LIVRE 6
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Mais revoyons Ionas, dont le mâle courage,
Fut plus grand que la mer, et plus fort que l'orage,
Puis qu'il peût, en tombant dans ses flots pleins d'horreur,
Desarmer sa puissance, et vaincre sa fureur.
Esprit saint, dont la flame est la subtile sonde,
Des secrets de l'abysme et des goufres de l'onde:
Qui vit de quels dangers Ionas fut combatu,
Et quelle main soûtint sa mourante vertu;
Fais, qu'aprenant de toy sa secréte auenture,
I'en laisse à nos neueux vne viue peinture;
Et mette en leur faueur, dans vn iour éclatant,
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Son destin merueilleux sur l'empire flotant.
Quand la mer le reçoit dans son lit éfroyable,
La cruëlle s'appaise et deuient pitoyable,
Et sans qu'il se dispose à rompre ses efforts,
Elle flate, elle porte, elle soûtient son corps.
Ô miracle inouï! Le tres-haut qu'il réuére,
Fait d'vn fardeau pesant vne charge légére,
Il n'a plus que le poids d'vn aquatique oyseau,
Qui frise seulement la surface de l'eau.
Dieu le rend si constant sur la mer inconstante,
Qu'il est ceint de ses eaux, sans qu'il s'en épouuante;
Et sa teste semblable au sommet d'vn rocher;
Semble brauer les flots, qui n'osent l'approcher.
Il void que Dieu l'assiste, et pourtant il ignore,
Où tend cette faueur de celuy qu'il adore.
Mais soûmis aux decrets du maître de son sort,
Il receura la vie, il souffrira la mort;
Mesme sans que son ame au seigneur asseruie,
Veüille craindre la mort, ou desirer la vie.
En ce temps Dieu suscite vn poisson furieux,
Qui du sein de la mer vient s'offrir à ses yeux.
À cét objet affreux mon courage s'étonne,
D'horreur en y pensant, tout le corps me frissonne;
Et quand j'en veux tracer l'éfroyable portrait,
La main sur le papier, me tremble à chaque trait.
Iamais l'eau n'enfanta de monstre plus énorme,
Pour sa vaste grandeur, et sa bizarre forme:
Sa teste est vne écueïl d'écume tout couuert,
Et sa gueule béante est vn abysme ouuert.
De son immense corps la masse remuante,
Le fait prendre sur l'eau pour vne isle flotante;
Ses yeux jettent la flame, et ses larges naseaux,
Ne respirent jamais sans faire deux ruisseaux.
Et le soufle bruyant de sa venteuse haleine,
Non-moins que l'aquilon trouble l'humide plaine.
D'vne écaille si dure il a le dos armé,
Que son corps par le fer ne peut estre entamé.
Il n'est point de vaisseau que son choc ne renuerse;
Il n'est rien qu'il ne choque, et qu'il ne boulleuerse.
Le poisson vers Ionas roule à bonds éfrayans,
La teste, hors des flots, sous son ventre bruyans.
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À l'aspect de ce monstre, il perd force et courage,
Veut cacher sous les eaux son corps et son visage;
Et telle est sa frayeur, que pour l'en garentir,
Il voudroit que la mer fût prompte à l'engloutir.
Mais la mer rebutant sa crainte ou son audace,
Luy refuse vn cercueil qu'il demande pour grace.
Le prophéte réduit à ses derniers abbois,
Perd l'vsage des yeux et celuy de la voix:
Son ame, toutefois, dans vn estat si triste,
Va chercher dans le ciel vn sauueur qui l'assiste;
Et par qui dans le monstre il entre tout-entier,
Sans toucher à ses dents plus tranchantes qu'acier.
