LIVRE 3
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L'ardent pere du jour, au milieu de sa course,
Voyoit également, et l'antartique et l'ourse;
Et sur vn trône d'or couronné de splendeur,
Amoindrissant sa forme, augmentoit son ardeur.
Il versoit icy-bas des lumiéres flotantes.
Et couuroit l'horison de vapeurs tremblotantes;
La chaleur embrasoit le dos des moissonneurs,
La suëur degoûtoit du front des voyageurs;
Et tous les animaux des tertres et des plaines,
Cherchoient l'ombre des bois, et le frais des fontaines.
En ce temps, où tout brûle, au dehors, au dedans,
L'assiégeant, l'assiégé, se montrent plus ardans:
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De cent jeunes hébreux vne trouppe vaillante,
Et de fer hérissée et sous le fer brillante;
En forme de tortuë appliquant leurs boucliers,
S'auançoient vers le mur ouuert par les beliers,
Et gardant d'vn pas ferme vne ordonnance égale,
Pressoient les assiégez de leur lame fatale;
Quand l'arrogant Emor, qui les void approcher,
Pousse sur leurs boucliers des masses de rocher,
Et par l'huile qu'il verse, ou les pierres qu'il lance,
Ouure leurs rangs serrez, et rompt leur ordonnance.
D'vn deluge boüillant les-vns sont embrasez;
D'vn orage accablant les-autres écrasez;
D'autres, moins résolus, la fuite est le refuge,
Et contre cét orage, et contre ce deluge.
Leur orguilleux vainqueur triomphe insolemment,
De les voir en déroute, ou dans le monument.
Où veniez-vous, dit-il, téméraire jeunesse!
Esprouuer vostre force, et montrer vostre adresse?
Icy, de jeunes gens, plus adroits, et plus forts,
Rendent vains, aujourd'huy, vôtre art, et vos efforts.
Ô qu'il vous coûte cher d'auoir eu cette enuie,
Puis que nous vous priuons et de gloire et de vie!
Vôtre sort, toutefois, peut faire des jaloux,
C'est trop d'honneur aux iuifs de tomber sous nos coups.
Telle estoit du payen l'insolente brauade,
Quand Pélet, qui sur luy jette vne fiére oeillade;
S'élance vers la bréche, et le dard à la main,
Luy va fermer la bouche, en luy perçant le sein,
Il meurt, et son esprit que la rage déuore,
Cherche en vain ses vaincus, qu'il veut railler encore.
C'est ainsi que se jette à corps précipité,
Sur vn chien aboyant, le sanglier irrité;
De sa meurtriére dent la poitrine luy perce;
Et presqu'en vn moment le frappe, et le renuerse.
Le valeureux Pélet qui secondent les siens,
Presse, alors, de son fer le front des syriens;
Les payens que surprend sa généreuse audace,
N'osent luy resister, et luy cédent la place.
Mais Ramat les r'asseure en ce pressant mal-heur,
Et le nombre, à la fin, surmonte la valeur.
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En suite, Vr et Caleb, chacun suiuy de mille,
Echellent le rempart de la tremblante ville;
Déja leur main s'accroche aux superbes creneaux,
Et du mur chancelant arrache les drapeaux.
L'assiégé s'en effraye, et l'effroy qui le domte,
Fait qu'il résiste mal à l'ennemy qui monte.
Il céde, et mesme il fuit, et la forte cité,
Alloit voir, à ce coup son rempart emporté,
Si le roy syrien, au fort de ces alarmes,
N'eust porté dans ce lieu sa présence et ses armes.
Ah! Dit-il, syriens, lâches et mal-heureux,
Voulez-vous donc ployer sous le joug des hébreux;
Et quand il faut mourir plûtost que de se rendre,
Receurez-vous leurs loix, mesme sans vous defendre?
Mais plûtost d'vn pas ferme et d'vn front asseuré,
Présentez à leurs yeux vôtre fer acéré,
Et portant à leur coeur des blessures mortelles,
Ioignez leur prompte chûte, au fracas des échelles.
À ces mots, tout-fumant d'vn furieux courroux,
Pour défendre sa ville il marche deuant tous,
Prend de ses combatans la redoutable élite,
Ecarte du rempart le braue israëlite,
Luy porte le trépas, et de-loin, et de-prés,
Et l'accable de feux, de pierres, et de traits.
De-mesme on void vne ourse, à la laide figure,
Qui défend ses petits sur sa taniére obscure;
Qui retient les chasseurs par ses rudes élans;
Qui leur jette en fureur mille cailloux volans;
Qui des ongles les perce; et des dents les déchire;
Et fait que le plus ferme en tremblant se retire.
Iéroboam, qui void sous ce bras valeureux,
Tomber confusément chef, et soldats hébreux,
Le coeur gros, et percé d'vne douleur extréme,
À ce foudre viuant va s'opposer luy-mesme.
