LIVRE 8
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Qve la voix d'un prophéte est forte et redoutable!
Que ce tonnerre effraye vne teste coupable!
Et que le ciel vengeur du mépris de ses loix,
Est fatal à l'orgüeil des infideles roys!
Ce roy dont la fierté n'eût jamais de seconde,
Dont le coeur n'aspiroit qu'à l'empire du monde,
À cette heure est confus, chancelant, estonné,
Et ne differe point d'vn prince détrôné.
Tel qu'vn paon orgueilleux qui sur l'émail des herbes,
Aymoit à se mirer dans ses plumes superbes,
Laisse traîner sa queuë et cache son tresor,
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Lors que l'aigle à ses yeux prend son terrible essor.
Tel ce superbe roy dont l'ame trop hautaine,
Dans vn trône fragile osoit faire la vaine;
Abbaisse son orgueüil, se fait humble et petit,
Quand la voix de Ionas prés de luy retentit.
Vn remors importun luy rend tousiours presente,
De ses crimes passez l'image déplaisante;
Luy parle de sa peine et jette dans son coeur,
D'vn supplice prochain la mortelle frayeur,
Son peuple, d'autre part, par de funestes plaintes,
Augmente son desordre et redouble ses craintes;
Où qu'il tourne ses yeux, où qu'il porte ses pas,
Tous les objets qu'il void luy parlent du trépas.
Mesme dans les frayeurs dont son ame est saisie,
Tout ce qu'il ne void pas broüille sa fantaisie.
Il se fait dans son coeur comme vn mélange affreux,
De deluges, de tours, d'abymes et de feux;
Le discours de Ionas occupant sa pensée,
Luy vient rendre presente vne chose passée,
Il luy semble sur tout qu'il entend chaque fois
Du prophéte fatal l'épouuantable voix,
Redire d'vn accent aussi fort que terrible,
Aprés deux fois vingt jours ta perte est infaillible;
Et tout ce qui respire en la grande cité,
Tombera sous les coups du seigneur irrité.
Ainsi le criminel sur qui vient la iustice,
Faire tonner l'arrest d'vn rigoureux supplice,
Sent dans l'affreux cachot chanceler sa vertu;
De crainte et de douleur son coeur est combatu;
Sa raison inquiéte à toute heure y promeine,
L'image de son crime et celle de sa peine;
Et peint dans son esprit d'vn horrible pinceau,
La foule curieuse, et l'aspect du bourreau,
Du bourreau qui le prend le traîne et le secouë,
Sur l'infame gibet, sur la cruelle rouë,
Où sa sanglante main luy porte mille coups;
Où plus il est cruel, plus il croit estre doux.
Mais de quoy sert, grand roy! Ta frayeur ou ta plainte,
Dieu veut la repentance aussi bien que la crainte;
Et quand ses jugemens impriment la terreur,
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Il faut que nos forfaits nous donnent de l'horreur,
Aussi c'est le dessein du prudent niniuite,
Que la voix du prophéte à son deuoir excite,
De joindre en son esprit de cent crimes taché,
La crainte de la peine et l'horreur du peché.
Mais ce juste dessein, cette entreprise sainte,
Trouue vne belle idole en son coeur tousiours peinte,
Vne amante fatale, vn charmant ennemy,
Qu'il ne peut ni chasser, ni vaincre qu'à demy,
Adine a des autels dans ce coeur idolâtre,
Que la voix de Ionas ne peut encore abatre:
Et Phul qui ne craint point d'abandonner ses dieux,
Ne sçauroit se resoudre à quiter ses beaux yeux.
Il soûpire, il gemit, si-tost qu'il s'imagine,
Que pour gagner le ciel il faut qu'il perde Adine.
Son salut est vn bien qu'il croit trop acheté,
Du prix d'vne si douce et si chere beauté.
Et c'est peu que le trône, et c'est peu que Niniue,
Au prix de cét objet dont on veut qu'il se priue.
Quoy voudrois-tu, dit-il, trop infidele amant
Briser les fers dorez d'vn vainqueur si charmant?
