PLUME DE POÉSIES
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 Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 10

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James
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Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE  10 Empty
MessageSujet: Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 10   Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE  10 Icon_minitimeSam 14 Juil - 16:59

LIVRE 10


P141

Le sommeil se retire, et sous ses ailes sombres
Porte en d'autres climats le silence, et les ombres;
Et l'aurore, en chassant ces enfans de la nuit,
Rend au monde éueillé la lumiére et le bruit;
Arrange ses cheueux, et de ses yeux humides,
Fait couler doucement mille perles liquides;
Le laboureur reprend le trauail des guérets,
Et les loups et les ours rentrent dans les forests.
Alors, de la cité les idoles dressées,
Sont par le soin d'Elma saintement renuersées;
Et par son zéle ardent les temples, les autels,
Sont purgez de l'horreur de ces faux immortels.

P142

Mais dés que le soleil succédant à l'aurore,
De ses prémiers rayons fait les flammes éclore,
On peut voir dans Niniue vn lugubre appareil,
Dont le triste dessein n'eut iamais de pareil.
Ô Dieu! Soûtien ma voix qui s'apréte à décrire,
Le jeusne, celebré pour appaiser ton ire,
Fay couler de ma plume, et répan dans mes vers,
Ces larmes, dont le cours a remply l'vniuers.
Déja de tous costez cent troupes acouruës,
Pour jeusner, pour pleurer, fourmillent par les ruës,
Forment vne assemblée, et d'vn commun accord,
Vont briguer la faueur du maistre de leur sort.
Les prestres, auant tous, en robes déchirées,
Conduisent tristement les troupes éplorées,
Chacun tient sa victime, et chacun fait aller
La beste qu'il consacre, et qu'il doit immoler.
L'air gémissant reçoit leur musique plaintiue;
À leurs lugubres chants la foule est attentiue;
Le fier taureau répond d'vn long mugissement,
Et la douce brebis bêle piteusement.
En suite vient le roy que sa cour enuironne,
Son chef n'est plus orné de sa riche couronne;
Sa tristesse a banny l'éclat de ses habits,
Elle en a fait tomber les perles, les rubis;
On le void descendu de son trône de gloire;
On le void sur la cendre et non plus sur l'yuoire;
On le void sous le sac, et non plus sous le dais,
Qui demande sa grace, et pleure ses forfaits.
De tous ses courtisans, l'habit et le visage,
Imite sa tristesse, et son morne équipage.
Et le peuple qui suit, les yeux noyez de pleurs,
S'en fait vn grand exemple à ses grandes douleurs.
Par-tout, la tendre enfance, et la blanche vieillesse,
L'âge fort et robuste, et l'ardente jeunesse;
Tous enfin sous la cendre, et du sac reuétus,
Peignent leur repentir sur leurs fronts abatus.
Sans aucun ornement, les femmes affligées,
Laissent choir sur leur col leurs tresses négligées,
Et font voir la douleur de leurs coeurs oppressez,
Par leur teint sombre, et pâle, et leurs yeux enfoncez,
Là paroît (ô merueille.) Adine triste et blême,

P143

Qui confesse sa faute, et s'accuse elle-mesme,
Qui pleure, qui soûpire, et plombe de sa main,
Les roses de sa jouë et les lys de son sein.
Pardon, pardon, dit-elle, ô monarque équitable,
Dont j'osay mépriser le pouuoir redoutable;
Le coup, dont par ta main mon frére fut percé,
Me perça du regret de t'auoir offencé,
Et quand le trait vengeur de ton ire enflammée
Sans me faire mourir me fit tomber pâmée;
I'eus à-peine repris l'vsage de mes sens,
Que ie liuray mon ame à tes feux innocens.
Ah! Si pour d'autres feux j'abusay de mes charmes,
Ie cherche à les noyer aujourd'huy dans mes larmes,
Si pour quelqu'autre objet i'ay conceû des desirs;
Si mon ame a goûté d'illicites plaisirs;
Pour toy seul, ô grand dieu! Maintenant ie soûpire;
Ton amour est le bien où mon desir aspire;
Et mon coeur t'aymera, mesme jusqu'au trépas,
Si tu veux faire grace à ces tristes appas.
Ainsi parle au seigneur, la belle penitente,
Chacun admire et plaint sa beauté pâlissante,
Dont l'image se void dans la reyne des fleurs,
Quand l'ardeur d soleil luy rauit ses couleurs,
Ou quand le bruit sifflant d'vne rude tempeste,
Vient déchirer sa feüille, et fait pancher sa teste.
Chacun, comme elle, alors, en ce iour solemnel,
Frape, et bat son visage et son sein criminel.
Tous font des voeux au ciel, tous pleurent, tous gémissent;
De leurs cris redoublez tous les lieux retentissent,
Le peuple est en détresse et la cour est en deüil,
L'humilité par tout éteint le fier orgüeil,
Et d'vn sombre appareil, Niniue penitente,
Obscurcit saintement sa splendeur éclatante.
Comme on void quelquefois le vaste champ des airs,
Où le soleil répand ses rayons les plus clairs,
Par vn prompt changement se couurir d'vn nuage,
Qui l'arrose de pluye, et le remplit d'ombrage;
Telle void-on changer la superbe cité,
En vn triste sejour remply d'obscurité,
Et tout ce qu'elle auoit de pompe et d'allégresse,