À-moy, dit-il, à-moy, monarque syrien,
Ce bras royal aspire à triompher du tien,
Il vient vanger la mort de mes sujets fidéles:
Voicy l'heure, et le lieu, pour vuider nos querelles.
Le payen luy répond: ie te feray sentir,
De tes injustes faits le juste repentir;
Et ie vay, par la mort que ma dextre t'apreste,
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Ioindre à tous mes vaincus vne royale teste.
À ces mots, les deux roys au combat animez,
Iettent plus d'vn éclair de leurs yeux enflammez,
D'vne égale fureur l'vn vers l'autre s'élance,
Du succés de l'assaut leur main tient la balance,
Leurs gens, à chaque coup, sentent batre leur coeur,
Attendant, en suspens, qui sera la vainqueur.
Ainsi void-on, par-fois, sur l'indienne plage
S'attaquer pour l'honneur d'vn fécond pasturage,
Le fier rhinocerot, et l'énorme eléphant,
Dont l'vn va contre l'autre au combat s'échauffant.
À l'effroyable aspect de leur guerre sanglante,
Les autres animaux sont transis d'épouuante,
L'attente du succés, la crainte du danger,
Suspendent tous leurs soins jusqu'au soin de manger.
Chacun des roys; armé de son fort cimeterre,
Oppose foudre, à foudre, et tonnerre à tonnerre;
Leurs boucliers, leurs armets, n'ont ni mailles, ni cloux,
Qui ne tombent bien-tost sous leurs terribles coups,
Et leurs corps agitez n'ont artére ni veine,
Qui ne brûle d'ardeur, et ne s'enfle de peine.
Le prince hébreu se baisse, et cherchant le moyen
De plonger son épée au flanc du roy payen;
Il reçoit dans la jouë vne légére atteinte,
Et du fer ennemy la pointe en paroist teinte.
Irrité par ce coup, il joint la force à l'art,
Et perce au syrien vn bras de part-en-part.
Le bras, par la douleur, le bouclier abandonne;
Mais le coeur, plus constant, à-peine s'en étonne.
Le roy payen se dresse, il léue l'autre bras,
Et du monarque hébreu méditant le trépas,
Il atteint son armet d'vne roideur si forte,
Qu'il en priue sa teste, et loin d'elle l'emporte.
Les deux roys plus ardens font vn nouuel effort,
La ville, assez long-temps, void balancer son sort,
Iéroboam, enfin, sur son ennemy passe,
D'vn coup étourdissant l'étend sur la terrace,
Et comme il croit déja le tenir dans ses fers,
Vn je ne sçay quel charme excité des enfers,
Offusque ses regars, par vn trompeur nuage,
Qui du roy syrien luy cache le visage,
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Qui dérobe et rauit les payens étonnez
Aux hébreux, dont les murs sont déja couronnez.
Puis, il void, ou croit voir, vn mur inaccessible,
Qui borne les desseins de son coeur inuincible,
Et sur les feints creneaux, mille et mille soldats,
Armez de forts épieux, et d'ardens coutelats,
Cét objet qui s'oppose à l'attaque auancée,
Luy fait tourner ailleurs sa vaillante pensée.
Il desçend du rempart, et d'vn rapide cours,
Va, vers vn autre endroit, faire rouler ses tours.
Mais il void d'autres tours aux siennes opposées,
Pleines de feux ardens, et de mains embrasées,
Qui s'élancent sans cesse, ou semblent s'élancer,
Pour brûler ses soldats, et pour les renuerser.
Vn sorcier de la ville est l'auteur de l'ouurage,
Qui rauit aux hébreux la force et le courage,
Sur les murs déja pris, l'art de ses noirs poumons,
Euoque, et fait régner le pouuoir des démons.
Le roy iuif, et ses gens, en ont l'ame surprise,
Et quittent de l'assaut l'importante entreprise;
Quand Ionas, qui connoît l'artifice infernal,
Vient auec l'étendard, à l'ennemy fatal,
Quoy! (dit-il aux hébreux, qui vont prendre la fuite)
Quand la valeur payenne aux abbois est réduite,
Et quand la ville est preste à tomber sous nos loix,
Laissez-vous perdre ainsi le fruit de vos exploits?
Hé! Ne voyez-vous pas qu'vne infernale ruse,
Par de vaines vapeurs vous trouble et vous abuse,
Et que ma seule voix, et le saint estendart
Peuuent facilement en purger le rempart?
Reprenez-donc courage, et sur les tours fidéles,
Allez porter la guerre aux murailles rebelles,
Dieu veut que le prémier, pour conduire l'assaut,
Monté sur cette tour, ie paroisse au plus-haut;
Et bien-tost des enfers la force dissipée,
Va faire en la cité triompher vôtre épée.