Ce coup n'est pas possible, ou n'est pas légitime;
C'est vn trop grand effort, ou c'est vn trop grand crime,
Et si le ciel est juste, il ne doit pas vouloir,
Ce qui passe ta force, ou choque ton deuoir.
Et doit-il, puisqu'il fit ta maîtresse si belle,
Te faire repentir d'auoir brûlé pour elle?
Pouuant, pour preuenir des feux injurieux,
La former sans attraits, ou te faire sans yeux.
Pense à ce digne objet de ton ardente flame,
Aux beautez de son corps, aux graces de son ame,
À son doux entretien qui flate tes desirs,
À sa constante ardeur d'où naissent tes plaisirs,
Aux fideles conseils que son amour te donne,
T'aydant à soûtenir le poids de ta couronne.
Iuge s'il est possible, en voyant tant d'appas,
D'auoir de la raison, et de ne l'aymer pas;
Et si l'ame vne fois de tant d'attraits charmée,
Peut cesser dé l'aymer aprés l'auoir aymée.
Non, non! Tu ne pourrois la chasser de ton sein,
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Ta foiblesse s'oppose à ce cruel dessein.
Que dis-tu, ta foiblesse? Amant perfide et traistre!
Et ta fidelité peut-elle le permettre?
Dois-tu, par vn effort trop indigne d'vn roy,
Violer ton serment et luy manquer de foy?
Et par cette action d'ingrat et de parjure,
Auancer son trépas, creuser sa sepulture?
Armer sa belle main contre son propre flanc,
Qui t'a produit vn fils si digne de ton sang,
Vn fils en qui le ciel tous ses tresors assemble,
Et pour tout dire, enfin, vn fils qui te ressemble.
Ah! Ciel dont la rigueur tyrannise mes feux,
Sois vn peu moins séuére à mon coeur amoureux,
Arrache le bandeau de mon front trop superbe:
Fay trébucher Niniue et la cache sous l'herbe,
Priue moy de l'éclat de ma pompeuse cour;
Laisse-moy seulement Adine et mon amour,
Qu'à tous mes autres biens ton courroux soit funeste,
Ie n'en fremiray point, pourueû qu'elle me reste.
Là ce prince, fertile en amoureux discours,
S'alloit abandonner à leur rapide cours;
Mais surpris tout-à-coup, d'vne frayeur secréte,
La voix meurt dans sa bouche, et sa langue s'arréte.
Du diuin iugement le fatal souuenir
A dequoy le contraindre, et dequoy le punir.
Ainsi lors que d'vn char la volante carriere,
Remplit tout l'air voisin de bruit et de poussiere,
Il trouue vne barriere en sa rapidité,
Qui borne et qui retient son cours precipité.
En ce temps sa raison d'amour préoccupée,
Reprend l'autorité par sa flame vsurpée;
Il reçoit dans son coeur de meilleurs mouuemens,
Et change de discours comme de sentimens,
Où me portent, dit-il, mes fureurs insensées?
Que j'ouure encor mon ame à de molles pensées,
Que j'ose m'obstiner dans mes foles amours;
Quand peut-estre ie touche à la fin de mes iours!
Quoy? L'arbitre eternel du ciel et de la terre,
Sur Niniue et sur moy fait gronder son tonnerre,
Et j'ose mépriser son courroux menaçant?
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Et j'ose contester contre vn dieu tout-puissant,
Quand ie dois par mes pleurs et par ma repentance,
Desarmer sa iustice, et toucher sa clemence,
Pardonne-moy, grand dieu! Si ma foible raison,
N'a pas brisé plûtost les fers de sa prison.
Puis-que tu connois l'homme et la foiblesse humaine,
Tu sçais bien que sans toy toute sa force est vaine.
Mais déja mon esprit de ta grace assisté,
Cherche son innocence et veut sa liberté.
Déja les traits puissans de ta vertu diuine,
L'emportent dans mon coeur sur les charmes d'Adine,
Ie vole par ton ayde à ce sacré deuoir,
Qui choquoit mon humeur, qui passoit mon pouuoir.