Du prophéte éperdu s'approche la baleine,
Qui le rauit aux flots, et l'engloutit sans peine,
Et bien que de ses dents armée à triple rang,
Sans blessure l'enuoye au plus creux de son flanc;
À ce coup le nauire échappé de l'orage,
Par l'effort de ce monstre eût peû faire naufrage,
Et si ce large écuëil eût choqué le vaisseau,
Les nochers et Ionas n'eussent eu qu'vn tombeau;
Mais elle suit les loix du seigneur qui l'employe,
Ionas doit estre seul son butin et sa proye:
Elle le doit sauuer d'vn abîme mouuant,
Pour le faire décendre en vn gouffre viuant.
Le prophéte enfermé dans l'enclos de ce gouffre,
N'est plus pressé des flots, mais de l'ennuy qu'il souffre;
Affranchy de l'orage il est inquiété,
Dans l'affreuse prison où son dieu l'a jetté.
Il ne sait si l'enfer vient d'ouurir ses entrailles;
Pour luy faire souffrir de longues funérailles,
Ou si dans l'ocean quelque abîme nouueau,
Pour prolonger ses maux, ne repousse point l'eau;
Son esprit combatu de cette incertitude,
Ne donne point de tréue à son inquiétude,
Et son corps se trauaille en plus d'vne façon,
À chercher le moyen de sortir du poisson;
Pareil au criminel, qui s'efforce et qui suë,
À percer son cachot, pour trouuer quelque issuë:
Il cherche à droite, à gauche, il veut tout parcourir,
Et perdant ses efforts, se prépare à mourir,
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Poussé d'vn fort desir, et d'vne ardente enuie,
De finir ses tourmens par la fin de sa vie.
Tandis que le prophéte en son douteux effort,
Ne sait s'il doit attendre ou la vie ou la mort;
Il sent qu'il est couuert d'vne loge mouuante,
Et qu'vn poisson horrible est sa prison viuante.
Ô ciel! Dit-il, alors, le grand dieu d'Israël,
Veut-il, en m'abattant par vn coup si cruël,
Qu'vne peine inouïe, et qu'vn supplice étrange,
Signale sa iustice et son bras qui se venge?
Il m'a tiré des flots, qui dans peu de momens,
Eussent borné ma vie et finy mes tourmens;
Et ce iuge irrité, pour accroistre ma peine,
Me condamne à languir au fond d'vne baleine:
Il relégue mon corps dans vn affreux séjour,
Où, sans m'oster la vie, il me priue du jour;
Où c'est tousiours en vain que ma paupiére s'ouure,
Où, mon oeil trop borné nul objet ne découure;
Où, sans voir de reméde à l'ennuy que ie sens,
I'ay mes sens, et n'ay plus l'vsage de mes sens;
Pour me faire brûler d'vne inutile enuie,
Il m'arrache au trépas, et me liure à la vie:
En prolongeant mes jours il accroît mon tourment,
Et ne pouuant mourir, ie meurs incessamment.
Hélas! Si i'ay dormy dans le flotant nauire,
Ie veille maintenant dans vn triste martyre;
Qu'à ce peu de repos succédent de trauaux,
Et que ce petit bien est suiuy de grands maux!
Ie fuyois le seigneur, mais arrétant ma fuite,
Par quel coup l'a-t-il fait, et par quelle poursuite?
Que ne l'arrétoit-il par la fin de mes iours,
Dont vn clin de ses yeux pouuoit borner le cours?
Dans ce triste cachot où son bras me resserre,
Ie suis priué de l'air, de l'onde, et de la terre;
Et sa main me réserue à d'étranges tourmens,
Qui ne sont point connus dans tous les elémens.
Quel ennemy de Dieu, quel traître, quel perfide,
Quelle peste exécrable, et quel noir parricide,
Voit-il ainsi priuer et son ame et son corps,
Du sejour des viuans et du tombeau des morts!
Ionas exprime ainsi la douleur qui le touche,
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Et son coeur languissant en dit plus que sa bouche;
Mais, malgré ses regrets, sa flotante prison,
Entretient dans l'ennuy ses sens et sa raison,
Dieu le forçant d'y viure, ainsi que dans vn antre,
Où toûjours la nuit régne, où iamais le iour n'entre.