Le prophéte à ces mots, plus viste qu'vn éclair,
Va sur la tour roulante, et se guinde dans l'air.
À-peine il y paroît, que l'etendard qui vole,
Euente des démons l'artifice friuole,
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Comme l'astre du iour, aux humides climats,
Dissipe la broüée, et l'horreur des frimats,
Ou comme le zéphyre, aux montagnes de Thrace,
Chasse les aquilons de leurs trônes de glace.
Le saint, sur ce haut faiste où sa vertu reluit,
Par ces mots triomphans rend le charme détruit;
Retirez-vous, démons! Cédez-nous la victoire;
Ma voix vous le commande, au nom du roy de gloire;
Et malgré le sorcier qui vous oste aux enfers,
Abandonnez ces murs, et rentrez dans vos fers.
À ces graues accens de sa voix éclatante,
Ioignant le mouuement de l'enseigne flotante,
Il ébranle Damas, et fait de-toutes-parts,
Chanceler ses maisons, et trembler ses remparts.
Il agite, en parlant, les poutres, et les marbres,
Comme le fier Autan meut les branches des arbres,
On diroit que la ville est preste à succomber,
Et le peuple effrayé croit qu'elle va tomber.
Le prince syrien, a mille morts en bute,
Craint d'estre, auec les siens, accablé sous sa chûte,
Il quitte la cité, par le sorcier conduit,
Et passe nostre camp inuisible, et sans bruit.
Le soldat, l'habitant, à ces rudes alarmes,
De leurs tremblantes mains, laissent tomber les armes;
Abandonnent la ville, et vont d'vn humble coeur,
Implorer à genoux la pitié du vainqueur.
Le roy iuif leur pardonne, il épargne leur vie,
Prend la ville, à ses loix, desormais, asseruie,
Puis suiuy de son camp, ce vainqueur glorieux,
Adresse vers Emat ses pas victorieux.
Au bruit de ses exploits, Emat ouure ses portes,
Et reçoit de Iacob les vaillantes cohortes,
Le prince triomphant retourne en son estat,
Dieu rend ses jours heureux; mais ce roy trop ingrat,
De son grand bienfaicteur la sainte loy viole;
Et du prophéte saint rejette la parole.
Celuy-cy, loin du bruit d'vne insolente cour,
Auoit pris pour retraitte vn tranquile sejour;
Et ie ne comprens pas, quel ordre, ou quel mystére,
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L'a pu faire sortir de ce lieu solitaire.
Là, finit le récit des merueilleux exploits,
Où Ionas signala son courage et sa voix.
Le pilote l'admire, il célébre sa gloire,
Puis, du fameux Elie, il demande l'histoire;
Achéue, Aman, dit-il, d'étaller les hauts-faits,
Dont n'aguére ta voix traçoit les prémiers traits,
Lors qu'Elie, animé d'vne fureur diuine,
Suscitoit aux tyrans la fatale famine,
Et faisoit auec pompe éclater sa vertu,
En releuant Ionas par la mort abbatu.
Ie rendray, dit Aman, ton attente remplie,
Ie te dois ce récit pour la gloire d'Elie.
Il médite vn moment, aprés ces graues mots;
Puis, il reprend le fil de ses doctes propos.
Déja, depuis trois ans, la campagne deserte,
Aux hébreux étonnez faisoit craindre leur perte,
Lors que le roy du ciel touché de leurs regrets,
Promit de redonner la pluye à leurs guérets,
Va, dit-il au prophéte, et te fay voir au prince,
Dont mon ardent courroux embrasoit la prouince,
Fay que son coeur m'adore, et renonce à Baal,
Et pour luy de mes eaux i'ouuriray le canal.
Il part, incontinent, apres cette parole,
À voir comment il court on diroit qu'il y vole;
Il sait mesme qu'Achab conspire son trépas,
Sans ébranler son coeur ni retarder ses pas.
Dés que le roy le void, il prend vn front séuére,
Et luy tient ce discours, qui marque sa colére;
N'est-ce pas toy, méchant, qui par des voeux malins?
D'vn estat florissant as changé les destins?
Qui t'oblige, cruël, à nous faire la guerre,
Rendant le ciel, d'airain, et de fer, nostre terre:
Ne crains-tu pas, enfin, que par mes propres mains,
Ie venge d'vn seul coup tant d'actes inhumains?
Comme quand le lion affamé, plein de rage,
Ne se peut assouuir de sang et de carnage,
Il déchire en passant les feüilles des forets,
Et déclare la guerre aux épics des guérets,
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Ainsi, cét oppresseur que la disette opprime,
Se prend à l'innocent de l'effét de son crime;
Et sa colére injuste et son aspre douleur,
Au magnanime Elie imputent son mal-heur.