Ouy, ie veux, et ie puis, soûtenu de ta force,
Rejetter de ses yeux et l'empire, et l'amorce,
Et brisant saintement son joug et ses liens,
Ne porter desormais d'autres fers que les tiens.
Si, poursuit-il, ie quitte vne agreable amante,
La vertu que j'embrasse est encor plus charmante.
Elle n'expose point à des voeux criminels,
Et donne à ses amans des plaisirs eternels.
Ses traits sont innocens, autant qu'ils sont aymables;
Elle fait des heureux, sans faire des coupables;
Mais, Adine! Tes yeux funestement puissans,
Ont séduit ma raison et corrompu mes sens;
Adine! Ta beauté comme elle est criminelle,
N'a qu'vn fragile éclat qu'vne force mortelle:
La vertu que ie cherche, a de charmes constans;
Qui brauent la fortune, et l'injure du temps,
Le temps n'a point de faux qui tranche et qui moissonne,
Les lauriers immortels dont elle se couronne,
Au-lieu, qu'vn iour, des ans l'irréparable affront,
Blanchira tes cheueux et ridera ton front.
Comme ils sont les tyrans des plus aymables choses,
Ils terniront les lys, ils flétriront les roses,
Et les brillans appas de la tombe couuerts,
Dans les bras de la mort séront mangez de vers.
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Adine! Souffre donc que la vertu m'enflame,
Qu'elle regne en mon coeur, et maîtrise mon ame.
Et pour me r'engager sous ta fatale loy;
Ne vien point m'alléguer mes sermens ni ma foy.
Ie ne dois point tenir vne injuste promesse,
Ni contre mon deuoir seruir vne maîtresse;
Ie dois plûtost esteindre vn feu pernicieux,
Par qui i'ay prouoqué la colere des cieux,
Par qui seroit Niniue en poussiere reduite,
Et par qui mesme Adine enfin seroit détruite,
Sans que ce fils trop cher dont son oeil est charmé,
Fust exempt du mal-heur d'en estre consumé.
Faisons-donc, par l'effort d'vne sainte inconstance,
Faisons changer de Dieu la fatale ordonnance,
Eteignons par nos pleurs son flamboyant courroux,
Et forçons sa clemence à tourner l'oeil vers nous.
Là ce prince, engagé dans des chaînes pieuses,
Brise ou pense briser ses chaînes amoureuses;
Mais il sent, lors qu'il pense à son premier vainqueur,
Plus d'vn soûpir rebelle échapper à son coeur.
Adine ignore encor sa disgrace cruelle;
Et croit que son amant luy soit tousiours fidéle;
Elle apprend toutefois que dans l'ame du roy,
Le discours du prophéte a versé quelque effroy;
Que ce roy tout pensif cherche la solitude,
Et qu'il a du chagrin, et de l'inquiétude.
Elle veut l'aller voir, et pour le réjouïr
Elle veut le surprendre, elle veut l'éblouïr,
Charmer également son esprit et sa veuë,
Par les brillans attraits dont le ciel l'a pourueuë.
Dissiper sa tristesse, et le rendre à la cour,
Sans autre passion que celle de l'amour.
Pour voir d'vn beau succés couronner son attente,
La belle prend de pourpre vne robe éclatante,
Où les ardens rubis et les clairs diamans,
Font reluire à l'enuy leurs riches ornemens.
Elle accompagne encor du feu des escarboucles,
L'éclat de son poil blond qui se frise en cent boucles,
Et son adresse joint, par vn mélange heureux,
L'argent de sa coiffure à l'or de ses cheueux.
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Sur sa gorge d'yuoire vne gaze de soye,
En filets deliez doucement se déploye.
Et ce voile subtil que l'oeil peut pénétrer,
N'en couure les appas que pour les mieux montrer.
Lors qu'Adine se pare, aux graces naturelles,
Elle ajoûte par l'art mille graces nouuelles,
De son sein, de ses bras rehaussant la blancheur,
Et de son teint de lait cultiuant la fraicheur.
