III
Ô puissance de l'art et du patriotisme!
En t'écoutant, poète, exalter l'héroïsme
De ceux que le destin pouvait seul conquérir,
En t'écoutant louer, sans choix ni préférence,
Les hommes qui jadis combattaient pour la France,
Nous avons tous senti notre coeur s'attendrir.
Tes refrains inspirés électrisaient les âmes;
Des saints espoirs mourants ils ravivaient les flammes,
Ils étouffaient en nous toute animosité;
Et quand tu proclamas, chanteur digne de Sparte,
Les combats de géant du premier Bonaparte,
Nous avons tous frémi de joie et de fierté.
Grâce à tes doux accents, bien des torts s'oublièrent;
Les ombres qui cachaient la France s'envolèrent,
Le soleil de sa gloire à nos yeux éclata.
Grâce à l'enchantement de tes strophes divines,
Dans l'histoire on ne vit que Tolbiac, Bouvines,
Marignan, Austerlitz, Malakoff, Magenta.
Grâce à toi, nous avons absous, l'âme attendrie,
Celle qui pour nous tous restera la patrie.
Grâce à toi, nous l'aimons d'un coeur passionné,
- Comme l'enfant, longtemps délaissé de sa mère,
En l'entendant louer par une voix sincère,
Sent pour elle grandir son amour obstiné.
Oui, tu nous rappelas bien des fois l'épopée
Que la France écrivit de sa puissante épée;
Tu nous initias à son art enchanteur,
En versant ses rayons les plus purs sur ta lyre;
Et, comme pour le sien le doux chantre d'Elvire,
Tu fus pour ton pays un régénérateur.
Allumant le flambeau de ta muse extatique
An radieux soleil du cycle romantique
Qui jetait sur Paris son éclat enivrant,
Et dont Québec encore ignorait la magie,
Tu brûlas les autels que la Mythologie
Avait jadis dressés aux bords du Saint-Laurent.
Et dans un idiome aussi pur que vivace,
Après avoir longtemps chanté de notre race
Les antiques combats et les récents exploits,
Tu nous dis les beautés de nos plages prospères,
Où, pour les saluer et les bénir, nos pères
Plantaient un drapeau blanc à côté d'une croix.
Tu chantas nos forêts au dôme gigantesque,
Nos lacs plus grands que ceux du poème dantesque,
Notre fleuve géant et nos champs infinis;
Tu racontas les jours où nos vastes rivages
Faisaient sans fin redire à leurs échos sauvages
L 'hymne de l'Iroquois scalpant ses ennemis.
Et nous avons été ravis, divin poète,
D'entendre dans tes chants gazouiller l'alouette,
Murmurer les sapins, soupirer les roseaux,
Jaser les flots mouvants et les algues mobiles,
Le large Saint-Laurent caresser les Mille-Iles,
Ces fragments de l'Éden égrenés dans ses eaux.
Et nous avons frémi d'une terreur sacrée,
Quand tu fis retentir dans ta strophe inspirée
La voix du dieu propice aux sauvages errants,
Et qui leur promettait une vie immortelle,
Où leur âme suivrait une chasse éternelle
D 'énormes caribous et d'orignaux géants.
La vénération, la sainte idolâtrie,
Qui fait à tous les bords préférer la patrie,
Était enracinée en ton coeur si loyal;
Elle y croissait puissante, immuable et sans tache,
Et nul effort n'aurait brisé la douce attache
Qui liait ta grande âme au paradis natal.
Nos bois mystérieux et nos eaux solennelles
Captivaient ton esprit autant que tes prunelles;
Leurs rumeurs te donnaient de suaves frissons;
Et, comme dans l'artère un sang inaltérable,
Comme en jets débordants la sève dans l'érable,
L'amour de ton pays coulait dans tes chansons.