LIVRE 2
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Le vaisseau sillonnant les campagnes humides
Sur leur front de crystal traçoit de longues rides,
L'eau blanchissoit d'écume, et le moite auiron
Faisoit bruire et rouler les flots à l'enuiron;
Et par vn temps serein, la maritime troupe
Cingloit heureusement de la prouë à la pouppe.
Quiconque a veu le cygne au milieu d'vn étang,
Déployer d'vn air gay son plumage si blanc,
Tandis qu'il ne craint pas que l'aigle foudroyante
Vienne fondre sur luy de son aîle bruyante:
Tel void-il le vaisseau ses voiles déployant,
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Sur le liquide azur de l'empire ondoyant
Et par les mouuemens d'vn gracieux zephyre,
Pressant le sein des eaux qui semblent luy sourire.
Les matelots rauis de la sérénité,
Qu'épanche du soleil la brillante clarté,
Tiennent sur l'eau paisible vne route charmante
Et tendent vers Tarsis, sans craindre la tourmente,
Frappant l'air lumineux de leurs fortes chansons,
Qui sur les champs salés font bondir les poissons.
Entre cent étrangers que le nauire porte,
Paroît vn sage hebreu de qui l'ame est accorte,
C'est Aman, dont l'aspect rend Ionas interdit;
Il reconnoist Ionas, puis l'aborde, et luy dit:
Est-ce toy, grand prophéte? ô rencontre agréable,
Qui nous promet le calme, et le ciel fauorable!
Aman de ton voyage ignore le suiet,
Mais il sçait que ton dieu bénira ton projet.
Ionas, à cét abord, ainsi qu'à ce langage,
Connoist de son amy la voix et le visage;
Et honteux de sentir qu'il fuit le tout-puissant,
Il cache ses desseins, confus et rougissant.
Aman, sans s'éclaircir, si le seigneur l'enuoye,
Luy témoigne, en ces mots, son respect et sa ioye.
Que ie suis satisfait de te voir en ce lieu,
Où tu peux attirer la faueur du vray dieu;
Où ta seule présence écartant les orages,
Va nous mettre à couuert du péril des naufrages!
Aprés que l'on a veu ce grand maistre du sort
T'arracher par Elie au pouuoir de la mort,
Faire seruir ta voix à gagner des batailles,
Employer ta parole à forcer des murailles,
Il peut, en ta faueur, sur l'empire des eaux,
Enchaîner tous les vens que craignent les vaisseaux;
Et mesme commander, par ta voix redoutée,
Le silence et le calme à la mer irritée.
Tandis que l'hebreu parle, et s'explique en ces mots,
Le pilote attentif écoute ses propos.
Ce pilote est sçauant, il sçait l'ordre et la route,
Des feux qu'on void briller dans la céleste voute:
Il sçait leurs ascendans, et connoist les raisons
Des routes du soleil par ses douze maisons,
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Lycidas, (c'est son nom) connoist les moeurs diuerses,
Des grecs et des latins, des scythes et des perses,
Mais, sur tout, il s'applique à cét art curieux
Dont l'adresse examine et le front et les yeux,
Et de leurs traits diuers tire les conjectures
Du destin des humains, et de leurs auantures.
Déja son oeil sçauant, qui court de toutes parts,
Auoit sur le prophéte arresté ses regars,
Et trouué dans son air l'illustre caractére
D'vn homme qui s'éléue au dessus du vulgaire.
Quand par la voix d'Aman il se void confirmer,
Tout ce que sur sa mine il osoit présumer.
Qu'ay-je entendu, dit-il, et quel est cét Elie
À qui ton amy doit vne seconde vie?
Appren-moy de tous deux le mérite éclatant,
Et sur leur grand destin ren mon esprit content.
Ie veux bien, dit Aman, t'apprendre vne auanture,
Où la vertu d'Elie a forcé sa nature;
Mais pour venir au point du miracle qu'il fit,
Ie prendray de plus-haut mon fidéle recit.
