Réponse.
Oui, monsieur, je publierai le manuscrit que vous me
renvoyez (non que je pense comme vous sur l'utilité dont il peut
être ; chacun ne s'instruit qu'à ses dépens dans ce monde, et les
femmes qui le liront s'imagineront toutes avoir rencontré mieux
qu'Adolphe ou valoir mieux qu'Ellénore) ; mais je le publierai
comme une histoire assez vraie de la misère du coeur humain. S'il
renferme une leçon instructive, c'est aux hommes que cette leçon
s'adresse : il prouve que cet esprit, dont on est si fier, ne sert ni à
trouver du bonheur ni à en donner ; il prouve que le caractère, la
fermeté, la fidélité, la bonté, sont les dons qu'il faut demander au
ciel ; et je n'appelle pas bonté cette pitié passagère qui ne
subjugue point l'impatience, et ne l'empêche pas de rouvrir les
blessures qu'un moment de regret avait fermées. La grande
question dans la vie, c'est la douleur que l'on cause, et la
métaphysique la plus ingénieuse ne justifie pas l'homme qui a
déchiré le coeur qui l'aimait. Je hais d'ailleurs cette fatuité d'un
esprit qui croit excuser ce qu'il explique ; je hais cette vanité qui
s'occupe d'elle-même en racontant le mal qu'elle a fait, qui a la
prétention de se faire plaindre en se décrivant, et qui, planant
indestructible au milieu des ruines, s'analyse au lieu de se
repentir. Je hais cette faiblesse qui s'en prend toujours aux autres
de sa propre impuissance, et qui ne voit pas que le mal n'est point
dans ses alentours, mais qu'il est en elle. J'aurais deviné
qu'Adolphe a été puni de son caractère par son caractère même,
qu'il n'a suivi aucune route fixe, rempli aucune carrière utile, qu'il
a consumé ses facultés sans autre direction que le caprice, sans
autre force que l'irritation ; j'aurais, dis-je, deviné tout cela,
quand vous ne m'auriez pas communiqué sur sa destinée de
nouveaux détails, dont j'ignore encore si je ferai quelque usage.
Les circonstances sont bien peu de chose, le caractère est tout ;
c'est en vain qu'on brise avec les objets et les êtres extérieurs ; on
ne saurait briser avec soi-même. On change de situation, mais on
transporte dans chacune le tourment dont on espérait se
délivrer ; et comme on ne se corrige pas en se déplaçant, l'on se
trouve seulement avoir ajouté des remords aux regrets et des
fautes aux souffrances.