P144

S'effacer par les pleurs qu'on y verse sans cesse.
Dés que l'ordre est donné d'entrer dans les saints lieux,
Qu'on vient de consacrer au monarque des cieux;
Cent temples sont ouuerts à la foule innombrable
Pour accomplir le jeûne à iamais mémorable,
Dans chacun, mille voix confondent leurs accens,
Dans chacun, mille mains font brûler de l'encens;
Cent prestres, dans chacun, immolent les victimes,
Dont le sang doit couler pour la peine des crimes.
De tous les lieux sacrez qu'eust la vaste cité,
Le temple de Bélus fut le plus respecté.
Et fit plus que nul autre admirer sa structure
Par des efforts de l'art qui brauoient la nature.
L'edifice immortel, d'vn pied ferme et constant,
Dans vn espace immense et se fonde et s'étend,
Et portant jusqu'au ciel son orgueilleuse masse,
De six pointes d'airain les estoiles ménace.
Le sculpteur, et le peintre, au dedans, au dehors,
À l'enuy l'vn de l'autre ont orné ce grand corps;
À son antique front, à ses costez antiques,
Se presentent d'abord six portes magnifiques;
Où sont en traits diuers richement étalez,
Mille pompeux amas d'ouurages ciselez.
Dans son auguste sein tout est brillant, et rare,
Cent piliers éclatans, tous de marbre de Pare,
Portent le riche comble où réluit le trésor,
Des perles, des saphyrs, du coral, et de l'or;
De là, sans le secours d'aucune autre lumiére,
Sort vn éclat si vif qu'il blesse la paupiére.
Lors que le fier Bélus à sa fin arriua,
Ninus en sa faueur ce beau temple éleua;
Et sur le grand autel consacrant son image,
Voulut qu'on luy rendist vn solemnel hommage;
(triste commencement de l'idolâtre erreur,
Qui par là dans le monde établit sa fureur)
Mais dés le point du jour, de la grande statuë
On void le lustre esteint et la gloire abbatuë,
Et rien ne paroît plus dans ce celébre lieu,
Que l'on ne le consacre en l'honneur du vray dieu.
C'est là qu'entre le roy, qui baisant la poussiére,

P145

Parle, et fait en ces mots sa feruente priére.
Grand dieu, dont la clémence est la haute vertu,
Iette l'oeüil sur vn prince à tes pieds abbatu,
Dont l'ame penitente et n'aguere insensee,
Déplore en soûpirant sa conduite passée.
Ie viens enseuelir dans vn mesme cercueüil,
Mes profanes amours, mon téméraire orgueil;
Trop long-temps aux faux-dieux i'ay fait des sacrifices,
Ie les quitte, et renonce à mes vaines délices.
Ie n'auray désormais d'autre maistre que toy;
Mon seul guide sera le flambeau de ta loy;
Quoy que ta majesté m'ordonne ou me défende,
Elle n'aura de moy, que ce qu'elle demande;
Pourueû qu'à mes desirs elle daigne accorder
Vne grace, vn pardon que j'ose demander;
Ce n'est pas seulement pour garentir ma teste,
Que j'adresse à mon dieu cette ardente requeste.
Ie parle pour mon peuple en te parlant pour moy,
Epargne-le, seigneur, et plûtost que son roy,
Et puis qu'en t'offençant il suiuit mon exemple,
Qu'il viue, et que mon sang soit versé dans ce temple;
Que ie meure en sa place. Il s'arreste à ces mots,
Pour laisser exhaler ses pleurs et ses sanglots,
Puis il reprend, ô dieu! Nos ingrates malices
Nous ont fait mériter les plus rudes supplices!
Mais si tu donnes cours à tes justes rigueurs,
Quels seront les objets de tes saintes faueurs?
Si contre mes sujets ta colére s'embrase,
Où seront les mortels que ta foudre n'écrase?
Quelle ville pourra ta vengeance éuiter?
Car quel peuple t'adore et te peut imiter?
Tous ont, comme tu vois, pour leurs dieux tutelaires,
Des meurtriers, des larrons, d'infames adultéres,
Et si tu punissois tous leurs adorateurs,
Et si tu détruisois tous leurs imitateurs,
Ton tonnerre, ô grand dieu! Ton rigoureux tonnerre
De tous ses habitans dépeupleroit la terre;
Et peut-estre le peuple à qui tu fus si doux,

