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 François Coppée (1842-1908) Discours De Réception A L’Académie Française. (1884)

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Inaya
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François Coppée (1842-1908) Discours De Réception A L’Académie Française. (1884)  Empty
MessageSujet: François Coppée (1842-1908) Discours De Réception A L’Académie Française. (1884)    François Coppée (1842-1908) Discours De Réception A L’Académie Française. (1884)  Icon_minitimeMer 27 Juin - 22:11

Discours De Réception A L’Académie Française. (1884)

18 décembre 1884

MESSIEURS,

Au moment où j’ai le redoutable honneur de parler devant vous, je suis assurément très ému; mais mon coeur, pénétré de gratitude, n’éprouve pourtant aucune crainte. Il circule autour de moi un effluve de sympathie qui m’échauffe et m’encourage. L’Académie, qui est une des rares et glorieuses institutions encore intactes et debout parmi les ruines de la vieille France, tient à ses anciens privilèges, et, en faveur du poète, à peu près banni de la société moderne, elle exerce généreusement le droit d’asile. Chez elle, il se sent en sûreté, dans une atmosphère de bienveillante protection, comme le fugitif des temps mérovingiens sous le cloître paisible de Saint-Martin de Tours. Je me lève donc plein de confiance, me rappelant quel culte vous gardez pour la poésie, confus sans doute d’être un de ses moindres serviteurs, mais certain que vous m’avez choisi comme un des plus fidèles.

Vous m’avez élu pour succéder à M. de Laprade, qui lui-même occupait au milieu de vous la place d’Alfred de Musset; et rarement, me semble-t-il, vous avez mieux prouvé que par ces élections successives votre goût hospitalier pour les poètes et la libérale variété de vos choix. Je diffère autant de mon prédécesseur qu’il ressemblait peu au sien; mais vous vous plaisez à ces contrastes. Après le grave contemplateur des glaciers et des hautes futaies, vous appelez à vous un rêveur des rues de Paris; ayant entendu le rossignol des Alpes emplir de sa voix puissante les solitudes du vallon nocturne, vous écoutez la petite chanson du bouvreuil en cage sur une fenêtre de faubourg. Il vous suffit que les deux oiseaux chantent à votre gré; et vous faites le même accueil aux deux poètes.

Une fois seulement, j’ai eu le bonheur d’approcher M. de Laprade, pendant un des courts voyages à Paris que sa santé lui permettait, il y a quelques années; une heure seulement, j’ai pu voir ce doux et noble visage, qui est encore présent à vos souvenirs. Mais, je puis le dire, nous nous connaissions de longue date. Écolier de vingt ans, j’avais plus d’une fois suivi, un de ses livres à la main, les allées tournantes de cette pépinière du Luxembourg où, comme il l’a dit dans une de ses plus gracieuses poésies;

On feuilletait un jeune coeur,
On s’absorbait dans un vieux livre.

Quand mes premières rimes furent imprimées, je les lui offris en élève timide, il les lut en maître indulgent; et l’unique poignée de main que nous échangeâmes plus tard ne fit que mieux unir mon respect filial à sa paternelle sympathie. Il m’en a donné plus d’un témoignage. Je conserve précieusement et souvent je relis avec émotion une lettre de M. de Laprade dans laquelle il me remercie d’une page bien sincère écrite sur ses oeuvres, et « conçoit l’espérance » - ce sont ses propres expressions - « d’être un jour loué par moi dans un lieu plus retentissant et plus solennel ». Ce désir, il l’a confié à plusieurs d’entre vous; il l’exprimait encore, dans les derniers jours de sa vie, devant sa chère famille. J’éprouve une grande douceur a croire que son suffrage ne me manque pas aujourd’hui, et j’aime la tâche que vous m’imposez de faire l’éloge d’un poète de race qui fut excellent pour moi; car je suis soutenu dans ce devoir par deux sentiments, l’admiration et la reconnaissance.

