Le Banyan.
Le banyan tire.
Ce géant ici, comme son frère de l’Inde, ne va pas ressaisir la terre avec ses
mains, mais, se dressant d’un tour d’épaule, il emporte au ciel ses racines
comme des paquets de chaînes. A peine le tronc s’est-il élevé de quelques pieds
au-dessus du sol qu’il écarte laborieusement ses membres, comme un bras qui tire
avant le faisceau de cordes qu’il a empoigné. D’un lent allongement le monstre
qui hale se tend et travaille dans toutes les attitudes de l’effort, si dur que
la rude écorce éclate et que les muscles lui sortent de la peau, Ce sont des
poussées droites, des flexions et des arcs-boutements, des torsions de reins et
d’épaules, des détentes de jarret, des jeux de cric et de levier, des bras qui,
en se dressant et en s’abaissant, semblent enlever le corps de ses jointures
élastiques. C’est un noeud de pythons, c’est une hydre qui de la terre tenace
s’arrache avec acharnement. On dirait que le banyan lève un poids de la
profondeur et le maintient de la machine de ses membres tendus.
Honoré de l’humble tribu, il est, à la porte des villages, le patriarche revêtu
d’un feuillage ténébreux. On a, à son pied, installé un fourneau à offrandes, et
dans son coeur même et l’écartement de ses branches, un autel, une poupée de
pierre. Lui, témoin de tout le lieu, possesseur du sol qu’il enserre du peuple
de ses racines, demeure, et, où que son ombre se tourne, soit qu’il reste seul
avec les enfants, soit qu’à l’heure ou tout le village se réunit sous
l’avancement tortueux de ses bois les rayons roses de la lune passant au travers
des ouvertures de sa voûte illuminent d’un dos d’or le conciliabule, le colosse,
selon la seconde à ses siècles ajoutée, persévère dans l’effort imperceptible.
Quelque part la mythologie honora les héros qui ont distribué l’eau à la région,
et, arrachant un grand roc, délivré la bouche obstruée de la fontaine. Je vois
debout dans le Banyan un Hercule végétal, immobile dans le monument de son
labeur avec majesté. Ne serait-ce pas lui, le monstre enchaîné, qui vainc
l’avare résistance de la terre, par qui la source sourd et déborde, et l’herbe
pousse au loin, et l’eau est maintenue à son niveau dans la rizière? Il tire.