Il ne luy suffit pas de paroistre en princesse,
Elle affecte en ce jour le port d'vne déesse;
Et tâche d'imiter les attraits si connus
Dont la fable enrichit le beau corps de Venus.
Du fils qu'elle a du roy la taille et le visage,
Pouuant pour son dessein estre mis en vsage,
Elle veut que ce fils qu'a produit sa beauté,
Represente l'amour, et marche à son costé.
D'vne toile dorée elle forme ses aîles,
Qu'elle attache sur l'heure à ses jeunes aisselles,
Vn petit arc d'ébene à sa main est donné;
Et d'vn carquois d'yuoire il a le dos orné.
Des fléches dont sa trousse est remplie et parée,
Le bois est incarnat, et la pointe dorée:
De cire parfumée il tient vn clair flambeau,
Mais sa mere à ses yeux refuse le bandeau.
Tu ne dois point, dit-elle, en aueugle paraître,
Car l'amour ne l'est point lors que ie l'ay fait naistre,
L'enfant, à ce discours, soûrit naïvement;
Puis s'admire et s'égaye en ce vain ornement.
En suite, aux yeux de Phul la beauté délicate,
En ce riche appareil superbement éclate;
Les graces et les jeux, les ris, et les appas,
Marchent auec son fils et conduisent ses pas. v
V telle, aux jours du prin-temps, pere des belles choses,
L'aurore ouure le ciel auec ses doigts de roses,
Fait pâlir de son feu les astres les plus clairs,
Emaille la campagne et parfume les airs,
Et par son doux aspect par sa riche parure;
Fait aymer son abord à toute la nature.
Ou plûtost tel paroist cét astre si vanté,
Qui de l'aurore mesme efface la clarté,
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Lors qu'il vient de sa flame illuminer le monde,
Former l'or dans la terre, et les perles dans l'onde,
Réueiller les oyseaux, échauffer les poissons,
Faire naistre les fleurs, et jaunir les moissons.
Adine abordant Phul qu'elle ayme auec tendresse,
Fait briller dans ses yeux l'amour et l'alégresse,
Méle à sa mine noble, vn air doux et flateur
Qui cherche dans vn maistre vn humble adorateur,
Et composant son geste, ajustant son langage,
Prétend que ce grand roy vienne luy rendre hommage.
Dés que Phul apperçoit cét objet gracieux,
Dont la douceur l'expose à la rigueur des cieux;
Il éloigne ses pas, il detourne sa veuë,
De ce beau basilic qui le charme et le tuë,
Seigneur! Dit-elle, alors, seigneur! Me fuyez-vous?
Mes yeux pour vostre coeur n'ont-ils plus rien de doux?
Vostre ame de mes fers s'est-elle dégagée?
Et pour changer ainsi, me trouuez-vous changée?
Ou quelqu'autre beauté plus heureuse que moy,
M'a-t-elle pû rauir mon amant et mon roy?
Hé! De grace vn regard, au moins vne parole,
Pour m'ouurir les desseins de ce coeur qu'on me vole;
Que ie sçache de vous mon crime, ou mon mal-heur,
Et que ie meure aprés, de honte et de douleur.
Le monarque, en ces mots, entend plaindre la belle,
Cette voix le contraint de tourner l'oeil vérs elle,
Et ce reste d'amour qui touche ses esprits,
L'engage à l'éclaircir du dessein qu'il a pris.
Belle Adine, dit-il, vous faites trop d'outrage
Aux graces de vostre ame et de vostre visage;
De croire que mon coeur cessant de les aymer,
Pour quelque autre beauté pust iamais s'enflamer,
Ie sçay que le soleil dans sa course admirable,
N'éclaire point d'objet qui vous soit comparable;
Et, si ie l'ose dire, il n'est point dans les cieux,
D'éclat qui ne le céde à l'éclat de vos yeux.
Ne croyez pas aussi que ie ne me souuienne
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Des biens dont vostre amour a sceu combler la mienne.