Les iuifs dégénérans de leurs sages ancestres
Dont iamais les faux-dieux n'auoient esté les maistres,
Reconnoissoient Baal pour l'objet de leur foy,
Et quittoient le vray dieu pour imiter leur roy.
C'estoit le fier Achab, dont ma fole patrie
Imita lâchement l'infame idolâtrie.
Le grand Elie, alors, eut l'employ glorieux
De défendre l'honneur du dieu de ses ayeux,
Et le diuin esprit l'enflammant d'vn saint zéle
Contre les séducteurs de ce peuple rebelle,
Il s'alla présenter à ce prince brutal,
Et luy tint ce discours à son repos fatal.
Ce grand dieu que ton coeur quitte pour vn idole,
Vengera cét outrage auéque ma parole,
Oüy: ie veux que ma voix ouure, et ferme les cieux,
Pour changer, à mon gré, le destin de ces lieux,
Et puis qu'il faut montrer que ce coup m'est facile,
La campagne est féconde, elle sera stérile.
Ce discours est suiuy d'vn effet violent,
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La terre deuient séche, et le sablon bruûlant,
Le soleil, de qui l'oeil est ardent de colére,
Consume le pays plutost qu'il ne l'éclaire;
Quand du pere du iour les traits sont enflammés,
La reyne de la nuit void ses rais allumés,
Et la chaleur perçant la fraischeur de ses voiles,
On void plutost brûler que briller les étoiles.
Par les mains de la nuit d'autres feux détachés,
Volent comme des dards à-l'enuy décochés;
Il en tombe du ciel, il en sort de la terre,
Qui semblent se choquer et se faire la guerre;
Et l'on void, à-toute-heure, errer mille flambeaux,
Ou vers le firmament, ou parmy les tombeaux.
En suite, vn vent fâcheux qui porte ses haleines
Sur la teste des monts, et dans le sein des plaines,
Fait voler la poussiere, et nous la jette aux yeux,
Nous rauissant le souffle et la clarté des cieux.
Au lieu de respirer, les animaux expirent,
Leur poulmon est brulé par ce vent qu'ils attirent;
On fuit en vain le chaud, on cherche en vain le frais;
Les flames en tous lieux se font boire à longs-traits,
Pour recouurer de l'eau les recherches sont vaines,
Le ciel, loin d'en donner, en priue les fontaines;
Et tarissant le cours des plus vastes canaux,
Egale les poissons aux autres animaux.
On void, parmy les champs, la moisson qui petille,
Tomber par la chaleur, et non par la faucille,
Et les fruits les plus beaux, sur les arbres séchés,
Sans y pouuoir meurir, y pendent attachés.
Des fertiles vergers les richesses périssent;
Et le chaud fait ramper les herbes et les fleurs,
Sans suc et sans éclat, sans force et sans couleurs.
Au-milieu des rigueurs de cette sécheresse,
La soif qui nous attaque, et la faim qui nous presse,
Rend nos coeurs altérés, et nos corps languissans,
Et remplit de douleur nos esprits, et nos sens.
Le pére, sans secours, void mourir sa famille,
Le mary son epouse, et la mére sa fille:
Et l'enfant que la soif presse dans le berceau,
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Au-lieu du lait qu'il cherche, y trouue son tombeau.
Le peuple, alors, succombe, et l'on void le roy mesme,
S'ennuyer de son sceptre, et de son diadême,
La royauté luy pése, et pour se soulager,
Achab, foible à ce coup, voudroit s'en décharger:
Confessant que l'éclat que iette la couronne,
Céde au faix importun des trauaux qu'elle donne.
C'est ainsi que le cerf qu'on reduit aux abbois,
Voudroit se decharger du fardeau de son bois,
De ce vain ornement qui haste sa disgrace,
Et qui le pare, enfin, moins qu'il ne l'embarasse.
Parmy tous ces mal-heurs dont la cruëlle loy
Tyrannise le peuple, et trîomphe du roy:
Le prophéte est conduit par le dieu qu'il adore,
Sur le bord d'vn torrent dont le flot coule encore,
Là de sa soif brûlante il éteint les ardeurs,
Et là, quand de la faim le pressent les rigueurs,
Dieu, pour luy procurer l'entiére nourriture,
Adoucit des corbeaux la sauuage nature:
Si-bien que ces oyseaux soigneux de son destin,
Chaque iour luy font part de leur propre butin.