Cependant, le poisson fidéle à son deuoir,
Le porte au bord lointain qui le doit receuoir:
Dieu gouuerne sa route, et par vn grand miracle,
Le conduit au grand but que prédit son oracle,
Le poisson comme vn dard lancé par vn bras fort,
À-trauers plusieurs mers luy va chercher vn port.
Son cours préuient le vol de la viste arondelle,
Qui trauerse les flots en déployant son aile,
Lors que fuyant des lieux, que pressent les frimats,
Elle tend, par les airs, à de plus doux climats.
Il trauerse l'Egée, et ses vagues profondes,
Il frise son ecuëil et ses Cyclades rondes:
Il passe l'Helles-Pont, où les bords opposez
Et de Seste et d'Abyde ont les flots maistrisez.
Par ce passage étroit il prend son vol rapide,
Dans le vaste canal que fait la Propontide.
Puis, engageant son cours dans vn lieu plus étroit,
Du célébre Bosphore il franchit le détroit.
Enfin, le grand poisson passe en la mer Euxine,
Où le pousse l'effort de la dextre diuine;
Tandis qu'en son chemin le monstre furieux,
S'élance sur les flots d'vn vol prodigieux,
L'onde bruit, l'onde fuit ce grand corps qui la chasse,
Gardant de son passage vne écumante trace.
À son abord bruyant, le Bosphore gémit,
Le riuage d'Abyde et de Seste en frémit;
Son cours rend l'air émeû, rend la mer agitée,
Et des autres poissons la trouppe épouuantée.
Ionas seul deuenu plus ferme et plus constant,
Rasseure ses esprits dans ce cercueil flotant,
Et conserue le coeur dans l'étrange auenture,
Dont l'éclatant prodige étonne la nature.
Ô quel rare accident! Et quel merueilleux sort!
Il est dans vn sepulchre, et peut brauer la mort:
Il y vit, il y marche, ou du moins il s'y traîne;
Vn prophéte respire au flanc d'vne baleine;
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Trouue vn hoste, vn amy, dans vn affreux poisson,
Dont le soin luy fournit, et viande, et boisson.
Et Dieu range et maintient, par vn sort incroyable,
Dans le corps d'vne beste vn agent raisonnable.
Grand dieu, qui le croiroit! L'astre qui fait les jours,
Auoit déja trois fois recommencé son cours,
Et des humides nuits l'inconstante courriére,
Auoit déja trois fois acheué sa carriére;
Et Ionas enfermé dans ce corps étranger,
A conserué sa vie au milieu du danger.
Quel miracle est-ce donc, que pendant cet espace,
Rien n'ait eû le pouuoir d'acheuer sa disgrace?
Que ce monstre puissant ne l'ait pû digerer?
Qu'il ne l'ait point détruit l'ayant pû deuorer?
Et que contre le cours de toute la nature,
Il ait esté sa proye, et non sa nourriture?
C'est de Dieu, c'est de Dieu que ce secours luy vient,
Vn pére le châtie, vn pére le soûtient;
Luy seul pour adoucir sa disgrace cruëlle,
Retient du grand poisson la chaleur naturelle;
Et dans ce ventre affreux sa main le garentit,
Du sort de cent poissons que le monstre engloûtit.
Le prophéte sentant que la vertu céleste,
Le conserue en ce corps à tant d'autres funeste;
Et le sauue des coups d'vn tragique destin,
Chez ce tyran des eaux dont il fut le butin;
Il éléue son coeur au souuerain monarque,
Qui daigne de ses soins luy donner cette marque,
Et bien que le cachot où Dieu l'a confiné,
Etouffe son langage aussi-tost qu'il est né;
Il luy rend de son zéle vne preuue assez ample,
Son ame, par ses voeux, d'vn poisson fait vn temple:
Et ce temple ne peut, par ses diuers détours,
L'empécher de former ce lugubre discours;
Du ténébreux séjour des prisons de l'abîme,
Où ie suis retenu par l'horreur de mon crime,
Grand dieu, qui remplis tout du bruit de tes exploits!