Puis-que dans la douceur de vos embrassemens,
I'ay trouué le destin des plus heureux amans,
Et que de vostre amour i'ay receu ce cher gage,
Ce fils en qui ie puis contempler mon image;
Mais Adine! Le ciel s'irrite de nos feux,
Et nous force à changer de soûpirs et de voeux.
Il suscite vn prophéte, et par sa voix diuine,
Il menace nos jours d'vne proche ruïne.
Ô decret! ô rigueur qui me fait soûpirer!
Pour appaiser son ire il faut se séparer;
C'est auéque regret que ie vous abandonne
Mais ie dois obeïr au ciel qui me l'ordonne:
La belle, à ce discours, frémit, s'estonne, craint,
Et de douleur percée, en ces termes se plaint.
Qu'ay-je entendu, seigneur? ô dieux est-il possible,
Que vous perciez mon coeur par vn coup si sensible.
Helas! Qui vous oblige à terminer mes iours,
En brisant le lien de nos tendres amours?
Quoy! Parce qu'vn dieu feint séme vne frayeur vaine,
Vous ferez expirer d'vne mort inhumaine,
Celle qui vous adore, et qui voudroit pour vous,
D'vn dieu plus veritable affronter le courroux?
Souuenez-vous, seigneur, de vos saintes promesses,
De ma fidéle ardeur, de mes douces caresses;
Et si la pauure Adine eut pour vous des appas,
Au nom de tous nos dieux, ne l'abandonnez pas.
Iettez l'oeil sur ce fils qu'a produit nostre couche;
Au defaut de l'amour, que l'amitié vous touche;
Et d'vn fils dont le sort deuoit estre si beau,
Ne frustrez pas l'attente en m'ouurant le tombeau.
Ô miserable enfant! ô mere infortunée!
Sous quel astre és-tu né? Sous quel astre és-tu née!
Et qui l'eust jamais creû qu'vn si rigoureux sort,
Deust troubler nostre vie et causer nostre mort?
La belle, à ces discours, méle ses belles larmes;
Sa tendre affliction luy donne plus de charmes,
Et son fils, sans sçauoir ce qui fait ses douleurs,
Imite innocemment sa tristesse et ses pleurs.
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Phul, par ces deux objets sent bien-tost dans son ame,
Réueiller sa tendresse, et r'allumer sa flame;
Comme on void quelquefois vn flambeau petillant,
Dont le vent a naguere éteint l'éclat brillant,
Par la flame appliquée, au bout qui fume encore,
Reprendre en vn moment le feu qui le deuore.
Mais au temps que son coeur recommence à brûler,
Phul apprend que Ionas demande à luy parler,
À cét auis fatal, la crainte et la tristesse,
Combatent dans son coeur l'amour et la tendresse;
Et lors qu'à son amante il va se redonner;
Cét auis l'en éloigne et peut l'en détourner.
Il la plaint toutefois encor qu'il s'en dégage;
Tristement la regarde, et luy tient ce langage.
Adine! Le prophéte auerty par son dieu,
Qu'vn intérest d'amour nous assemble en ce lieu:
Porte icy de-nouueau ses pas et ses paroles,
De la part de ce dieu qui fait trembler les poles.
Et sans doute qu'il vient par ses tonnans propos,
Censurer ma conduite, et troubler mon repos.
Séparons-nous, Adine! Auant qu'il nous sépare,
Et préuenons l'arrest que sa voix nous prépare,
Ou plûtost, s'il se peut, brisons ce doux lien,
Qui joint, malgré le ciel, vostre coeur, et le mien.
Repentons-nous tous deux de nos fautes passées,
Eteignons saintement nos flames insensées;
De peur qu'vn feu plus fort par le ciel suscité,
Ne nous réduise en cendre en brûlant la cité.
Bannissez, comme moy, cette amour illicite;
Quittez-moy, puis-qu'ainsi Dieu veut que ie vous quitte.