Le prophéte, d'abord, redoute leur approche
Quand ils fondent vers-luy du plus haut d'vne roche,
Pensant que ces oyseaux augures du trépas,
Font sur son corps mourant le dessein d'vn repas.
Mais il void que poussez d'vne meilleure enuie,
Loin de vouloir sa mort, ils ont soin de sa vie,
Que par vne merueille étrange à raconter,
Leur bec luy vient offrir de quoy se sustanter,
Que chacun l'abordant bat de l'aîle, et croasse,
Et luy fait vn présent des choses qu'il amasse.
Elie à son secours vid voler maint corbeau,
Tandis que le torrent luy put donner de l'eau:
Dés qu'il n'en fournît plus, vne diuine adresse
Luy fit, dans Sarepta, rencontrer vne hostesse,
Chés qui, pour soulager et sa soif et sa faim,
Il ne trouua d'abord ni de l'eau, ni du pain.
Elle n'eut qu'vn peu d'huile, et qu'vn peu de farine,
Qu'il accreut à tel point, par la vertu diuine;
Qu'assisté des faueurs du dieu qui le guidoit,
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Ce qui manquoit ailleurs dans sa loge abondoit.
Celle à qui le grand saint fut alors secourable,
Fut du sage Amitti la veûue charitable,
Elle éleuoit vn fils comme vn gage bien-doux
De l'amour que pour elle eût son fidéle époux;
Et sous son triste toit, contente de ce gage,
Elle passoit ses iours dans vn chaste veûuage.
Tant que l'homme de Dieu fréquenta sa maison,
Pour elle et pour son fils elle eût tout à-foison;
Mais ce fils fut atteint d'vne langueur extréme,
Qui rendit son coeur foible, et son visage bléme;
Percé des traits cuisans du mal qui le surprit,
Son corps ne pouuoit plus retenir son esprit,
Vn feu prompt et malin épanché dans ses veines,
Tarissoit tout le sang dont elles estoient pleines,
Changeoit tous ses esprits en atômes brûlans;
Et luy faisoit souffrir mille accés violens.
Ce mal qui preualut par sa force cruëlle,
De l'humide et du chaud décida la querelle,
Et tyran de son coeur, comme de son cerueau,
De ses iours languissans éteignit le flambeau.
V tel que le ieune lys qui s'éleuant de terre,
Céde à l'aspre chaleur qui luy liure la guerre,
Puis, tombe par les coups du fleau qui le détruit,
Dans le sein altéré du champ qui l'a produit;
Tel ce fils accablé d'vne douleur amére,
Tombe mort dans les bras de sa dolente mére.
Ie ne te diray point les regrets ni les cris
Que poussa cette mére à la mort de son fils,
Tu peux iuger combien elle fut desolée;
Appren comme elle fut par le saint consolée.
Tandis, qu'elle s'afflige et ne fait que pleurer,
Il prend ce cher enfant qui venoit d'expirer,
Il le porte en sa chambre, il le met sur sa couche,
Il s'estend sur son corps, front-à-front, bouche-à-bouche,
Fait des voeux à son dieu pour le voir r'animé,
Et ressuscite en fin cet enfant bien-aymé;
Puis, le rend plein de vie à la veûue fidéle,
Qui pour le dieu du saint sent redoubler son zele,
Cet enfant fut depuis l'oracle de nos roys,
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Et pour te dire tout, c'est Ionas que tu vois.
Le pilote, au récit de cette étrange histoire,
Quel prodige, dit-il, nous veux-tu faire croire?
Qu'vn iuif ait pu changer les ordres du destin,
Rauissant à Pluton sa proye et son butin:
Hercule, de l'Auerne a deliuré Thésée,
Sa valeur luy rendit cette entreprise aisée;
Mais quel autre forçant le pouuoir des enfers,
A pu rendre les morts affranchis de leurs fers?