Issu d’une noble et ancienne famille du Forez, Pierre-Marin-Victor Richard de Laprade naquit en 1812, à Montbrison, contrée montagneuse et boisée. Deux veuves, ses aïeules, le bercèrent avec de tragiques histoires du temps de la Terreur. L’une d’elles, sa grand’mère du côté maternel, portait sur son coeur, comme une relique, l’admirable testament de son mari, M. Chevassieu, maire de Montbrison, fusillé à Feurs, avec dix autres parents des Laprade, dans un massacre de vingt-huit victimes ordonné par Javogne, un des plus hideux proconsuls d’alors. L’aïeul paternel du poète, M. Marin de Laprade, soldat et savant, qui avait vaillamment porté l’épée de cadet, avant d’exercer avec talent la carrière médicale à Montbrison, avait comparu, le même jour que son ami M. Chevassieu, devant le tribunal de sang. Absous par hasard, il avait peu survécu à cette terrible journée. Ainsi entrèrent dans l’âme du poète, dès ses premières années, les deux convictions qu’il conserva toute sa vie; il puisa dans la vue sublime des montagnes l’amour de la liberté, et dans les sinistres légendes de son foyer l’horreur de la Révolution.

Dès lors, dans cette libre poussée au milieu d’un beau paysage, son esprit reçut aussi, je le crois, le germe de ce sentiment de la nature qu’il devait répandre, si intense et si grandiose, dans tous ses poèmes. Je veux me reporter par l’imagination, comme il l’a fait si souvent par le souvenir, au temps de sa rustique enfance. La famille, une familière cadets, déjà médiocrement pourvue avant 89, est absolument ruinée; elle ne possède plus guère que la vieille maison, débris d’une demeure seigneuriale, avec sa tourelle d’angle et son mur où les saxifrages détruisent, en les fleurissant, quelques vestiges d’anciens ornements sculptés. Le père, médecin comme l’aïeul, est loin d’être encore devenu le professeur de clinique qui fera plus tard de savants élèves à l’École de médecine de Lyon; à l’heure qu’il est, il ressemble beaucoup au bon docteur de Pernette. C’est un praticien de province, qui va dès le matin visiter ses malades, au trot d’une jument paysanne. La mère et l’aïeule consacrent les longues heures de la journée aux soins du logis, mais surtout au nouveau-né. Quand le ciel sourit, elles l’emportent dans la campagne, qui est tout proche, au bout de quelque ruelle solitaire. On fait halte bientôt, sur la lisière d’un bois, devant un large horizon. Là, l’enfant se roule dans l’herbe, essaye ses premiers pas sous les chênes, tourne vaguement ses regards du côté des cimes lointaines. On ne revient qu’au coucher du soleil, pour le repas du soir; et lorsque le père rentre à son tour et présente à sa jeune femme une poignée de fleurs alpestres, qu’il a cueillies, en conduisant son cheval par la bride, le long d’un chemin escarpé, la mère les pose en souriant sur le berceau du petit garçon, endormi déjà, et le futur poète des sommets respire jusque dans ses premiers rêves l’enivrant et salubre parfum des montagnes.

Ce parfum, qu’il aima toute sa vie et qui embaume toute son oeuvre, il en eut la nostalgie pendant son séjour entre les hautes murailles du lugubre lycée de Lyon. Celui qui devait écrire sous le titre de l’Education homicide, des pages brûlantes d’indignation contre les dangers de l’internat, souffrit plus que tout autre de ces années de caserne imposées à l’enfance. Anime de l’esprit du devoir et delà discipline, il fit de fortes et excellentes études; mais il était surtout soutenu par l’espoir des vacances dans ses chères montagnes foréziennes, où celui qui devait être le poète de la nature se retrempait dans la nature.

