PLUME DE POÉSIES
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 Charles Bordes. (1711-1781) CHANT II

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MessageSujet: Charles Bordes. (1711-1781) CHANT II   Charles Bordes. (1711-1781) CHANT II Icon_minitimeMer 14 Mar - 23:45


CHANT II
Fille du Ciel, douce Philosophie,
Combien de foux abusant de ton nom,
Et des François corrompant le génie,
Ont, en Mégere, affublé la raison!
Timon se leve, & dit d'un ton sublime:
Meurent les Arts, & périssent l'esprit!
L'homme est charmant sitôt qu'il s'abrutit;
Et tous les sots reçoivent pour maxime,
Qu'il est grand jour aussi-tôt qu'il fait nuit.
Ainsi bravant la sagesse éternelle
Qui nous traça les routes du bonheur,
L'homme insensé se croit plus sage qu'elle.
Eh! qu'a produit cette sombre fureur?
Triste & farouche on dédaigne la vie,
Le Suicide a souillé ma patrie;
De noirs forfaits remplacent le plaisir:
On trembleroit de caresser les graces,
Le fanatisme est errant sur nos traces,
La gaieté suit, & je cours la saisir.

A l'heure même étoit à sa toilette
Bien tristement Madame Capponi,
Très-mal nommée, & les aimant, nenni;
Au demeurant riche, belle, discrete,
Pleurant encor la mort de son mari,
Et du veuvage assez mal satisfaite.

Le Crieur passe, & certain son qui plaît.
Frappe la Dame, & la trompe peut-être.
Marton, dit-elle, allez à la fenêtre,
Ecoutez bien, & sachez ce que c'est.
Marton bientôt revient toute troublée;
Le croirez-vous! ah! Madame, écoutez!
C'est un Marchand,... je suis émerveillée.--
Mais que vend-il?--Ce que vous regrettez.
La Dame dit: faites venir cet homme.--
Quoi! l'appeller!... la chose vous surprend?
Tenez pour sûr qu'à Paris ou dans Rome
Toute autre qu'elle en auroit fait autant;
Et telle ici qui fait la précieuse,
A son Marchand, qu'elle voit chaque jour;
Le Roi, la Reine, avec toute la Cour,
N'ont-ils pas vu la piece curieuse?
Or, c'est le cas, ou jamais il n'en fut.

Le Marchand dont à l'instant comparut;
Bien humblement il fit sa révérence,
Ote le voile, & le tout se passa
Comme à Rodric Gabriël l'annonça.
Figurez-vous en pareille occurrence
L'émotion & le saisissement
D'une Beauté qui se voit envahie,
Et sans respect ainsi prise à partie.
Et néanmoins le premier mouvement,
Si naturel, fut de se laisser faire,
Se résignant, soupirant de grand coeur,
Et des deux mains, par excès de pudeur,
Cachant ses yeux. Le second tout contraire
Fut d'écarter, hélas! le téméraire:
Mais vains efforts & nouvel embarras;
Elle le veut, elle ne le peut pas.--
Mon cher Monsieur, voulez-vous que je meure!
Je ne puis plus endurer ce méchant...
Ah! par pitié, délivrez-moi sur l'heure.--
Très-volontiers. Prononcez seulement
PARAPILLA.--Fî donc, c'est du grimoire,
Vous me trompez.--Non; vous pouvez m'en croire,
Le terme est neuf... propre à la chose.--Mais!
Elle frémit, & ne dira jamais
Ce vilain mot. La charmante hypocrite
Gagnoit ainsi du temps & du plaisir,
Et ce ne fut qu'avec un grand soupir
Qu'elle lâcha la parole susdite.
L'esprit malin a déjà pris la fuite.
Parmi les fleurs prompt à se recueillir,
On le prendroit pour un Saint dans sa niche.
AH! reprit-elle, avec un air confus,
Et le voilà dans l'instant qui déniche
Pour se nicher tout comme ci-dessus.
Que ne peut point un procédé si tendre!
Le cher ami déjà ressuscité,
PARAPILLA se fait long-temps attendre.
Le phénomene est vingt fois répété;
Précaution que prend toujours le Sage,
S'il veut à fond savoir la vérité.
Je n'en dirai sur cela davantage,
J'en ai trop dit, peut-être; mais enfin
Vous connoissez ce pauvre genre humain:
Pour peu qu'un fait soit hors de leur portée
Un grave sot, une tête éventée
Vous traitera de menteur, ou de fou,
Si l'on ne dit comment, pourquoi, par où.