Hercule, dit Ionas, triomphe dans la fable
Et l'on vid en Elie vn heros veritable.
I'admire, luy repond le pilote sauant,
Ce saint qui l'a veû mort, et l'a rendu viuant.
Tous deux ie vous admire, et ie brule d'enuie
D'estre instruit des hats-faits de vostre illustre vie.
Aman, luy dît Ionas, te rendra satisfait,
Sur ce que par nous deux le tout-puissant a fait.
Pour moy, ie sens couler vne vapeur grossiere,
Qui, dans ce moment mesme, affoiblit ma paupiere,
Et ie cede au sommeil, qui, par ses doux pauots,
M'oblige à vous quitter, pour prendre du repos.
Le sommeillant prophéte, à ces mots, se retire;
Puis, se couche, et s'endort dans vn coin du nauire,
Tandis, son sage amy d'vn ton graue et pieux,
Raconte à Lycidas ses exploits glorieux.
Tu viens, dit-il, de voir vn illustre prophéte,
À qui des syriens nous deuons la défaite.
Et si nous triomphons d'Emat et de Damas,
C'est l'effet de sa voix plutost que de nos bras,
Ces deux fortes citez, par Dauid conquestées
S'estoient contre nos roys lâchement réuoltées,
Et receuans le ioug des princes syriens,
Souffroient qu'on les contast au nombre de leurs biens.
Depuis qu'elles ployoient sous la force ennemie,
Il sembloit qu'elle y fust constamment affermie;
Et nous avions perdu le desir et l'espoir
De les faire rentrer aux loix de leur deuoir;
Lors que nostre grand-dieu, qui peut seul nous les rendre,
Nous apprend qu'il est temps de les aller reprendre.
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Va, dit-il à Ionas, parle au roy des hebreux,
Inspire à son esprit le dessein généreux
D'aller reconquerir les deux villes rebeles,
Qui n'ont que trop porté le ioug des infideles.
Cours, promets-luy mon ayde, et dis-luy de ma part,
Que pour ce grand exploit il haste son depart.
Le prophéte obeït au celeste langage,
Au fier Iéroboam expose son message;
Excite au grand dessein et son bras, et son coeur,
Et luy donne la force et l'espoir d'vn vainqueur.
Dé-ja de tous costés, sous diuerses banniéres,
Le roy fait enrôler cent cohortes guerriéres,
Chacun, à son exemple, endosse le harnois;
Fait sonner sur l'épaule et l'arc et le carquois:
De mille et mille hébreux les mains sont occupées
À polir des boucliers, à fourbir des épées,
Ils équipent des chars, dressent des pauillons:
Et couurent tous les champs de nombreux bataillons.
Tout est prest, le camp marche, et le roy prend la teste:
À sa droite paroist le généreux prophéte,
Dont la sainte présence anime les soldats,
Leur inspire la gloire et l'amour des combats.
Sous les murs de Damas, ils vont porter la guerre;
Sous leurs pas glorieux ils font trembler la terre,
Et de leur fer luisant les durables éclairs
Se ioignent aux clairons, et remplissent les airs.
Le soleil ne versant qu'vne douce lumiére,
Eclaire innocemment leur pompeuse carriére,
Et souffre, en les couurant de sa viue splendeur,
Qu'vn vent aymable et doux soulage leur ardeur,
Au bruit de nostre camp, la Syrie alarmée,
S'arme, et fait auancer sa belliqueuse armée:
Elle vient, elle fond comme vn nuage épais,
Menaçant nostre camp d'vn orage de traits.
Le chef qui la commande, est le roy de Syrie,
Qui luy parle, en ces mots, transporté de furie.
Sus, dit-il, compagnons portons de iustes coups
À ces iuifs dont l'orgueil s'ose attaquer à nous.
Allons fouler aux pieds leur superbe arrogance,
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Tranchons auec leurs jours leur friuole espérance,
Et qu'à leur vaine audace il ne soit plus permis,
D'aspirer de nous vaincre, et de nous voir soumis.
