A Georges Druilhet.
Pour son livre Au Temps des Lilas.
PRÈS de ma 'treille aux tons de cuivre
Dont se dore le chasselas,
Poète, j'ai lu votre livre
D'où sort un parfum de lilas.
C'est du printemps à chaque ligne;
Et, de mon coeur sec et fripé
Comme les feuilles de ma vigne,
Un gros soupir s'est échappé.
Car j'entends le bruit monotone
Des Parques tournant leurs fuseaux,
Quand vous offrez à mon automne
Votre Avril plein de chants d'oiseaux;
Car, sans espoir qu'elle renaisse,
Je respire, en vos lilas frais,
Mon exquise et pauvre jeunesse,
Et je suis navré de regrets.
Vieillir! Grand chagrin des poètes!
Je fus, ma parole d'honneur,
Absolument tel que vous êtes,
Aimeur, rimeur, rêveur, flâneur.
L'attraction nous est commune,
Qui vous mène et qui me menait
Sur les quais, par les nuits de lune,
Murmurant les vers d'un sonnet.
La forêt et ses rouges-gorges
Sont trop loin, l'hiver. J'allais voir
Le couchant allumer ses forges
Au bout d'un faubourg sale et noir;
Et, comme vous, j'ai fait des lieues,
Captif, pour mon pain, dans Paris,
A travers les mornes banlieues
Et sous leurs arbres rabougris.
Oui, livre charmant, tu l'exhumes,
Le souvenir des anciens jours.
Oui, Georges Druilhet, nous eûmes
Mcme printemps, mêmes amours.
La maîtresse fausse et câline
Dont vous vous plaignez aux échos,.
Jadis trompeuse en crinoline,
L'est encore en robe à gigots.
Je te reconnais bien, ô folle
Gamine de Paris, qui n'as
qu'un sein jeune et qu'un coeur frivole
Sous la toile ou le jaconas;
Et l'autre infidèle que chante
Ce poète en ses vers si doux,
Elle est pareille à toi, méchante,
Qui manquais tous nos rendez-vous.
Que l'attente est longue et cruelle!
Quand, dans l'ombre, luit un jupon,
On tressaille... Ce n'est pas elle!...
Et l'on souffre, mais que c'est bon!
Car on la revoit, plein de haine;
Niais elle a des yeux si touchants!...
Et l'on pardonne; et dans la plaine,
On va faire un bouquet des champs;
Et quand juin fleurit les pelouses,
Oh! l'enivrante volupté
De sécher ses larmes jalouses
Sur un frais corsage d'été!
Maintenant vous êtes en rade,
Loin des orageuses amours,
Et dormez, heureux camarade,
Sur un coeur à vous pour toujours.
Niais n'importe, elle est bien jolie,
Votre printanière chanson,
Et m'emplit de mélancolie,
Moi, vieux poète et vieux garçon.
Je n'ose plus dire : « Je t'aime! »
Et me voici tout triste, hélas!
Dans la saison du chrysanthème,
D'avoir respiré vos lilas.