Il sortit épuisé, presque mourant, de sa prison scolaire, et il fallut le généreux soleil du Midi pour lui rendre la santé et la force de son âge. M. de Laprade fit son droit à Aix-en-Provence, où il vécut quatre ans, et tous les témoins de cette époque de sa vie le représentent comme un étudiant laborieux, mais d’un caractère expansif, parfois même d’une gaieté débordante. N’aimez-vous pas cette joyeuse jeunesse précédant une vie de hautes vertus et une oeuvre austère? Le fleuve coule majestueusement entre deux calmes rives; mais remontez à la source, vous la découvrirez où il y a des gazouillements et de la verdure. On peut dire que M. De Laprade ignorait alors sa vocation, Sans doute, cette Provence qui ressemble à la Grèce, ces paysages arides, mais aux lignes magnifiquement harmonieuses, ces côtes, ces promontoires de la Méditerranée qui se découpent sur le bleu du ciel et se reflètent dans le bleu de la.mer, éveillaient sourdement l’inspiration chez un lecteur enthousiaste d’Homère et d’André Chénier. Mais, sincèrement humble de coeur, il s’estimait assez heureux de comprendre, d’admirer les poètes, et n’osait croire qu’il en fût un lui-même. Ses amis lui révélèrent son noble pouvoir. Il en comptait beaucoup parmi les Lyonnais, ses compatriotes, et aussi dans un groupe d’étudiants appartenant à la noblesse polonaise, réfugiés en France depuis la récente proscription. L’un de ces jeunes gens insista pour que M. de Laprade écrivît quelques strophes sur son album. C’en était fait; le vase avait débordé. Depuis ce jour, l’élève en droit fit des vers; mais toujours modeste, il les faisait seulement pour lui, pour ses camarades, sans l’ombre d’une ambition littéraire, sans rêve de succès et de gloire. N’avais-je pas raison de comparer la poésie de M. de Laprade à une source? Elle jaillissait de lui, naturellement, sans effort, limpide et chantante au départ comme l’eau d’une source dans les bois, mais, comme elle aussi, discrète d’abord et cachée.

Ses études de droit terminées, gardant toujours une grande défiance du goût impérieux qui l’entraînait vers les lettres, M. de Laprade se fit inscrire au barreau de Lyon, plaida quelque peu, remplit auprès d’un avocat en vogue les fonctions de secrétaire, songea même un instant à entrer dans la magistrature. Celui qui fut par la suite un professeur éloquent et disert, prenait ainsi l’habitude de la parole, quand un voyage en Suisse et en Savoie, qui lui révéla les grandes Alpes, exalta jusqu’à l’enivrement ses facultés poétiques. Il sentit sa pensée s’élever avec sa personne dans l’ascension des pics blancs déneige, et la vue des aigles qui passaient lui fit comprendre qu’il avait le grand coup d’aile. Il revint cependant, quelque temps encore, dans la sombre étude du quartier Saint-Jean où il feuilletait, d’un doigt distrait, les paperasses judiciaires; mais, quand il en sortit, à la fin de son stage, quand il se décida à venir à Paris tenter la fortune de la publicité, il emportait une grande partie des Odes et Poèmes, des Poèmes évangéliques, et sa Psyché tout entière.

J’ai dit qu’il n’était pas un ambitieux. Rien en lui de ces grands hommes de province, si fortement dépeints par Balzac, dans sa Comédie humaine, qui se ruent sur Paris en berçant leurs rêves de domination au trot des lourdes diligences et jettent à l’énorme capitale, du haut de quelque mansarde de la montagne Sainte-Geneviève, le défi du conquérant. M. de Laprade, pour nous servir d’un mot qui aurait plu à son tempérament religieux, ne vient à Paris qu’en pèlerinage. Hadji littéraire, il foulera le sol de la Mecque intellectuelle; mais, cette fois-ci comme les autres, il n’y fera qu’un séjour limité. Bientôt il repartira, non seulement pour se replonger dans la nature où il puise ses meilleures inspirations, mais aussi pour revoir sa patrie adoptive, cette ville de Lyon qu’il aime, qu’il préfère au tumultueux, au fiévreux Paris, cette ville de Lyon, grandiose et triste, un peu brumeuse aussi parfois, comme la pensée du poète, et que domine l’autel aérien de Notre-Dame-de-Fourvières ainsi que l’oeuvre de M. de Laprade est dominée par l’idée do Dieu.