L'amante, à ce discours, qui luy perce le coeur,
S'abandonne au dépit ainsi qu'à la douleur
Ah! I'ayme trop, dit-elle, vn ingrat, vn barbare,
Qui maltraitte vne amour et si tendre et si rare,
Qui la prend pour vn crime et qui m'ose offencer;
Iusqu'à me faire ouïr que j'y dois renoncer!
Sçachez, sçachez, cruel! Qu'elle n'est criminelle,
Qu'à cause seulement que i'ayme vn infidéle:
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Et si le juste ciel a droit de me haïr,
C'est d'auoir trop chéry qui vouloit me trahir.
C'est d'auoir, en croyant aux sermens d'vn parjure,
Exposé tous les dieux à souffrir vne injure;
Ô grands dieux, que méprise aujourd'huy l'inhumain!
Ô sermens violez! ô foy promise en vain!
Icy-bas, ou là-haut, est-il quelque justice,
Si cette imiété demeure sans supplice?
Mais où m'emporte helas! Mon aueugle fureur?
Des parjures cruels les dieux n'ont plus horreur;
Vn dieu veut qu'il me quitte, et le ciel qu'il méprise,
À me manquer de foy, le pousse et l'autorise.
Ionas est son oracle, il n'en faut point douter,
La voix de cét oracle est fort à redouter:
Ionas régit la main qui gouuerne la foudre,
Nous voila foudroyez! Il nous va mettre en poudre!
Adine ne vaut pas (ô le peu de valeur! )
Que pour elle on méprise vn fabuleux mal-heur,
Et Phul est si prudent qu'il fait céder son ame
À des prédictions que méprise vne femme.
Ah! Vous ne m'aymez point! Vn veritable amant;
N'eust pû sur ce sujet balancer vn moment.
Et loin d'estre touché d'vn péril chimérique,
Il m'eust voulu sauuer dans la perte publique.
Il eust quitté le trône, il eust quitté le iour,
Auant que de quitter l'objet de son amour.
Mais ie n'empesche plus vostre belle entreprise:
Acheuez-là, cruel, puis-que vous l'auez prise;
Quittez-moy; ie sçauray dans mon juste courroux;
Recourir à la mort moins cruelle que vous.
Aprés ce coup fatal, j'espere que mon ombre,
Viendra liurer vostre ame à des remors sans nombre;
Que comme vne furie attachée à vos pas,
Elle sçaura venger ma honte, et mon trépas.
Et toy, fils mal-heureux, digne d'vn meilleur pére!
Vien voir à quoy l'ingrat a condamné ta mére.
Parmy ces grands transports d'vn amour furieux,
La belle porte ailleurs et ses pas, et ses yeux,
Laissant l'ame du roy mortellement atteinte,
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De trouble, de chagrin, de douleur, et de crainte.
Elle l'ensorceloit auéque ses douceurs;
Mais elle l'épouuante auéque ses fureurs;
Et s'il a redouté le pouuoir de ses charmes,
Sa colére l'expose aux plus rudes alarmes.
C'est ainsi que la mer dont les flots deceuans;
Abusoit le nocher par la faueur des vens;
Vient le remplir de crainte aussi-tost que sa rage
À ce calme trompeur fait succéder l'orage.
Phul pourtant plaint Adine, et pour la consoler
Il est prest à la suiure, il va la r'appeller.
Mais estant sur le point de courir aprés-elle,
Vn secret mouuement l'arrache à cette belle.
Il commence à marcher, puis il retient ses pas:
Il s'auance, il recule, il veut, et ne veut pas.
L'intérest de son zéle, et celuy de sa flame,
Diuisent son esprit, et partagent son ame.
L'vn luy fait redouter le diuin iugement,
L'autre l'inuite à suiure vn objet si charmant;
L'vn le porte vers Dieu, l'autre vers sa maîtresse;
L'vn veut qu'il la retienne, et l'autre; qu'il la laisse;
S'il la quitte, il renonce à d'aymables appas,
Perd le fils, et la mére, et cause leur trépas;
S'il la suit, il combat la volonté céleste,
Et s'expose au péril d'vne chute funeste.
