Le banquet des poëtes.
Esprits, de qui la muse est ardante et feconde,
Qui sur l' aisle des vers faittes le tour du monde ;
Qui pour sacrer vos noms à l' immortalité,
Fuyez comme un escuëil la molle oysiveté ;
Dans cette passion de vouloir tousjours vivre,
Estes vous resolus de mourir sur un livre ?
Bacchus veut des honneurs, aussi bien qu' Apollon ;
Une table vaut mieux que le double vallon ;
Le doux concert des luts, le doux son des guiterres
N' esgallerent jamais la musique des verres ;
Leur vive melodie, et leur gay cliquetis,
Sçavent l' art d' attirer tous les dieux chez Thétis,
D' appaiser Jupiter alors qu' il se courouce,
Et de mettre Saturne en humeur de carrousse.
Amis, soyons touchez d' un semblable desir,
Ne mesurons le temps qu' aux regles du plaisir,
Et ne nous perdant point dans ces vagues pensées
Des choses à venir, ny des choses passées,
Où le plus habile homme est le moins suffisant,
Arrestons nos esprits aux choses du present.
Joüissons du bonheur que le ciel nous octroye,
Sacrifions au dieu qui préside à la joye,
Et sans nous tourmenter du soin des potentats,
Ny du déreglement qu' on voit dans leurs estats,
Ny des divers advis du conseil des notables,
Débitons aujourd' huy cent contes delectables,
Et tous expedions à l' ombre des celiers
Plus de verres de vin qu' ils ne font de cahiers.
Les sages anciens, dont les académies
Ont souvent réveillé nos ames endormies,
Soustiennent qu' icy bas quatre sainctes fureurs
Agitent nos esprits de leurs douces erreurs ;
Les muses, Apollon, l' enfant que Cypre adore,
Et le dieu qui dompta les peuples de l' aurore.
Que ce puissant démon de la rouge liqueur
De son divin nectar agite nostre coeur !
Que l' effet merveilleux des pampres et des treilles
Soit l' unique entretien de nos charmantes veilles !
Et devant que la soif nous oste le repos,
Courons alaigrement l' esteindre dans ces pots ;
Ainsi le peuple émû de nostre voisinage
Esteignit d' un grand feu l' insolence et la rage,
Quand le palais en proye, et les loix à l' encan,
Nous firent voir Thémis dans le sein de Vulcan.
Si ces vieux chevaliers qui couroient par le monde
S' acquirent tant d' honneur pour une table ronde ;
Nous qui suivons Bacchus, et réverons ses loix,
Faisons le verre en main de si vaillans exploits,
Que la prose, et les vers, d' eternelle durée,
Parlent des chevaliers de la table quarrée.
Mais c' est trop discourir sur le poinct d' un assaut ;
Amis, avancez-vous pendant que tout est chaud ;
Regardez de ce plat la vapeur embaumée ;
Voyez comme il espand une douce fumée,
Que l' air de nostre haleine éleve dans les cieux,
Comme un nouvel encens que nous offrons aux dieux.
Pour moy qui suis contraire à cette tyrannie
Qui seconde les loix de la ceremonie,
Puis que je suis le roy des enfans sans soucy,
Je me sieds le premier, asseyez-vous aussi ;
Ou vous allumerez le feu de ma colere,
Qui ne s' appaisera que dans la bonne chere.
Que ces mets delicats sont bien assaisonnez !
Que ce vin est friand ! Qu' il va peindre de nez !
Qu' il va causer d' ardeur dans le fonds de nostre ame !
Et que l' amour est froid à l' égal de sa flâme !
Inspiré de Bacchus qui preside en ce lieu,
Je vuide cette couppe en l' honneur de ce dieu.
Mais quoy ! Ma soif s' irrite au lieu d' estre appaisée ;
Rendons encor trois fois cette couppe espuisée.
Amis, c' est assez beu pour la necessité,
Ne beuvons desormais que pour la volupté.
Sus, que chacun de nous ses temples environne
Des replis verdoyans d' une belle couronne ;
D' amour, et de Bacchus, eternels favoris,
Joignons les myrthes verds aux lierres fleuris ;
Et si malgré l' hyver qui ravit toutes choses,
On peut trouver encor des oeillets, et des roses,
Semons en cette place, ornons en ce repas,
Non pource que l' odeur en est pleine d' appas,
Mais pource que ces fleurs ont un lustre semblable
À la vive couleur de ce vin delectable,
Qui pour flater nos yeux de son éclat vermeil,
Nous monstre dans un verre un liquide soleil.
Profanes, loin d' icy ; que pas-un homme n' entre
Qui soit du rang de ceux qui trahissent leur ventre,
Qui fraudent leur genie, et d' un coeur inhumain
Remettent tous les jours à vivre au lendemain.
Malheureux en effet l' avare qui possede
Des biens et des thresors, et jamais ne s' en aide.
Tandis qu' on a le temps, et qu' on se porte bien,
On doit avec raison se servir de son bien,
Et suivant les plaisirs où l' âge nous convie,
Gouster autant qu' on peut les douceurs de la vie.
Quand nous serons privez de la clarté du jour,
Nous ne gousterons plus les charmes de l' amour ;
Nous n' aurons plus besoin de celiers, ny de granges,
Pour enfermer nos bleds, et serrer nos vendanges ;
Mais tristes et pensifs, accablez de douleurs,
Nous n' avallerons plus que les eaux de nos pleurs.
Chers amis, laissons-là cette philosophie ;
Que chacun à l' envy l' un l' autre se deffie
À qui rendra plustost ces grands vases taris ;
Six fois je m' en vay boire au beau nom de Cloris ;
Cloris le seul desir de ma chaste pensée,
Et l' unique sujet dont mon ame est blessée.