Je puis évoquer devant vous l’image de l’auteur de Psyché à ce moment de sa jeunesse déjà mûrie et devenue grave, tel qu’il fut introduit à Paris dans quelques sociétés d’élite, tel qu’il fut présenté notamment, par son compatriote Ballanche, à l’Abbaye-aux-Bois, où il s’inclina devant le majestueux silence de Chateaubriand. Ce portrait est signé du nom de notre maître à nous tous, les poètes, d’un maître qui fut particulièrement celui de M. de Laprade, du nom cher et vénéré de Lamartine;

« Il était grand, dit-il, en parlant du jeune homme qui vint le saluer à Saint-Point, il était grand, élancé, la tête chargée de modestie, un peu inclinée en avant, le regard bleu et nuancé de blanches visions comme une eau de golfe traversée par beaucoup de voiles, le front plein, les traits maies, quoique avec une expression générale mélancolique, le teint pâli par la lampe, la physionomie pieuse, si l’on peut se servir de cette expression, c’est-à-dire la physionomie d’un jeune homme qui écoute les voix célestes entendues de lui seul, et dont la pensée, consumée du doux feu de l’encensoir, monte habituellement en haut plus qu’elle ne se répand sur les choses visibles d’ici-bas. »

Il y a, dans ces lignes magistrales, plus qu’un portrait idéalisé du poète; il y a la définition même de son génie poétique, qui venait de se révéler alors au monde littéraire par la publication de Psyché.

Vous l’admirez tous, cette pure fleur de poésie éclose dans un esprit pénétré par Platon, ébloui par Phidias, mais resté, malgré sa juvénile témérité, sincèrement, absolument chrétien; vous le connaissez, ce poème charmant et profond, où l’auteur, employant le plus gracieux des symboles, montre, dans la légende de cette jeune fille devenant l’épouse d’Eros, la destinée de l’âme humaine s’unissant à Dieu dans l’éternité; où le poète, éclairant, rajeunissant en quelque sorte aux lueurs de la philosophie la mythologie antique, en dégage la signification morale, le spiritualisme supérieur, l’idée profondément religieuse. Conception nouvelle et hardie, où se.trouve une fois de plus posé l’insoluble problème qui a inquiété et inquiétera le monde jusqu’à son dernier soir; car toujours Eve regarde d’un oeil plein de désir les fruits de l’arbre de la Science; toujours Psyché allume en tremblant sa lampe pour contempler le visage de son divin amant; toujours l’épouse de Lohengrin a sur les lèvres la question interdite; et, jusque dans les Contes de berceuses, toujours la femme de Barbe-Bleue serre dans sa main frémissante la clef de la chambre défendue. Toujours le mystère! Toujours Isis sous son voile! Toujours l’inflexible et désespérante consigne passée à l’homme d’âge en âge; Aimer et croire sans connaître!

Ce poème de Psyché, dont je ne puis qu’indiquer le sens philosophique, mais dont je ne saurais trop louer la forme impeccable, où le dessin classique s’allie à la couleur moderne, fut bientôt suivi des Odes et Poèmes. C’est là, je n’hésite pas à le dire, que M. de Laprade, dans toute la force de son talent, a fait sa plus riche et sa plus féconde moisson lyrique; c’est là qu’il a chanté, avec cet enthousiasme, celle exubérance de jeunesse que les poètes eux-mêmes n’éprouvent qu’une fois dans la vie, son cantique à la gloire de l’univers visible, son hymne à la nature.

Aucune analyse ne vaut la vue d’un chef-d’oeuvre, et l’éloge doit ici faire place à la citation. Relisons donc ensemble, si vous le voulez bien, un fragment de ce Poème de l’Arbre, où est exprimée, avec une poésie supérieure à toutes les éloquences, la fusion de l’âme humaine et des choses; relisons ces vers impérissables, qui rayonneront dans le trésor des anthologies comme les planètes. dans le ciel d’une nuit étoilée;



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François Coppée (1842-1908) Discours De Réception A L’Académie Française. (1884)
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