La quittant, il bannit la tendresse et l'amour,
La suiuant il se priue, et du trône et du jour.
À quel des deux partis que son ame se rende,
Le choix est trop fâcheux, et la perte trop grande.
Tel void-on combatu de deux vents furieux,
Dans les champs d'Idumée vn palmier glorieux!
Sur le tronc ébranlé, l'ambitieuse branche,
Par leur contraire effort, deçà delà se panche;
Il semble qu'il consulte, et deuant succomber,
On diroit qu'il ne sait de quel costé tomber.
Tandis qu'il délibére et que son coeur, en doute,
Redoute ce qu'il veut, et veut ce qu'il redoute,
Qu'il chancéle, incertain, s'il doit se conuertir,
Si conseruer sa flame, ou sa flame amortir.
Le prophéte arriuant d'abord le détermine,
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À craindre l'eternel, à n'aymer plus Adine.
Ie viens, luy dit Ionas, pour la derniére fois,
T'annoncer le courroux de l'arbitre des roys;
Du grand dieu d'Abraham, qui pour punir les crimes,
A des foudres là-haut, et là-bas des abîmes;
Il m'a dit que ton coeur, qui ne doit que trembler,
D'vne amour illicite ose encore brûler,
Et ie viens d'âuertir que le feu de son ire,
En sera plus ardent, plus prompt à te détruire.
Tandis que parle ainsi l'interpréte des cieux,
Il tonne de la bouche, il éclaire des yeux:
Et semble présager les éclats de la foudre,
Qui des faux pénitens ne fait qu'vn peu de poudre.
Le roy, par ses propos, sensiblement touché,
I'ay péché, luy dit-il, ouy, grand saint, i'ay péché!
Mais ne me cache point ce qu'il faut que ie face,
Pour appaiser mon iuge, et pour gagner sa grace.
Ie ne say, dit Ionas, et ne viens en ce lieu,
Qu'afin de t'annoncer la vengeance de Dieu.
Là le saint le quittant, n'attend point sa replique,
Et le laisse confus, triste, et mélancolique.
Quand Ionas sort d'vn lieu, que sa voix fait trembler,
Le sage Elma l'aborde, et vient pour luy parler;
Elma, qui des leçons qu'il apprit en Iudée,
Conserue dans son ame vne sçauante idée,
Qui parmy les excés d'vne payenne cour,
Ne perd pas du vray Dieu la crainte ni l'amour;
Dés que ce personnage à ses regars se montre,
L'esprit saint l'âuertit qu'il vient à sa rencontre,
Luy découure d'Elma le zéle et le sçauoir,
Et le prépare, enfin, à le bien receuoir.
D'abord, du dieu d'Isaac la grandeur éclatante,
Est de leur entretien la matiére importante:
Ils disent qu'on luy doit les temples, les autels
Qu'vn faux zéle consacre à de faux immortels:
Que luy seul est du monde et l'auteur, et le maître,
Que luy seul le conserue aprés l'auoir fait naistre,
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Que sa main seule régle et conduit les ressorts,
Qui font agir sans cesse et mouuoir ce grand corps;
Que c'est luy qui par-tout fait craindre sa puissance,
Qui fait veiller sur tout l'oeil de sa prouidence,
Qui dispose des roys comme de leurs sujets,
Et benit comme il veut, ou confond leurs projets.
Puis tous deux à l'enuy célébrent la mémoire
De ces faits éclatans, de puissance et de gloire,
Que Dieu, sans employer que de foibles moyens,
Fit en faueur des iuifs et contre les payens.
Ils exaltent l'exploit et le fameux trophée
De l'Egypte en son sang, ou dans l'onde étouffée,
La prise de Canan, et les rares exploits,
Qui firent trébucher ses peuples et ses roys.
Les triomphes gagnez sur le rude ammonite,
Sur le fier philistin, et le fort moabite;
Mais l'enuoy du prophéte à Niniue, fatal,
Deuient de leurs propos le sujet principal.