On a veu par les iuifs la Syrie attaquée;
Mais jamais sans tomber, les iuifs ne l'ont choquée.
Et nous verrons encore par nos armes, domtés,
Ces prétendus vainqueurs de nos fortes cités,
Ils disent que leur dieu leur promet la victoire,
Mais nostre dieu Rimmon nous conduit à la gloire,
Et déja par nos mains s'apreste à les punir,
D'auoir osé prétendre vn heureux auenir.
Allons donc les abbatre, et si dans cette guerre,
Ils doivent à nos yeux occuper cette terre;
Que ce soit par leur chute, et que nos champs si beaux
Ne soient conquis par eux qu'à titre de tombeaux.
Ce roy présomptueux, par cét ardent langage,
Inspire à tous les siens l'orgueil de son courage;
Et pour tous nos guerriers leurs donne vn tel mépris,
Qu'on les croit déja voir, ou terracés, ou pris.
Le roy iuif, d'autre-part, d'vne ardeur viue et forte,
Encourage les siens, aux grans faits les exhorte,
Passe de rang en rang, et luisant sour le fer,
Les excite à combatre, à vaincre, à triompher.
Mais Ionas, qui l'assiste au milieu des alarmes,
Cét esprit qui se mesle au foudre de ses armes,
Leur promet, de la part du monarque des cieux,
Vne force inuincible, vn succez glorieux.
Nous vainquerons, leur dit-il, et malgré cét obstacle
Dieu commance aujourd'huy d'accomplir son oracle,
Ce camp qui va tomber, par vn triste destin,
À nos pas triomphans ouure vn ample chemin,
Et fait que nous allons, en gagnant des batailles,
De Damas et d'Emat emporter les murailles:
Le dieu que nous seruons, le grand dieu des combats
Echauffera nos coeurs, et poussera vos bras;
Par vous il portera la mort inéuitable,
Aux profanes deuots d'vn idole exécrable.
Ie voy les syriens défaits par les hébreux;
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Et ie voy leur faux-dieu qui trébuche auec-eux.
Qu'on aille donc les vaincre, et que ma prophétie,
À leur confusion soit bien-tost éclaircie.
Les hébreux font alors, au son de cette voix,
Retentir de leurs cris les rochers et les bois;
À ce bruit éclatant les syriens répondent,
Et des deux camps, enfin, les clameurs se confondent.
Comme deux fiers torrens, dont les flots diuisez;
Descendent en fureur de deux monts opposez,
Et par l'affreuse guerre où les porte leur rage,
Menacent les guérets d'vn étrange rauage;
Tels, et plus fiers encor, les deux camps ennemis,
Se détachant du poste où leur choix les a mis,
Vont d'vne ardeur égale ensanglanter la plaine,
Qui deuient le théatre et le champ de leur haine.
À l'aspect de Damas sont deux tertres voisins,
Fertiles en froment et féconds en raisins,
Leur commode hauteur dont l'accés est facile,
D'vn panchant assez doux s'abaisse vers la ville;
De l'vn et l'autre camp les deux chefs courageux,
Vont chacun s'emparer d'vn poste auantageux;
Et pour faire choquer leurs redoutables lances,
Précipitent leurs cours, de ces deux éminences.
Cent et cent bataillons sur la plaine ondoyans,
Font reluire le fer des glaiues flamboyans;
Et de chaque costé les phalanges pressées,
Font comme deux forets de piques hérissées.
La trompette bruyante, à ce moment fatal,
Entonne du combat le desiré signal,
Le généreux coursier, dans sa fougue animée,
De ses hennissemens remplit toute l'armée;
Et plus que les cheuaux, les guerriers furieux,
Se menaçent déja de la voix et des yeux.
On se joint, on se mele, et l'air gros de poussiére,
Offusque le soleil et noircit la lumiére,
On void les etendars choquer les etendars,
Et les deux camps combatre à l'ombre de leurs dards.
Mais des profanes traits que le syrien pousse,
Le bois se brise en l'air, et la pointe s'émousse;
Et de nos javelots, heureusement lancez,
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Les corps de ses soldats sont atteints et percez.