P146

N'en éuiteroit pas les formidables coups.
Voudrois-tu que ton ire à l'vniuers fatale,
Fist pleurer aux humains leur perte générale;
Sur-tout, quand ta bonté leur montrant ses rayons,
Se dépeint à leurs yeux en de riches crayons,
Déja depuis long-temps ta douce patience,
Tempére les rigueurs de ta juste vengeance;
Tu conduis le soleil dans ses douze maisons,
Pour nous distribuër les fertiles saisons,
Tu retiens en tes mains la foudre et les tempestes,
Qui ne font que gronder sur nos coupables testes.
Tu bénis le labeur de nos coûtres-trenchans;
Tu remplis de bon-heur nos villes et nos champs:
Aurois-tu fait veiller l'oeüil de ta prouidence,
Dont le regard fécond a fait nostre abondance;
Pour nous priuer aprés, par vn triste reuers,
Du fruit accoustumé de tes bien-faits diuers?
Tous ces soins pris pour nous te font voir pitoyable,
Estant si bien-faisant tu n'és pas implacable,
Et l'ordinaire cours des oeuures de tes mains,
Témoigne vn dieu propice aux crimes des humains;
Aujourd'huy que tu vois nostre douleur amére,
Permets que ta bonté desarme ta colére.
Hé! Pourrois-tu de nous éloigner tes bien-faits,
Quand nos coeurs pénitens éloignent nos forfaits!
Ah! Nous sommes, seigneur, par nostre repentance,
Dans le droit de pretendre à ta sainte alliance!
Nous sommes déja tiens, et tes coups triomphans
Ne pourroient en tombant que percer tes enfans!
Mais, plûtost que de nous, triomphe de nos vices,
Accorde nous ta grace, et reçoy nos seruices,
Comme à nostre salut, trauaille à ton honneur,
Ta gloire est attachée auec nostre bonheur.
Le roy prie en ces mots, ses sujets luy répondent,
Et par des voeux nouueaux mille voix se confondent.
Comme vn troupeau timide en fuyant le danger,
Suit les pas et la voix du fidéle berger,
Remplit de tristes cris les campagnes voisines,
Et les fait répéter aux echos des collines.
De mesme cette troupe, à la voix de son roy,

P147

Imite, en gémissant, et son zéle et sa foy,
Par vn effroy prudent causé par la tempeste,
Que le courroux de Dieu fait gronder sur leur teste.
En suite, aux yeux du roy, maint taureau massacré,
Est offert au vray-dieu par le prestre sacré,
Qui s'attachant encore à ses vieilles maximes,
Examine le foye et le coeur des victimes,
Considére leur sang, et dans leurs intestins,
Cherche l'auis du ciel, et l'arrest des destins.
Mais Dieu, pour le guérir de son humeur grossiére,
Et d'vn présage heureux luy fournir la matiére,
Vient consumer l'offrande, et d'vn trait radieux,
En fait voler la flame, et l'odeur iusqu'aux cieux.
Cet accident le trouble, et l'augure céleste,
N'estant connu d'aucun, de tous est creû funeste;
Et le prudent Elma qui les veut rassurer,
Peut, à-peine, obtenir qu'ils osent espérer.
Chacun, alors, plus plein de ferueur et de zéle,
Redouble ses soûpirs, et ses voeux renouuelle;
Et déja le soleil cherche le sein des eaux;
Et se haste de luire à des peuples nouueaux;
Sans que pour contenter la naturelle enuie,
Aucun d'eux ait vsé des soûtiens de la vie;
Et tous, les yeux au ciel tristement attachez,
N'ont fait, pendant ce temps, que pleurer leurs pechez.
Ô Dieu! Quelle douleur, et quelle repentance!
Et quelle est, ô Ionas, de ta voix la puissance!
Vn grand peuple te void dans les murs redoutez,
Desarmé, demy-nud, foible de tous costez;
Et les simples accens qui sortent de ta bouche,
Te rendent le vainqueur de ce peuple farouche.
Tu ne leur montres point de funeste signal,
Pour fonder le présage à leur repos fatal.
Et comme si ta voix conduisoit des armées,
D'vne ardeur inuincible à leur perte animées,
Ils se rendent d'abord au son de cette voix,
Et tout céde à ton cry, les peuples et les roys.
C'est icy du seigneur la vertu merueilleuse,
Qui confond des mortels la puissance orgueilleuse,