Mais que luy dit, alors, le généreux prophéte?
Ce n'est pas moy, dit-il, qui cause ta disette,
C'est toy, ce sont les tiens, dont les crimes nouueaux,
Font fermer au seigneur la source de ses eaux.
Vous adorez Baal, et vostre ame infidéle,
Transporte à ce faux-dieu, son amour, et son zéle;
Si la faim vous desole aprés vn tel forfait,
Plaignez-vous de la cause, et non pas de l'effet.
Ie t'offre, toutefois, vne preuue certaine,
De ce qui fait ton crime, et qui cause ta peine.
I'entreprens de montrer que l'infame Baal,
Du seigneur que i'adore est l'indigne riual.
Alors, douteras-tu, que ton mal ne procéde,
De l'amour qui, pour luy, t'aueugle et te posséde?
Commande qu'on s'assemble, et que tout Israël,
Se trouue aupres de toy sur le mont de Carmel:
Qu'en l'honneur de tous-deux on égorge des bestes,
Que i'en offre au seigneur; à Baal, ses prophétes;
Et celuy qui du ciel obtiendra la faueur;
Soit le dieu d'Israel, et le roy de ton coeur.
Achab de son aueu ce discours accompagne,
Et vient suiuy du peuple, en la haute montagne,
Mais quand le roy s'y rend, l'injuste Iézabel,
Refuse sa présence à l'essay solemnel,
Craignant, si le vray Dieu son idole surmonte,
D'exposer vn tel front à rougir de sa honte.
Déja, chacun attend, qu'vn feu lancé des cieux,
Décide sur Carmel le combat glorieux.
Déja pour l'attirer sur des boeufs qu'on immole,
Les prestres de Baal reclament son idole,
Et decoupant d'vn fer leurs cuisses et leurs bras,
Ioignent leur sang qui fume, aux voeux qu'il n'en-
Tend pas.
N'est-ce point, dit le saint, que quelque grande affaire,
Occupe ailleurs le dieu que vostre ame réuére,
Qu'vn procés, vn voyage, ou quelque pareil soin,
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Vous rauit sa présence en ce pressant besoin?
Ou, plustost, n'est-ce point que ce bon dieu sommeille?
Parlez-luy donc si-haut qu'il entende et s'éueille;
Dites-luy qu'il renonce au somme injurieux,
Qui ferme son oreille aussi-bien que ses yeux;
Qui pour vaincre aujourd'huy rend ses mains inhabiles;
Et vous tire du sang, et des voeux inutiles.
Mais en faueur des siens, et contre l'ennemy,
Baal est tousiours sourd, muët, foible, endormy.
Elie, aprés ces mots, offrant son sacrifice,
Dieu l'exauce, et le ciel à ses voeux plus propice;
Fait luire vn feu brillant, dont la soudaine ardeur
Consume son offrande, et rend son dieu vainqueur.
Le peuple, par vn cry qui pénétre la nuë,
Du grand dieu d'Israël la victoire saluë.
Ainsi, lors qu'en la lice vn généreux guerrier,
Sur son vain concurrent emporte le laurier;
Chacun pour sa valeur applaudit à sa gloire;
Et fait tout retentir du bruit de sa victoire.
Les prestres de Baal, en victimes changez,
Sont par l'ordre d'Elie aussi-tost égorgez:
Et le peuple, témoin de leurs actes impies,
En void la juste fin dans celle de leurs vies.
Achab voyant Baal vaincu par l'eternel,
Abandonne l'erreur d'vn culte criminel,
Et Dieu, pour accomplir sa promesse diuine,
Vient noyer dans les eaux, la cruëlle famine.
D'abord, contre ce monstre on ne luy void armer,
Qu'vne foible vapeur qui monte de la mer,
Et qui ne semble auoir dans les airs suspenduë,
Que la simple largeur de la main étenduë.
Mais ce petit amas d'vn insensible cours,
Et s'étend, et se pousse, et s'augmente tousiours;
L'air, en peu de momens, se remplit de son ombre,
Et le ciel est couuert d'vn voile large et sombre.
Ce voile est secoué par vn vent amoureux;
Ce vent émeut l'humeur du voile ténébreux;
Le coupe en mille endroits, à longs filets liquides,
Qui coulent dans le sein des campagnes arides;
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Et forment dans les airs comme vn vaste arrosoir,
D'où le ciel fait par-tout sur la terre pleuuoir.
C'est ainsi qu'vn ruisseau qui rampoit dans sa source,
S'enfle par les tributs qu'il léue dans sa course,
Et deuient vn grand fleuue, vn fleuue impétuëux,
Qui n'a plus pour ses bords vn pas respectuëux;
Qui ne connoissant plus ni guide ni barriére,
S'ouure dans la campagne vne libre carriére.