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Ie t'offre tous mes voeux, ie t'adresse ma voix:
Voy l'état déplorable où mon ame est réduite;
Voy le dur châtiment que tu prens de ma fuite;
Tes flots les plus amers, tes plus rudes torrens,
Auec rapidité sur ma teste courans,
Tes gouffres, tes écueils, cette viuante tombe,
Me chargent d'vn fardeau, sous qui mon coeur succombe;
Depuis que ton courroux m'a jetté dans les eaux,
I'ay passé par des lieux inconnus aux vaisseaux;
I'ay veû les fondemens des plus hautes montagnes,
Et i'ay touché le fond des humides campagnes.
En cet état, pourtant, i'ay gardé dans mon sein,
Ton nom, parmy les coups que me donnoit ta main;
Et célébrant ta gloire au fort de mon supplice,
Ie t'ay fait de mes voeux vn humble sacrifice:
Quoy que mon coeur serré par l'effort des tourmens;
Peut-à-peine pousser de légers mouuemens;
Quoy que mes yeux cachez sous vne épaisse écorce,
Pour percer jusqu'au ciel eussent trop peu de force;
Ce coeur déja mourant a soûpiré pour toy,
Et mes yeux languissans ont contemplé ta loy:
Aussi par ta bonté ie reprendray la vie,
Que des maux inoüis m'auoient presque rauie;
Oüy, i'ay senty, seigneur! Que ta forte vertu,
S'auançoit au secours de mon coeur abatu,
Et ce doux sentiment de ta faueur exquise,
M'apprend que ta bonté me rendra la franchise;
Que ta Sion encor me verra quelque jour,
Offrant à l'eternel les fruits de mon amour:
Ces payens que ton bras a sauuez du naufrage,
Peut-estre, aprés ce coup, t'ont rendu quelque hommage:
Et tournant vers toy seul, et leur coeur, et leurs yeux,
T'ont creû, pour quelque temps, plus grand que tous leurs dieux;
Mais peut-estre déja, leur ingrate mémoire
Efface ce beau trait qu'ils ont veû de ta gloire;
Peut-estre que leur ame, oubliant ta grandeur,
Pour ses faux immortels a repris son ardeur;
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Tel est le naturel de ces coeurs mercenaires,
Qui mesurent leur zéle au cours de leurs affaires;
Pour moy, dieu tout-puissant! Aprés que ta bonté,
M'aura rendu la vie auec la liberté,
Ie te rendray mes voeux, sans que iamais mon ame,
Ayant brûlé pour toy, brûle d'vne autre flame:
Tandis que dans mon corps restera quelque sang,
Tandis que mes poumons feront mouuoir mon flanc,
Et tandis que mon coeur batra dans ma poitrine,
I'adoreray toûjours ta puissance diuine,
Ie garderay toûjours les traits de ta faueur,
Tu seras mon seul dieu, mon vnique sauueur.
Brise donc, ô mon dieu! Si tu veux que ie viue,
Les fers d'vn corps esclaue et d'vne ame captiue:
Et ne refuse pas à mes justes souhaits
L'heur d'aller publier ta gloire et tes bien-faits,
Ma bouche, d'vn ton graue, et d'vne air magnifique,
Chantera tes exploits dans vn sacré cantique;
Et mes mains encensant ton vénérable autel,
Rendront vn saint hommage à ton bras immortel.
Le ciel est pénétré de cette humble priére,
Et du séjour brillant de gloire et de lumiére:
Dieu descend à son ayde, et reluit sur la mer:
De crainte et de respect elle n'ose écumer;
Les vens sont attentifs, la baleine, elle-mesme,
S'arreste pour ouïr sa volonté supréme.
Alors parmy les flots ce monarque tonnant,
Fait ouïr au poisson cet ordre résonnant.