Ionas, par la vertu d'vne ardente priére,
Préside aux diuers coups de la grêle meurtriére,
Si-bien que des hébreux les iours sont épargnez,
Lors que de sang payen les guérets sont baignez;
L'ennemy veut tenter le tranchant de l'épée,
Dés qu'il void par les dards son attente trompée;
Et contre nostre camp combattant de plus prés,
Croit réparer l'affront des fléches et des traits.
Mais dés que de Iacob les cohortes vaillantes,
Font-ferme auec le fer de leurs lames brillantes;
Celles des ennemis, trahissant leurs desseins,
Se brisent comme verre, et leur tombent des mains.
À ce nouuel affront le payen se trauaille,
À changer prudemment l'ordre de la bataille;
En vn gros se ramasse, et jette sur les flancs,
D'intrépides piquiers deux redoutables rangs;
Mais le roy d'Israël, forçant cette barriére,
S'ouure dans la meslée vne illustre carriére,
Tel que descend d'vn mont vn rapide torrent,
Qui perce vne chaussée et l'emporte en courant.
D'abord son bras vainqueur, plus craint que les tempestes,
De Cusan et d'Adad abbat les fiéres testes;
Et ce couple, en mourant, peut encore estre vain,
De tomber sous les coups d'vne royale main.
À d'autres, aprés-eux, il rauit la lumiére,
Précipitant leurs jours à leur heure derniére,
Les chefs et les soldats secondent ses efforts,
Et jonchent les sillons de blessez et de morts;
Caleb, d'vn grand revers, fait trébucher sur l'herbe
Le vaillant Tabrimon au coeur fier et superbe,
Vr, fait voler la teste au barbare Rézon,
Cam, transperce Recob, et Pelet, Hézion.
Le roy payen, alors, plein de honte et de rage,
Void et pleure des siens l'effroyable carnage,
Puis, au faux-dieu qu'il sert addressant son discours,
À mon secours, dit-il, Rimmon! à mon secours,
Le démon qui préside au culte de l'idole,
Vole auprés du monarque au son de sa parole,
Et pour donner au camp qui commence à plier,
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Le temps de s'affermir et de se rallier;
Il le cache aux hébreux par vn nuage sombre,
Et tout ce vaste corps est couuert de son ombre;
Par l'esprit infernal les payens assistez,
Espérent de dompter ceux qui les ont domptez,
Sous l'aîle du démon r'entrent dans la meslée,
Et rendent des hébreux l'auant-garde ébranlée.
Les hébreux, toutefois, d'vn saint zéle enflammez,
Soûtiennent les payens par l'enfer animez.
Alors, des deux costez la mort vole, et reuole,
Sa faux suffit à-peine aux guerriers qu'elle immole,
Cent spectacles sanglans que cause sa fureur,
Forment, pour l'assouuir, vn théatre d'horreur.
Comme lors que deux vens opposant leurs haleines,
Se batent dans les airs pour l'empire des plaines,
On void par leurs efforts des clochers terracez,
Des châteaux abatus, des arbres renuersez;
Ainsi, quand les deux camps amoureux de la gloire,
Disputent à-l'enuy l'honneur de la victoire,
On void tomber des corps, confusément épars,
Parmy l'épais débris des armes et des chars,
Ionas, qui du démond void l'ouurage funeste,
Implore contre-luy la puissance céleste;
Dieu répond à sa voix et du plus haut des cieux,
Fait descendre à son ayde vn ange radieux,
Qui faisant ondoyer vne riche banniere,
Eclatante de feux, brillante de lumiére.
Cét etendard, dit-il, plus puissant que Rimmon,
Est fatal aux payens qu'assiste le démon:
Va, ie te mets en main, et dequoy les combatre,
Et dequoy renuerser l'idole et l'idolâtre:
Le prophéte, à ces mots, le genoüil fléchissant,
Reçoit le don fatal du seigneur tout-puissant,
Puis, élevant en l'air l'enseigne étincelante,
Parmy les syriens va semer l'épouuante,
À peine sa lueur a frappé leurs regars,
Que d'attaquans qu'ils sont, ils deuiennent fuyars,
Et le démon caché sous des vapeurs funébres,
S'enfuit, en gémissant, au sejour des ténébres.
