Le portrait d' amour.
Sonnet 46.
Un peintre avoit un jour tracé la noble image
Du tyran de nos yeux, du démon de nos coeurs,
Lors que l' amour lui dit, que tes traits sont trompeurs !
Et que tu connois mal l' objet de ton ouvrage !
Je n' ay plus cet air gay qui rit sur ce visage,
Je n' ay plus sur le front ces myrthes, ny ces fleurs ;
Mes mains n' ont plus ces traits, ny mon feu ces ardeurs,
Mon front est sans bandeau, mon dos est sans plumage.
Me veux-tu figurer en l' estat où je suis ?
Pein moy les yeux en pleurs, et le coeur plein d' ennuis,
Sans fleches, sans flambeau, sans bandeau, ny sans aisles.
Ô changement d' un dieu plus brillant que le jour !
C' est qu' amour en voyant ce miracle des belles,
Croit qu' elle est seule aimable, et qu' il n' est plus amour.