Béant monstre des eaux, qui d'vn gosier auide,
Poursuis les habitans de la plaine liquide;
Qui déuorant ta proye, alors que tu la prens,
La retiens pour toûjours, et iamais ne la rens;
Ie te liuray Ionas, ma main te le fit prendre,
Mais ma voix, à ce coup, t'ordonne de le rendre;
Mes vertus dans tes flancs l'empeschent de périr,
Voulant se satisfaire et non pas te nourrir;
Il est temps, que quittant cette demeure noire,
Ainsi qu'à son salut, il trauaille à ma gloire.
Enfin, il est ton hoste, et non ton aliment,
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Et tu ne seras pas son dernier monument.
Aux deux bors de la mer s'entendent ces paroles,
Elles remplissent l'air et font trembler les poles;
L'ocean s'humilie à leur son éclattant,
Et le poisson soûmis tremble en les écoutant.
Déja par leur vertu l'effroyable baleine,
Obeit à son dieu, qui la pousse et la meine;
Non que cet animal engendré dans les flots,
Du seigneur qui luy parle entende le propos:
Mais suiuant cet instint qui rend la creature,
Prompte à tout ce que veut l'autheur de la nature;
Il s'élance aussi-tost, par vn transport nouueau.
D'vn aileron tranchant fend la vague de l'eau,
Saute à bonds diligens vers l'inconstante aréne,
Et repoussant Ionas auec sa forte haleine,
Par vn effort soudain le jette sur les bords,
Comme vn trait décoché, du goufre de son corps;
Puis reuient sans regret d'auoir lâché sa proye,
À son premier séjour, par sa premiére voye.
Sur la coste barbare, où l'infidélité
Viola tous les droits de l'hospitalité,
Trapéze, au pied d'vn mont, dont sa muraille est ceinte,
S'éléue, où de l'Euxin la fureur est contrainte,
Le Pixite orgueilleux dans son rapide cours,
Roule ses flots d'argent iusqu'au pied de ses tours;
Arrose la contrée, et fils de l'onde amére,
Va perdre sa douceur dans le sein de sa mére:
Ce beau port fut jadis d'vn empire puissant,
Le théatre pompeux, le siége florissant,
Et Ionas que Dieu veut approcher de Niniue,
Est par l'affreux poisson jetté sur cette riue.
Quand le saint est sorty de cét obscur séjour,
Ses yeux sont ébloüis de la clarté du jour:
Et sans ouurir d'abord sa debile paupiére,
Il chemine en auant, il chemine en arriére;
On le void du poisson soudain se dérober,
Comme si tout son corps craignoit d'y retomber;
Dés qu'il peut discerner la mer et le riuage,
Il void en seureté la baleine qui nage;
Mais bien qu'il ait souffert plus de peur que de mal,
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Ce n'est pas sans horreur qu'il void cet animal.
La regardant dans l'eau, qui sous elle boüillonne,
Son coeur s'en épouuante, et sa raison s'étonne,
Que sortant de ses flancs, qui ne l'ont pas conceû,
Elle le rende sain comme elle la receû.
Grand dieu! Dit-il alors, de quel monstre effroyable,
Vient de me garentir ta dextre secourable,
Et quelle est ta vertu de m'auoir empéché
D'expirer dans ce goufre où tes yeux m'ont cherché!
En tenant ce propos, le prophéte secoüe,
L'onde, qui des cheueux luy tombe sur la jouë,
Et bien-tost du soleil les rayons éclatans,
Ont séché sur son corps ses habits degoutans.
Mais son soin le plus grand, aprés sa déliurance,
C'est d'offrir le tribut de sa reconnoissance,
C'est de remercier le monarque eternel,
Du bien-fait qu'il reçoit de son soin paternel;
C'est de benir cent fois la main qui le déliure,
C'est de glorifier le dieu qui le fait viure.
Mais qui peut exprimer à quel rauissement,
Son esprit fut porté par ce doux changement?