Les hébreux font, alors, des payens repoussez,
Sur la plaine éleuer des monceaux entassez;
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La campagne deuient vn vaste cimetiere,
Et le sang répandu fait plus d'vne riuiere,
Où qu'on tourne les yeux, où qu'on porte ss pas,
On void régner par tout cent sortes de trépas.
Par les coups différens de l'horrible tempeste,
L'vn sent frapper son coeur, l'autre abatre sa teste,
L'vn traîne dans son sang ses sales intestins,
L'autre, en perdant la veuë achéue ses destins;
Celuy-cy rend l'esprit tandis qu'il s'éuertuë,
À s'arracher du corps la fléche qui le tuë.
Celuy-là plaint le sort de ses membres meurtris,
Et percé de cent coups, perce l'air de ses cris.
La ténébreuse nuit qui de son aile obscure
Vient couurir l'vniuers, et cacher la nature,
En dérobe vn grand nombre au fer victorieux,
Leur sauuant la clarté qu'elle éteint dans les cieux;
Leur monarque, entre-tous, honteux de sa défaite,
Echape, et vers Damas fait sonner la retraite:
Mais à-peine l'aurore étalant ses attraits,
Redemande à la nuit les larcins qu'elle a faits,
Et de l'or du soleil jaunissant l'hémisphére,
Voit le chemin qu'ont pris ceux du party contraire;
Qu'aussi-tost les hébreux, pareils aux tourbillons,
Font rouler vers Damas la poudre des sillons.
Dans le sein d'vne plaine en mille biens féconde,
Cette ville superbe, et s'éléue, et se fonde,
Vn fleuue grand et beau qui la fend en deux parts,
Remplit d'eau ses fossez et défend ses remparts.
Et de son pur crystal le tribut necessaire,
Porte en chaque maison vne fontaine claire.
Du marbre et du porphyre, en ses grans bâtimens,
L'art a semé par tout les pompeux ornemens;
Et d'vn peuple nombreux, armé pour sa querelle,
Le grand concours la rend aussi forte que belle.
D'abord, pour l'inuestir, les iuifs vaillans et promts,
Sur le fleuue orguilleux forment deux larges ponts,
Ils passent, et le camp qui la ville enuironne,
La ceint de tous costez d'vne affreuse couronne.
Tel les hardis veneurs, dont l'effort valeureux
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A lancé dans vn bois les animaux peureux,
Auec force, auec bruit, assiégent son enceinte,
Et portent au dedans l'épouuante et la crainte.
Le roy iuif va par tout, et de chaque costé
Void le foible et le fort de la noble cité;
Puis éleuant des tours et dressant des machines,
Il prépare à ses murs d'effroyables ruines;
Mais le roy syrien, par des soins diligens,
Trauaille à rendre vain l'effort des assiégeans.
Il s'arme, il se munit, et remplit ses murailles
Dequoy faire à leur pied de vastes funerailles.
Il couure les creneaux de lances et d'épieux,
Qui menacent le coeur, comme ils brillent aux yeux.
Sur cent trépiez ardens cent boüillantes chaudiéres,
Forment vn voile épais de leurs vapeurs grossiéres;
Et prestes à verser plus d'vn mortel ruisseau,
Ont peine à retenir et leur huile et leur eau;
Les pierres, les cailloux, ces os secs de la terre,
Ces foudres froids et durs qu'vn bras nerueux desserre;
Pour défendre les murs sont portez sur le-haut,
Et tout est prest, enfin, pour soûtenir l'assaut.
Ainsi, quand sur les flots vn aboyant orage,
Menace vn grand vaisseau d'vn funeste naufrage,
Le nocher, d'vne main qui résiste au trauail,
Prend la docte boussole, et court au gouuernail,
Il consulte le cours des vens et des etoiles,
Fait préparer la pompe, et fait baisser les voiles,
Ses ordres et ses soins! Alors! Volent par-tout
Pour remparer sa nef de l'vn à l'autre bout.
