Vox temporum
I
Malgré le passé que le temps ravive,
Et nos coeurs qui vont se ressouvenir,
Éveillons sans cri notre douleur vive
Et fermons les yeux sur notre avenir...
Laissons croître en paix toute l'amertume
De la vie amère et de ses sanglots :
Sur notre océan telle est la coutume
De se contempler aux courroux des flots...
Aux jours d'autrefois, en notre âge vide,
Nous n'avions pas vu les spectres malheurs,
La prunelle glauque et le teint livide,
Mêler leurs fronts vils à nos jeunes pleurs.
Nous n'avions pas vu cet élan des âmes,
Rêvant l'amour pur et les jours plus beaux,
Implorer soudain, criant leurs sésames,
La porte qui mène aux vers des tombeaux...
Car nous aimions l'herbe et le crépuscule,
Le papillon noir et le grand lis blanc,
Les cloches du soir, l'humble renoncule
Et la perle claire à son sein tremblant...
Nous allions courir au profond des plaines,
Par les champs semés, dans les gerbes d'or;
De fleurs et de fruits nos mains étaient pleines,
Le printemps chantait le blond messidor...
Ah! chers souvenirs que l'instant répète,
Pourquoi vivre encor si vous n'êtes plus!
Tout ne fuit-il pas, dans l'âpre tempête
Vers le gouffre où vont les jours révolus?...
Non! Car tout reparle en notre mémoire;
Ces rêves d'antan sont nos vers rongeurs;
Bien que l'azur se revête de moire,
Nous pleurons dans l'ombre, errants et songeurs...
D'autres ne sont plus qu'une vieille rouche
Attachée aux flancs de l'antique écueil;
Que chasseur avide ou gibier farouche;
Le jeune berceau parle au vieux cercueil.
L'amour est un chant qu'on ne sait plus taire,
Le sourire? un mot plus qu'artificiel,
La gloire? une fleur qui rend à la terre
Le peu de beauté qu'elle prend au ciel!...