Pour terminer, la Dame bien instruite,
Bien exercée, acheta le bijou,
Sans marchander sur la valeur prescrite.
Le bon Rodric eut les cent mille écus.
C'étoit alors une assez forte somme,
Qui suffisoit pour vivre en honnête homme.
Il est heureux; que voulez-vous de plus?
Mais il nous reste un trésor bien plus rare!
Que devint-il? tout vous sera conté.

Jamais trésor ne fut par un avare
Gardé si bien, si souvent visité:
Il est caché au fond d'une cassette,
A double clef, & fermante à secret:
Même Marton, confidente discrete,
Ne le vit plus, quoiqu'à son grand regret.
La Dame, hélas! toujours se séquestroit;
Dirai-je seule, ou bien en tête-à-tête?
Ne se lassant d'éprouver sa conquête,
Examinant cette propriété,
D'aller, venir toujours à volonté;
Rare talent & vertu souveraine,
Que n'eut jamais pour Princesse ou pour Reine
Aucun Amant, tant soumis ait été.
Ainsi passa le cours d'une semaine
Comme un instant: la Dame en tout ceci
Ne regrettoit au monde ame qui vive;
Plus de visite active, ni passive:
Tout le quartier étoit fort en souci.
C'est une énigme; est-elle folle, ou morte?
Chacun raisonne, & chacun dit son mot.
Force valets vont sans cesse à la porte:
Or, convenez que le monde est bien sot.

La belle Veuve eut une soeur Abbesse,
Que tous les jours, avant ce cas pressant,
Elle alloit voir par excès de tendresse.
De la Nonnain peignez-vous la détresse!
Huit mortels jours ont duré comme cent.
Chaque matin un billet de reproche,
De désespoir; son trépas est si proche,
Que notre Belle à la fin se résout,
Vole au parloir: la scene fut touchante:
La Dame foible, & la Nonne exigeante;
De point en point on lui raconta tout.
Peut-on mentir, hélas! à ce qu'on aime!
Oserez-vous cacher votre bonheur,
A qui le doit sentir comme vous-même?
L'Abbesse avoit un grand fond de pudeur;
Elle frémit des péchés de sa soeur,
Et d'autant plus que l'outil diabolique
Fut sûrement formé par art magique,
Oh! non, dit l'autre; il est venu du Ciel,
C'est un présent de l'Ange Gabriël.
Prouvant ce point d'une façon très-claire:
S'il est ainsi, prêtez-le-moi, ma chere,
J'aurai bientôt connu la vérité;
Si dans le fait c'est un fruit de la grace,
Que parmi vous on appelle efficace,
Il ne sauroit blesser la pureté:
Mais pardonnez à ce coeur agité,
Qui doute encore; il s'agit de votre ame.

Au nom du Ciel, au nom de la vertu,
Tant fut enfin requis & débattu,
Qu'il faut permettre un soin qu'elle réclame.
Le lendemain, de crainte d'accident,
Un laquais sûr, & de plus très-prudent,
Doit apporter la céleste cassette;
Un autre à part des clefs sera chargé:
Et le retour est de même arrangé.
Le tout enfin, après l'épreuve faite,
Fidélement sera rendu le soir.
Adieu, ma soeur, adieu, jusqu'au revoir.

La Dame alors revient en diligence,
Le coeur serré, pleurant son imprudence,
Et maudissant ce funeste projet.
Qu'a-t-elle dit, hélas! qu'a-t-elle fait!
Comment pouvoir supporter cette absence!
Et cependant, au fond, ce n'est qu'un jour.
Ah! c'est un siecle! ainsi compte l'Amour.
Vous concevez que la nuit fut fort tendre;
On n'entendit que le bruit des soupirs,
Tous précédés, ou suivis des plaisirs:
Un doux repos vint enfin les suspendre.
Mais quel réveil! quel trouble! quel moment!
L'ame, sans doute, a ses pressentiments!
Ah! c'est sa faute; elle fut fort peu sage,
Trop confiante, & connut mal le prix
D'un tendre Amant que l'on tient au logis,
Point indiscret, & sur-tout point volage;
Dont nul voisin ne disoit, le voilà;
Et qui, charmé de son doux hermitage,
Quand on vouloit, se trouvoit toujours là.
Mais à sa soeur elle a promis ce gage:
L'heure s'envole ainsi que les amours.
Adieu, dit-elle; & de l'oeil & du geste,
Le caressant en personne modeste,
Elle l'enferme, il part, & pour toujours.


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