Tandis que d'vn beau noir le firmament se peint,
L'allégresse d'Achab éclate sur son teint;
La pluye est à ses yeux vn objet plein de charmes;
Il y trouue l'image, et la fin de ses larmes.
Le peuple, comme luy, sent flater sa raison,
Par l'espoir d'vne heureuse et fertile saison,
De l'orage qui tombe, il n'est nul qui se plaigne,
Nul qui ne le bénisse, et nul qui ne s'y baigne.
Tels qu'on void les pigeons au bord d'vn clair ruisseau,
Eteindre leur ardeur dans le crystal de l'eau,
Et foüillant de la teste, ou tremoussant des aisles,
En faire rejallir de moites étincelles.
Tels, et plus gays encor, les hébreux satisfaits,
Dans les lieux où leur dieu leur verse ses bien-faits,
Reçoivent les doux flots que le ciel leur enuoye;
S'humectent dans la pluye, et nagent dans la joye.
Cependant, Iézabel apprend qu'vn coup fatal
Vient de trancher les iours des prestres de Baal;
Que le saint dont les voeux ont la terre humectée,
Rend aussi, par la mort, la terre ensanglantée.
L'injure, dans son ame, étouffe le bien-fait,
Elle veut, par son sang, voir leur sang satisfait.
Mais le saint, qui de Dieu sait venger la querelle,
Se dérobe au dessein de sa trame cruëlle.
Il erre en vn desert que ses tristes regrets,
Ont fait le confident de ses ennuis secrets.
Là, de son foible corps, son ame dégoûtée,
Voudroit quitter ce corps, qui l'a presque quittée,
Et demande au seigneur que brisant sa prison,
Il la prenne, et la loge en sa sainte maison,
Auant que de la faim la rigueur trop pressante,
Fasse d'elle vne esclaue infirme et languissante.
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Et comme les ennuis, aprés de longs efforts,
Abbatant nos esprits assoupissent nos corps;
Les pauots du sommeil naissent de sa tristesse,
Et lassé de chagrin, il s'endort de foiblesse.
Tandis qu'en ce repos, le saint s'enséuelit,
Faisant d'vn vert gazon et sa couche et son lit,
Dieu, qui de tous ses maux est l'vnique reméde,
Fait signe au grand Michel de voler à son ayde.
L'ange, au clin de ses yeux, d'vn léger mouuement,
Fend le mobile azur du riche firmament,
Il se reuest d'vn corps dont il prend la matiére,
Dans vn air pur et vif qui brille de lumiére;
Et de ce corps, formé d'vne immortelle main,
La taille est plus qu'humaine, et tout l'air plus qu'humain;
À ce corps lumineux il attache des aisles,
Où brillent viuement les couleurs les plus belles,
Et du superbe pan le plumage orguilleux,
Se peint aux rais du iour de trais moins merueilleux.
Vn habit blanc, et ceint d'vne écharpe incarnate,
Sur le saint messager pompeusement éclate;
Et le port de son corps, quoy qu'il soit emprunté,
Mesle tousiours la grace auec la majesté.
Sa tresse sur son chef luisante et vagabonde,
Imite du soleil la cheuelure blonde,
Ses yeux ont assemblé dans leurs globes charmans,
Les feux de l'ecarboucle, et l'eau des diamans,
Les plus aymables fleurs sur son teint sont écloses;
Et l'on y void les lys qui se meslent aux roses,
Sa bouche est vn objet, où l'esprit et les sens,
Trouuent également des attraits rauissans,
Où le viuant coral de deux lévres vermeilles,
Laisse voir deux beaux rangs de perles nompareilles,
Où les oracles saints font couler des douceurs,
Qui chatoüillent l'oreille, et captiuent les coeurs.
L'ange apporte au prophéte en ses mains charitables,
De son corps affoibly les soûtiens secourables,
Il s'éueille, il se léue à la voix du héraut
Que luy daigne enuoyer la faueur du tres-haut,
Il se nourrit d'vn pain que l'ange luy présente,
Et Dieu rend de ce pain la vertu si puissante,
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Qu'il void quarante fois le clair flambeau du jour,
Fournir le long chemin de son oblique tour,
Et iusqu'au mont d'Horeb guider ses traces saintes,
Sans que de l'aspre faim il sente les atteintes.
Arriué sur ce mont, auguste et sacré lieu,
Qu'a rendu si fameux la présence de Dieu,
Le prophéte apperçoit vne cauerne obscure,
Et reçoit ce logis des mains de la nature;
C'est-là que son esprit déplore en ses douleurs,
Et les maux d'Israël, et ses propres mal-heurs.
Et c'est-là que son dieu, par sa douce parole,
De son coeur affligé la tristesse console.
