cela, Pierre dit: «J'en conviens;
Je n'eus jamais cet orgueil peu chrétien:
Pourtant là-bas il occupe ma place;
Pour ce brigand, je vous demande grace.
Le tout s'appaise, & tout s'arrange au mieux.»

Mais Gabriël, par une bonne clause,
Pour son client obtint l'apothéose.
Le beau Phénix, transporté dans les Cieux,
Devint le page & l'amant des Cometes.
Chacun d'ici peut le voir sans lunettes.

O Gabriël! si je t'ai mal chanté,
J'espere, au moins, que dans la Chrétienté,
Ce foible écrit te vaudra quelqu'antienne.
Jeunes Beautés, faites-lui la neuvaine;
Aux cas urgents, dites PARAPILLA,
Mais, sans y joindre aucune force humaine:
Et vous verrez combien il est bon-là.



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