Quel plaisir il receut de reuoir la lumiére,
Lors qu'il croyoit toucher à son heure derniere;
Et d'auoir recouuré l'vsage de ses yeux,
Pour contempler la mer, l'air, la terre, et les cieux,
Et pour voir, au sortir d'vn antre épouuantable,
Tout ce que l'vniuers a de plus admirable!
Tel qu'vn pauure captif, qu'vn cachot ténébreux,
A long temps retenu dans son séjour affreux;
Lors qu'il est affranchy d'vn si dur esclauage,
Reprend vn nouueau coeur, montre vn nouueau visage,
Et par mille transports fait voir qu'il est rauy,
D'auoir brisé les fers dont il fût asseruy:
Tel se fait voir Ionas dans l'heureuse auenture,
Qui l'arrache aux horreurs de cette grotte obscure;
Et le plaisir qu'il a sur le bord de la mer,
Se fait mieux ressentir qu'il ne peut s'exprimer.
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Parmy ces doux transports, vne céleste flame,
Que l'esprit prophétique allume dans son ame,
Luy vient tracer les traits d'vn mystére inouï,
Et luy montre vn objet dont il est éblouï.
Il contemple en extase vn tombeau vénérable,
D'où sort, brillant de gloire, vn héros adorable,
Qui, malgré les rigueurs dont il fut combatu,
Triomphe de la mort par sa propre vertu.
Les anges bien-heureux en foule l'enuironnent,
De palme et de laurier à l'enuy le couronnent;
Quiconque le suiuoit auant son triste sort,
Perd, en le reuoyant, le regret de sa mort;
Et dans les saints transports de son ame rauie,
L'appelle son sauueur et l'auteur de sa vie.
Tel paroît le soleil, quand pour faire son tour,
Il perce en orient les barriéres du iour,
Et qu'il vient dissiper la nuit la plus obscure,
Qui cachoit sa lumiére aux yeux de la nature,
Dans vn char de rubis, et sous vn habit d'or,
Cet astre triomphant étale son tresor;
Des amoureux oyseaux la troupe le saluë,
La terre se réueille au bruit de sa venuë,
Et joignant ses vapeurs à leurs joyeux accens,
Quand ils offrent des voeux, semble offrir de l'encens;
Mais tout l'honneur qu'on rend à son brillant mérite,
Ne le peut égaler au Christ qui ressuscite.
Ionas, à cet objet, par vn feu radieux,
Sent échaufer son coeur, void eclairer ses yeux;
L'esprit saint aussi-tost à son esprit déclare,
Que par l'effort des iuifs, peuple ingrat et barbare,
Vn merueilleux auteur de grandes actions,
Sera priué de vie aux yeux des nations,
Que trois iours et trois nuits ses miracles célébres,
Dormiront auec luy sous des linges funébres,
Mais qu'enfin, s'éueillant au bout de trois soleils,
On chantera par-tout ses exploits sans pareils.
Le prophéte ouurant l'ame à ce diuin langage,
Du messie à-venir se forme quelque image,
Et dans ces visions admire le raport,
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Qu'il void entre luy-mesme, et cet illustre mort,
Qui d'vn terme si court bornant sa sépulture,
Au temps de ses mal-heurs l'égale et la mesure;
Ô grand roy! Dit Ionas, ô sauueur des humains.
Qui dois vaincre la mort par l'effort de tes mains!
Haste-toy de paroître aux yeux de tout le monde,
Pour montrer ta puissance en merueilles féconde,
Si comme aprés trois iours le poisson m'a vomy,
Tu sors apres trois iours du sepulchre ennemy;
Quelle sera ma gloire apres cette auenture,
Que de mon redempteur i'aye esté la figure.
Lors que Ionas conçoit ce diuin mouuement,
Il n'en discerne encor que l'ombre seulement;
Comme lors que la nuit, l'ame en songe guidée,
N'aperçoit des objets qu'vne confuse idée:
Le prophete pourtant garde le souuenir
Des secrets dont l'esprit vient de l'entretenir.