Auant qu'aux yeux du saint s'étale sa faueur,
Vn vent impétuëux qu'enfante sa fureur;
Qui fait croûler les monts, et qui brise les roches,
Marque de ce grand dieu les terribles approches;
En suite, vn feu brûlant marche deuant ses pas,
Mais ce vent ni ces feux ne le luy montrent pas.
Enfin, il oit vn son doux, subtil et paisible,
Où Dieu rend au grand saint sa présence visible,
Et d'où luy promettant sa grace, et son appuy,
Il s'enquiert du sujet qui cause son ennuy.
Ah! Seigneur, répond-il, quand de ton alliance,
Ie voy rompre les noeuds auec tant d'insolence;
Quand ie voy qu'Israël ose encenser Baal,
Qu'il t'ose préférer cét infame riual.
Quand ie voy Iézabel, qui depuis peu de lustres,
A fait choir sous son fer tant de testes illustres,
Et par qui i'aurois veû la mienne trébucher,
Si ta dextre à ses mains n'auoit seû la cacher,
L'injure qu'on te fait, et celle qu'on me trame,
Lassent ma patience, et desolent mon ame.
Comme vn sujet fidéle, à qui de tous costez,
Insultent de son roy les sujets réuoltez,
Void d'vn oeil affligé leur aspre felonnie,
Qui régne, qui triomphe, et demeure impunie;
Tel le fidéle Elie, en ce lugubre état,
Des ennemis de Dieu void le lâche attentat;
Et son esprit réduit au secours de sa bouche,
Exhale tristement la douleur qui le touche.
Mais son dieu le console, en luy faisant sauoir
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Qu'il veut dans la Iudée affermir son pouuoir,
Que pour voir en ses oints sa force authorisée;
Pour prophéte en sa place il désigne Elisée,
Que des fiers syriens Hazaël sera roy;
Qu'Israël de Iéhu reconnoîtra la loy;
Que les armes des vns, de l'autre les miracles,
Rompront, pour son honneur, toute sorte d'obstacles:
Et qu'encor la Iudée a sept mille mortels,
Qui n'ont point de Baal encensé les autels.
Elie à cét auis, descend de la montagne,
Et dés qu'il peut fouler la prochaine campagne;
Il découure Elisée, et de luy s'approchant,
Quand il fait des sillons de son coutre tranchant,
Du manteau, qui luy sert, il couure sa personne,
Pour signal des vertus dont son dieu le couronne;
Et par l'ordre du ciel cet humble laboureur,
Obtient d'vn grand prophéte et le rang et l'honneur.
Ie ne veux point icy te raconter les guerres,
Dont la rage, en ces iours, ensanglanta nos terres,
Ni r'appeller d'Achab les illustres combats,
Où se fit remarquer son courage, et son bras,
Lors que, plus d'vne fois, le fier roy de Syrie,
Tomba sous sa valeur autour de Samarie.
Mais, qui l'eust iamais creû, qu'vn roy victorieux,
Qu'Achab qui moissonnoit cent lauriers glorieux.
Brûlât honteusement d'vne auarice insigne,
Qu'il voulust par vn meurtre aquerir vne vigne?
Il est vray, toutefois, que ce prince inhumain,
Dans le sang de Nabot osa tremper sa main,
Et qu'vn morceau de terre, vn chétif héritage,
Fut la cause innocente et le prix de sa rage;
Elie, apres vn coup si lâche et si cruël,
En ces termes, reprit Achab, et Iesabel.
Donc, ô couple inhumain! Vostre injuste auarice,
A fait du bon Nabot vn sanglant sacrifice;
Et sans considérer sa vertu ni son rang,
Pour luy rauir son bien, a répandu son sang?
L'eternel, dont ma voix annonce la menace,
D'vn supplice pareil punira vostre audace,
Et le sang de Nabot lâchement égorgé,
Par le sang de tous-deux sera bien-tost vengé.
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L'vn finira sa vie en perdant des batailles;
Et de l'autre les chiens rempliront leurs entrailles;
Bien-plus, pour vous punir iusques dans le tombeau,
Vos successeurs perdront le sceptre, et le bandeau,
Et c'est peu du bandeau, puisque mesme la vie,
Leur sera, comme à vous, impunément rauie.
Ainsi parloit Elie, et son cry menaçant,
Fut suiuy d'vn effet qui vengea l'innocent,
L'héritier des tyrans d'vne chute fatale,
Tomba par le treillis de sa superbe sale.
Et ce coup, par de lents, mais de cruëls efforts,
Le fit, enfin, passer sous l'empire des morts.
Quoy que de Belzébub il consultast l'oracle,
Qui pour le conseruer ne pût faire vn miracle;
Le iour que le demon fut par luy consulté,
Le grand saint foudroya sa noire impiété,
Luy prédisant le coup fatal à ses années,
De la part du grand dieu qui fait nos destinées.
