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 Paul Claudel. (1868-1955) Jardins.

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James
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James


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MessageSujet: Paul Claudel. (1868-1955) Jardins.   Paul Claudel. (1868-1955) Jardins. Icon_minitimeLun 18 Juin - 21:17

Jardins.

Il est trois heures et demie. Deuil blanc: le ciel est comme offusqué d’un
linge. L’air est humide et cru.

J’entre dans la cité. Je cherche les jardins.

Je marche dans un jus noir. Le long de la tranchée dont je suis le bord
croulant, l’odeur est si forte qu’elle est comme explosive. Cela sent l’huile,
l’ail, la graisse, la crasse, l’opium, l’urine, l’excrément et la tripaille.
Chaussés d’épais cothurnes ou de sandales de paille, coiffés du long capuce du
foumao ou de la calotte de feutre, emmanchés de caleçons et de jambières de
toile ou de soie, je marche au milieu de gens à l’air hilare et naïf.

Le mur serpente et ondule, et sa crête, avec son arrangement de briques et de
tuiles à jour, imite le dos et le corps d’un dragon qui rampe; une façon, dans
un flot de fumée qui boucle, de tête le termine. -C’est ici. Je heurte
mystérieusement à une petite porte noire: on ouvre. Sous des toits surplombants,
je traverse une suite de vestibules et d’étroits corridors. Me voici dans le
lieu étrange.

C’est un jardin de pierres. -Comme les anciens dessinateurs italiens et
français, les Chinois ont compris qu’un jardin, du fait de sa clôture, devait se
suffire à lui-même, se composer dans toutes ses parties. Ainsi la nature
s’accommode singulièrement à notre esprit, et, par un accord subtil, le maître
se sent, où qu’il porte son oeil, chez lui. De même qu’un paysage n’est pas
constitué par de l’herbe et par la couleur des feuillages, mais par l’accord de
ses lignes et le mouvement de ses terrains, les Chinois construisent leurs
jardins à la lettre, avec des pierres. Ils sculptent au lieu de peindre.
Susceptible d’élévations et de profondeurs, de contours et de reliefs, par la
variété de ses plans et de ses aspects, la pierre leur a semblé plus docile et
plus propre que le végétal, réduit à son rôle naturel de décoration et
d’ornement, à créer le site humain. La nature elle-même a préparé les matériaux,
suivant que la main du temps, la gelée, la pluie, use, travaille la roche, la
fore, l’entaille, la fouille d’un doigt profond. Visages, animaux, ossatures,
mains, conques, torses sans tête, pétrifications comme d’un morceau de foule
figée, mélangée de feuillages et de poissons, l’art chinois se saisit de ces
objets étranges, les imite, les dispose avec une subtile industrie.

Le lieu ici représente un mont fendu par un précipice et auquel des rampes
abruptes donnent accès. Son pied baigne dans un petit lac que recouvre à demi
une peau verte et dont un pont en zigzag complète le cadre biais. Assise sur des
pilotis de granit rose, la maison-de-thé mire dans le vert-noir du bassin ses
doubles toits triomphaux, qui, comme des ailes qui se déploient, paraissent la
lever de terre. Là-bas, fichés tout droit dans le sol comme des chandeliers de
fer, des arbres dépouillés barrent le ciel, dominent le jardin de leurs statures
géantes. Je m’engage parmi les pierres, et par un long labyrinthe dont les
lacets et les retours, les montées et les évasions, amplifient, multiplient la
scène, imitent autour du lac et de la montagne la circulation de la rêverie,
j’atteins le kiosque du sommet. Le jardin paraît creux au-dessous de moi comme
une vallée, plein de temples et de pavillons, et au milieu des arbres apparaît
le poème des toits.

Il en est de hauts et de bas, de simples et de multiples, d’allongés comme des
frontons, de turgides comme des sonnettes. Ils sont surmontés de frises
historiées, décorés de scolopendres et de poissons: la cime arbore à
l’intersection ultime de ses arêtes, -cerf, cigogne, autel, vase ou grenade
ailée, -emblème. Les toitures dont les coins remontent, comme des bras on relève
une robe trop ample, ont des blancheurs grasses de craie, de noirs de suie
jaunâtres et mats. L’air est vert, comme lorsqu’on regarde au travers d’une
vieille vitre.

L’autre versant nous met face au grand Pavillon, et la descente qui lentement me
ramène vers le lac par des marches irrégulières gradue d’autres surprises. A
l’issue d’un couloir, je vois les cinq ou six cornes du toit dont le corps m’est
dérobé pointer en désordre contre le ciel. Rien ne peint le jet ivre de ces
proues fées, la fière élégance de ces pédoncules fleuris qui dirigent
obliquement vers la nue chagrine un lys. Pourvue de cette fleur, la forte
membrure se relève comme une branche qu’on lâche.

J’ai atteint le bord de l’étang, dont les tiges des lotus morts traversent l’eau
immobile. Le silence est profond comme dans un carrefour de forêt l’hiver.

Ce lieu harmonieux fut construit pour le plaisir des membres du « Syndicat du
commerce des haricots et du riz », qui, sans doute, par les nuits de printemps,
y viennent boire le thé en regardant briller le bord inférieur de la lune.

L’autre jardin est plus singulier.

Il faisait presque nuit, quand, pénétrant dans l’enclos carré, je le vis jusqu’à
ses murs rempli par un vaste paysage. Qu’on se figure un charriement de rochers,
un chaos, une mêlée de blocs culbutés, entassés là par une mer en débâcle, une
vue sur une région de colère, campagne blême telle qu’une cervelle divisée de
fissures entre-croisées. Les Chinois font des écorchés de paysages. Inexplicable
comme la nature, ce petit coin paraissait vaste et complexe comme elle. Du
milieu de ces rocailles s’élevait un pin noir et tors; la minceur de sa tige, la
couleur de ses houppes hérissées, la violente dislocation de ses axes, la
disproportion de cet arbre unique avec le pays fictif qu’il domine, -tel qu’un
dragon qui, fusant de la terre comme une fumée, se bat dans le vent et la nuée,
-mettaient ce lieu hors de tout, le constituaient grotesque et fantastique. Des
feuillages funéraires, çà et là, ifs, thuyas, de leurs noirs vigoureux,
animaient ce bouleversement. Saisi d’étonnement, je considérais ce document de
mélancolie. Et du milieu de l’enclos, comme un monstre, un grand rocher se
dressait dans la basse ombre du crépuscule comme un thème de rêverie et
d’énigme.




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J'adore les longs silences, je m'entends rêver...  
James
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