Iéroboam voyant les remparts en défense
Va choquer l'assiégé dont l'audace l'offense,
Déja de nostre camp, et du bord des remparts,
Volent confusément les pierres et les dards.
Et du tireur de fronde et de l'archer habile,
Se signale l'effort, pour et contre la ville;
On void vn long sillon de mille traits volans,
Qui joint les assaillis auec les assaillans;
Et fait, pour quelque temps, disparoître l'espace;
Qui sépare le camp et le corps de la place,
Sous la grêle des traits à l'enuy décochez,
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Qui tombent la plus-part rompus et rebouchez.
L'assaillant qui poursuit ses terribles approches,
Roule d'énormes troncs, et d'effroyables roches;
Et de leurs grans monceaux, en peu d'heure assemblez
Les fossez iusqu'au haut, sont remplis et comblez.
En suite, des beliers le front dur et terrible,
Heurte les murs tremblans, auec vn bruit horrible,
La ville en retentit et le fleuue étonné,
En gémit, sous les joncs donc il est couronné.
Pour amortir leur choc; la muraille batuë,
De laine ou de fumier en vain est reuestuë,
En vain, pour empescher l'effet de leurs grans coups,
On fait pleuuoir le feu, l'eau, l'huile, et les cailloux,
Nos guerriers animez d'vne noble furie,
Pressent plus viuement l'ardente baterie,
Par les fréquens effors le mur est ébranlé,
S'ouure en plus d'vn endroit, trébuche, est éboulé,
Le roy iuif void la bréche, et dans la bréche ouuerte,
L'illustre occasion à sa valeur offerte;
Il s'auance à l'assaut trop long-temps differé,
Et montrant à ses gens le rempart desiré;
Il est temps, leur dit-il, d'aller sur ces murailles,
Arborer l'étendard du seigneur des batailles,
Et d'aller, en passant sur l'ennemy domté,
Faire changer de maître à la forte cité.
Marchons, marchons, soldats, le ciel nous fauorise,
Si nous l'attaquons-bien, nous l'aurons bien-tost prise.
Les hébreux, à ces mots, s'élancent au rempart,
Et plus viste qu'vn trait d'vn arc d'acier ne part,
Chacun vole à la bréche, et d'vn ferme courage,
Soûtient de mille traits l'épouuantable orage.
L'assiégé s'y présente, et forme en arriuant,
Sur le rempart solide vn bastion mouuant,
Et cent corps mis en butte, à la mort qu'ils préparent,
Nuisent, mesme en tombant, et la bréche réparent.
Deçà les assaillans, delà les assaillis,
Commencent en fureur vn ardent chamaillis,
Le tambour retentit, la trompette résonne,
Toute la ville en tremble et le camp en frissonne.
Ainsi, quand au détroit du Bosphore bruyant,
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Les deux mers font ensemble vn combat effrayant,
Et d'vne égale ardeur disputent le partage,
Leur combat fait gémir l'vn et l'autre riuage.
Le silence des morts, et les cris des mourans,
Sont les tristes effets de cent coups différens,
Sous cent coups redoublez les armes étincélent,
Et de sang répandu les flots rouges ruissélent.
Les vns brûlans de voir le rempart emporté;
Y vont chercher la mort d'vn pas précipité,
Et donnent, imprudens, dans les pointes meurtriéres,
Qu'opposent à leur front mille dextres guerriéres;
Les-autres, dans l'ardeur de les voir repoussez
Se laissent emporter par ceux qu'ils ont percez;
Tel se froisse en tombant, tel roule dans la fange,
Tel sur son meurtrier tombe, et sa chute le vange.
Tant que les deux partis, d'vne égale chaleur,
En ce mortel assaut signalent leur valeur,
Sur le rempart douteux l'incertaine victoire,
Ne sçait qui couronner des rayons de la gloire;
On les void tour-à-tour vainqueurs, et surmontez;
Et l'heur et le mal-heur errent des deux costez.