Lydas, verse tout pur, puis que la pureté
A tant de sympathie avec cette beauté.
Et puis ne sçais-tu pas que l' element de l' onde
Est le signe certain d' une humeur vagabonde ?
Si je bois jamais d' eau, qu' on m' estime un oyson ;
Que personne en beuvant ne me fasse raison ;
Que mes vers, comme l' eau, deviennent froids et fades,
Qu' ils ne soient ny connus, ny payez qu' en gambades,
Que jamais de beauté ne me fasse faveur,
Que l' on me montre au doigt comme un pauvre beuveur ;
Enfin qu' aux cabarets, pour ma honte derniere,
On escrive mon nom sous le nom de chaudiere.
Certes, je hais ces mots qui finissent en eau ;
Si j' eusse esté Ronsard, j' eusse berné Belleau ;
Aussi bien n' eut-il pas une assez rouge trongne
Pour expliquer les vers de ce gentil Yurongne,
Ce grand Anacréon, ce poëte divin,
Qui vesquit dans l' amour, et mourut dans le vin.
Mais à propos de vin, Lydas reverse à boire,
Aussi bien ce piot rafraichit la memoire ;
Il fait rire et dancer les plus sages vieillars,
Il leur met en l' esprit mille contes gaillards,
Et quoy que l' on ait dit de la fureur des muses,
Il dispense le don des sciences infuses ;
Si bien que par miracle, il arrive souvent
Que l' ignorant qui boit devient homme sçavant.
Nostre Arcandre le sçait, qui pour aimer la vigne
Passe desja par tout pour un poëte insigne,
Arcandre dont l' esprit ne fait rien de divin,
S' il n' a mis dans son corps quatre pintes de vin.
Ah ! Que j' estime heureux l' amoureux d' Isabelle,
Non pource qu' il adore une fille si belle,
Non pource que les traits qui partent de ses yeux
S' épandent aussi loin que le flambeau des cieux ;
Non pource que les noeuds de sa perruque blonde
Sont les douces prisons des coeurs de tout le monde,
Non pource qu' à Paris elle a tant de renom,
Mais pource que je vois huit lettres dans son nom ;
Et que l' affection que cet amant luy porte,
À tant de mouvemens, est si vive et si forte,
Qu' il ne peut faire moins que de trinquer huit fois
Au nom de la beauté qui le tient sous ses loix.
Moy qui suis serf d' amour, mais qui bois en franchise,
Je veux changer le nom de Cloris, en Clorise,
Ou bien prendre Clorinde, ou d' autres mots choisis ;
Fais-en, mon cher Aminte, autant de ton Isis,
Cela luy tiendra lieu d' une nouvelle offrande,
Ce nom est trop petit, et ta soif est trop grande.
Mais pendant ce discours, ne m' apperçoy-je pas
Que la force du vin débilite mes pas ?
Un hocquet importun choque mon humeur gaye,
Ma parole se couppe, et ma langue begaye ;
Je rougis d' avoir beu, je paslis quand je boy,
Et la teste me tourne, et tout tourne avec moy ;
Mon esprit se confond, mon jugement se trouble,
Je ne voy point d' objet qui ne me semble double ;
J' entens dedans le nuë un tonnerre esclatant,
Je regarde le ciel, et n' y vois rien pourtant.
Tout tremble sous mes pieds, une sombre poussiere
Comme un nuage espais offusque ma lumiere,
Et l' ardente fureur m' agite tellement,
Qu' avecque la raison je perds le sentiment.
Evoé je fremis, Evoé je frissonne,
Un vent impetueux ébranle ma couronne ;
Et je me trouve enfin tellement combatu,
Que je tombe par terre, et n' ay plus de vertu.
Puissante deïté, mon vainqueur, et mon maistre,
Si tu m' as tant de fois avoüé pour ton prestre,
Si tu m' as tousjours veu plus qu' aucun des mortels
Espandre au lieu d' encens, du vin sur tes autels,
Race de Jupiter, digne enfant de Semele,
Appaise la fureur qui m' accable sous elle,
Dissipe les vapeurs de ce bon vin nouveau
Qui gronde dans mon ventre, et bout dans mon cerveau.
Rends plus fermes mes pas, modere ta furie,
Donne moy du repos, ô pere je t' en prie,
Par ton thyrse couvert de pampres tousjours vers,
Par les heureux succés de tes travaux divers,
Par le sep vigoureux qui te conquit les Indes,
Par l' aimable rumeur des chansons et des brindes,
Par le front herissé de tes fiers leopars,
Par tes cheveux dorez, par tes brillans regards,
Par le mystique van de tes sacrez mysteres,
Par les cris redoublez des festes triétaires,
Par ton esprit de feu qui fait boire et parler,
Par tout ce que la Gréce eut soin de t' immoler,
Par les pieds chancelans du vieux pere Silene ;
Bref par ce doux nectar d' Arbois, et de Surene.
Ainsi dit Cerilas d' un geste furieux,
Roüant à chaque mot la prunelle des yeux.
Bacchus qui l' entendit, d' un bruit espouventable
Fit trembler à l' instant les treteaux et la table ;
Tous les vases remplis branslerent en ce lieu,
Et pas-un ne versa de la liqueur du dieu ;
Tesmoignage certain qu' il ne mit en arriere
De son humble sujet la devote priere.
Aussi pour le flatter d' un sommeil gracieux,
Ce dieu qui l' éveilla, luy vint fermer les yeux.