Ce prince, alors, outré de rage et de douleur,
Contre l'homme de Dieu qui prédit son mal-heur,
Arme de ses guerriers trois troupes redoutables,
Pour plonger dans son sein leurs armes détestables.
Deux des fiers escadrons à sa perte animez,
Sont des flames du ciel, atteints; et consumez,
Dés que sa voix demande au seigneur des armées,
Qu'il oppose à leurs dards, ses fléches enflammées.
Ainsi, quand le pigeon est prest d'estre rauy,
Par de sales vautours dont il est poursuiuy,
L'archer, frappant ceux-cy de ses fléches mortelles,
Sauue le pauure oyseau de leurs serres cruëlles.
Le troisiéme escadron, joignant à son aspect,
Vne frayeur prudente, auec vn saint respect.
Le saint retient les dards de la rouge tempeste,
Qu'à son proche besoin Dieu tenoit toute-preste.
Elie auoit déja, par ses faits merueilleux,
Rompu les noirs projets des tyrans orguilleux.
Lors que Dieu l'auertit que la céleste voute;
Offre à ses justes pas vne immortelle route;
Et que dans les combas ayant tousiours vécu,
Il est temps qu'il triomphe, apres auoir vaincu.
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Dés que luit le beau jour, dont la viue lumiére,
Luy doit ouurir du ciel l'éternelle carriére,
Au delà du Iourdain il va chercher le lieu,
D'où son corps doit monter au palais de son dieu.
Son disciple le suit, sur le moite riuage
Où les flots du Iourdain viennent briser leur rage,
Là, pour le trauerser, sans pont, ni sans bâteau,
Le grand saint le frappant trois fois de son manteau,
Maîtrise de ses eaux la course vagabonde,
Il se fait vn passage au trauers de son onde;
Il corrige l'orgueil, et régle le courroux,
Des flots qui murmuroient sur de rudes cailloux.
Les poissons, en nageant trouuent vne barriére,
Qui les contraint d'abord de tourner en arriére,
Et ceux qui sont trop prompts, et poussent trop auant,
Se trouuent arrestez sur vn bord deceuant.
Et sautélent long-temps pour réjoindre l'eau claire,
Dont ils auoient perdu l'asyle salutaire.
Aprés que d'vn pied sec, par vn effet soudain,
Ils ont foulé le lit du superbe Iourdain,
Elie, à qui le ciel est promis pour partage,
Enuisage Elisée, et luy tient ce langage.
Voicy le lieu, dit-il, où la vertu des cieux,
Doit bien-tost m'enleuer loin de tes foibles yeux,
Tandis que tu me vois, et que par ma présence,
Ie puis en ta faueur déployer ma puissance,
Quel bien desires-tu que j'obtienne pour toy,
De ce dieu dont l'esprit fut toûjours auec moy?
Le disciple ayant l'ame à la douleur ouuerte;
Quel bien, luy répond-il, peut réparer sa perte?
Puis-qu'en te rauissant le ciel me va rauir,
Auec l'heur de te voir celuy de te seruir?
Fay que l'esprit diuin dont ton ame est remplie,
Montre en mes actions sa puissance accomplie;
Afin que succédant à tes dons glorieux,
Ie trauaille, aprés-toy, pour la gloire des cieux.
Ton ame, dit-Elie, a de grandes visées,
Toutes choses, pourtant, te deuiendront aisées;
Si le ciel en m'ouurant ses éminens remparts,
Ne cache point ma gloire à tes fermes regards;
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Adieu. Le ciel brillant, à cét adieu s'entr'rouure;
D'abord, vn char ardent à leurs yeux se découure,
Sa masse étincelante est d'vn or épuré,
Que son ouurier a pris du plancher azuré;
Il en a fait l'éssieu de l'argent le plus rare,
Dont sur vn trône clair la lune au soir se pare,
Chaque rouë où les feux sont fixes et roulans,
Eclate de rubis sans cesse étincelans.
Ce beau char est tiré par deux coursiers superbes,
Qui, bien-loin de bondir sur la pointe des herbes,
Font en-haut de leurs crins reluire les rayons,
Qui de ceux du soleil sont de riches crayons.
Vn soufle lumineux, vne écume brûlante,
Sort ou de leurs naseaux, ou de leur bouche ardente.
De leur brillant abord tout l'air est éclairé,
Sous leurs pas glorieux naist vn fleuue doré;
On void de toutes-parts voler mille étincelles,
Qui font en mille lieux des lumiéres nouuelles:
Ô qu'en te décriuant et sa forme et son prix,
Elisée eust rauy tes sens et tes esprits!