Ionas au sage Elma conte son auenture,
Luy dit comme il fuyoit l'auteur de la nature;
Comme il en fut puny sur l'humide élément,
Et comme il vit finir son rude châtiment,
Elma, par ce récit qui frappe son oreille,
Sent combler ses esprits de crainte et de merueille:
Et iugeant, par la grace accordée à Ionas,
Qu'vn pécheur repentant éuite le trépas,
Il conclut que Niniue au seigneur asseruie,
Dans sa conuersion pourroit trouuer la vie:
Et médite en son ame vn effort solemnel,
Pour la rendre soûmise aux loix de l'eternel.
Adine, cependant, par le roy rebutée,
S'abandonne aux transports d'vne amante irritée:
Elle se plaint du prince, elle accuse ses dieux,
Et querelle à la fois, et la terre, et les cieux.
I'ay donc en vain, dit-elle, étalé tous mes charmes!
I'ay donc en vain montré ma douleur et mes larmes!
Le perfide me quitte et cesse de m'aymer,
Au mépris de mes yeux et de mon deüil amer.
Rien n'a peû le fléchir, priére, ni reproche,
Son fils mesme n'a peû toucher ce coeur de roche,
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Ce tygre: encore vn tygre a-t-il quelque amitié:
Mais Phul est sans amour, comme il est sans pitié.
À l'éxil, à la mort, l'ingrat m'a condamnée;
Luy, pour qui i'ay, des roys, rejetté l'hymenée.
Pour qui, trop complaisante à sa prémiére ardeur;
I'ay perdu folement le soin de ma pudeur.
Et vous auez souffert qu'il me fist cette injure,
Ô dieux! Lâches vengeurs du crime et du parjure!
Ah! Cestoit vne offense à ne pas négliger!
Mais ie sauray, sans vous, le perdre et me venger!
Par de plus rudes coups ma main saura l'atteindre,
Que cette main, qu'il craint, ou fait semblant de craindre:
Et ie vay, pour punir ses projets inhumains,
Changer en vrais mal-heurs tous les présages vains.
Va, mal-heureuse amante, et mal-heureuse mére,
Engager ses riuaux dans ta iuste colére:
Qu'ils perdent, pour se voir désormais plus heureux,
La cause du mépris que i'ay fait de leurs feux;
Qu'ils perdent l'inhumain, de qui l'ame traîtresse;
À son maître détruit, veut ioindre sa maîtresse;
Qu'ils imitent, enfin, le cruël attentat,
Qui fit perdre à son maître, et la vie, et l'estat.
Mais las! Perceront-ils, d'vne mortelle lame,
Celuy qui me punit du mépris de leur flame!
Ô ridicule espoir! D'armer contre le roy,
Pour me venger de luy, ceux qu'il venge de moy.
Iray-je importuner, par des prieres vaines,
Des amans rejettez, qui riront de mes peines?
Que ne vay-je, plûtost, auec ma propre main,
Enfoncer vn poignard dans son barbare sein?
Que n'ay-je commencé, dans ma iuste colére,
En meurtrissant le fils, à me venger du pére?
Et du corps de ce fils en morceaux déchiré,
Que n'ay-je, à ce perfide, vn repas préparé?
Puis elle âjouste, ô fils! Trop semblable à ton pére!
Ce que ie n'ay pas fait, ne puis-je-pas le faire?
Ouy, ie puis. Et ie dois éteindre dans ton sang,
L'image du cruël, le crime de mon flanc,
Aussi-bien tu serois vn traître, vn infidéle,
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Qui causerois vn iour la mort de quelque belle.
Adine, alors luy lance vn regard furieux,
Mais sa main ne suit pas la fureur de ses yeux,
Elle sent, au contraire, émouuoir ses entrailles,
Et ne peut de son fils causer les funérailles:
Mesme, il luy passe en l'ame vn plus doux mouuement,
Qui la rend moins séuére à son royal amant.
Telle dans l'Hycarnie vne affreuse panthére,
Qui contre le veneur s'élançoit de colére,
Retient de ses élans l'effort précipité,
Craignant de nuire au fan, qui marche à son
Costé.