Ta bouche eust confessé que le beau char de l'ourse,
Qui du bout du timon gouuerne nostre course,
Ne jette, au prix de luy, qu'vne foible clarté,
Et luy céde en éclat, aussi-bien qu'en beauté,
Quand il fournit en l'air sa carriere embrasée,
Il encourage Elie, il effraye Elisée;
Ce que le maistre void, comme vn char triomphal,
Le disciple à ses iours le croit déja fatal.
Enfin, ce char pompeux séparant leurs personnes,
Rauit celuy dont l'ame aspire à des couronnes;
Elie en s'éleuant par vn vol glorieux,
S'éloigne de la terre, et s'approche des cieux;
Le feu que ses tyrans éprouuerent funeste,
Luy sert pour l'éleuer en la gloire céleste,
Contre eux il descendit violent et fumeux,
Il monte en sa faueur tranquile, et lumineux.
Le corps du grand Elie en vn plus beau se change;
Et l'esprit qui l'anime a la vertu d'vn ange.
Tel n'est point le phoenix, cet oyseau sans pareil,
Quand il se renouuelle aux rayons du soleil,
Et qu'il change en berceau sa riche sepulture,
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Pour aller contempler cet oeil de la nature.
Tandis qu'auec éclat, ce heros renommé,
S'éléue dans le ciel sur vn trône enflamé:
Le disciple confus, que ce depart desole,
Suit du coeur et des yeux son maistre qui s'enuole.
Ô mon cher bien-faiteur, dont le soin paternel
Me consacra, dit-il, au monarque eternel;
Ô de tout Israël la gloire et la défense!
Nous serons donc priuez de ta sainte présence!
Donc, ô triste Sion! On t'enléue auiourd'huy,
Tes armes et ton char, ta force et ton appuy,
Et tu ne verras plus ce généreux courage
Qui pouuoit te défendre auec son seul langage!
Mon pere, mon cher pere, en changeant de destin,
Tu laisses, auec moy, tout le peuple orphelin,
Et pour comble de deüil, aprés ce coup funeste,
De ta succession nul gage ne me reste.
Elisée, à ces mots, est couuert du manteau,
Par qui le fier Iordain vid maîtriser son eau,
Vne inuisible main consacrant sa personne,
Ainsi que du manteau, de vertu l'enuironne:
Et Dieu, par qui son maistre est monté dans les cieux,
Luy vient faire toucher ce gage précieux.
Mais encor qu'il ressente vne secréte joye,
Quand sur luy du seigneur la vertu se déploye,
Son esprit, pour Elie, est plongé dans le deüil,
Comme si le trepas l'auoit mis au cercueüil.
Il perd tous ses plaisirs, lors qu'il le perd de veuë,
Et l'on void, par ce coup, sa constance abatuë.
Le saint reluit, pourtant, au dessus des mal-heurs,
Qui peuuent iustement faire couler des pleurs:
Car brauant de la mort les injures funestes,
Il a percé les airs, et les sphéres célestes,
Il void ce haut palais dont les saints fondemens,
N'ont iamais redouté l'effort des élemens,
Nul esprit ne comprend sa forme ou sa matiére,
Tout oeil est ébloüy de sa seule lumiére.
Les métaux mis en oeuure y sont plus précieux,
Que tous ceux dont l'eclat ensorcelle nos yeux;
Les plus nets diamans, les perles les plus fines
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Sont de moindre valeur que ses pierres diuines;
Et le bois employé dans ce palais royal,
Ternit la blanche yuoire, et le rouge coral.
Mais de ce grand palais l'admirable structure
Efface des mortels la docte architecture;
Les beaux appartemens aux superbes lambris,
Que la nature et l'art mettent au plus haut-pris.
Les amples basses-cours, les portes magnifiques,
Les escaliers voutez, et les riches portiques;
Tout ce que l'oeüil admire aux autres bâtimens,
Brille dans ce palais auec plus d'ornemens.
C'est-là que l'eternel luit sur vn trône illustre;
Dont les anges ont peine à soûtenir le lustre,
Mais en baissant les yeux deuant ce roy des roys,
Ils célébrent son nom des accens de leur voix;
Et l'éclat de ce lieu joint à leur harmonie,
Y comble les esprits d'vne joye infinie.
Elie est introduit dans ce brillant sejour,
Où son dieu le reçoit entouré de sa cour,
Ce dieu, source de gloire, aussi-bien que de grace,
Luy permet, à-ce-coup, de le voir face-à-face.
Il en void rejallir mille traits radieux,
Qui remplissent son ame aussi-bien que ses yeux;
Et Dieu récompensant son courage fidéle,
Luy met entre les mains vne palme immortelle.
Tel est le conquerant qui reçoit les lauriers,
Que son prince a promis à ses actes guerriers;
Lors que faisant d'vn char vn theatre de gloire,
Son triomphe pompeux succéde à sa victoire.