P148

Auecque la parole, auecque vn peu de vent,
Et jette sous l'agneau le lion arrogant.
Mais quoy, lors que Dieu void vn prince qui l'implore,
Vn peuple qui gémit, Niniue qui l'adore,
Qui témoigne son zéle en montrant ses douleurs;
Et méle tant de voeux auecque tant de pleurs.
Fera-t-il succéder le coup à la menace?
Ou réuoquera-t-il l'arrest de sa disgrace?
Quel sort donnera-t-il à des pécheurs soûmis?
Celuy de ses enfans, ou de ses ennemis?
À la gauche de Dieu sa séuére justice,
Pour leurs crimes passez demande leur supplice,
Et veut que sur l'arrest par Ionas prononcé,
Ce peuple ait le destin dont on l'a menacé.
La clémence, à sa droite, entreprend leur défence,
Et dans leur repentir veut noyer leur offense.
Alléguant que l'auteur de l'arrest rigoureux,
Iamais d'vn repentant ne fait vn malheureux.
Sur la iustice, enfin, la clémence l'emporte,
Et quoy que la plus douce, est pourtant la plus forte.
Qu'ils viuent, dit, alors, le monarque eternel,
Leurs larmes ont gagné mon pardon solemnel,
Ils ne périront pas, puis qu'ils se conuertissent,
Ils veulent me seruir, et ie veux qu'ils fleurissent.
Alors dans chaque temple aux yeux des pénitens,
Sa faueur fait briller des rayons éclatans,
Et d'vne telle voix chaque voûte résonne.
Tu te repens Niniue, et ton dieu te pardonne,
Mesme il veut t'enrichir d'vn heur rare et nouueau;
Et rendre ton destin plus illustre, et plus beau.
Chacun se léue alors, et chassant la tristesse,
Se fait voir transporté d'vne sainte allégresse,
Et mille, et mille voix prononcent hautement,
Gloire au dieu d'Israël qui nous est si clément.
Mais Ionas, lors qu'il void Niniue pénitente,
Démentir son présage, et tromper son attente,
Lors qu'il void désormais ses nombreux habitans,
Par la faueur du ciel, heureux et pénitens,
Il fait de leur bon-heur sa peine, et sa misére;

P149

Et la grace diuine excite sa colére.
Son ame est indignée, et la clarté des cieux
Est désormais vn bien, qui déplaist à ses yeux;
Bref, il est si choqué, par la veuë importune,
Des payens dont sa voix a prédit l'infortune;
Que pour estre affranchy de l'ennuy de les voir,
La mort ni le tombeau n'offrent rien de trop noir.
Comme vn jeune guerrier amoureux de sa gloire,
Qu'vn vain songe a flaté du gain de la victoire,
S'éueille auec douleur voyant ses ennemis,
À qui rien ne résiste, à qui tout est soûmis;
Ainsi Ionas s'afflige à l'aspect de la ville,
Qui change son présage en vn songe inutile.
Plein de ce déplaisir qui trouble son repos,
Il entretient son dieu de ces tristes propos.
Ah! Seigneur, luy dit-il, quelle est cette iournée!
Que Niniue par toy de faueurs couronnée,
Euite les effets de ma prédiction,
Et reçoiue les fruits de ton affection!
Ton esprit, ô grand dieu! M'a-t-il rendu prophéte!
Suis-je de tes decrets l'infaillible interpréte?
Commentaccordes-tu la parole à l'effet?
Ce que ma bouche a dit, ta main l'a-t-elle fait?
Pourquoy m'as-tu chargé d'annoncer la ruine
D'vn peuple qu'embrassoit ta clémence diuine?
En voulant le combler et de gloire et d'honneur,
Que ne m'as-tu prescrit d'annoncer son bon-heur?
Certes, si ma parole eût esté fauorable,
Ie serois satisfait me voyant véritable;
Et le succés heureux qu'il trouue en ta faueur,
Si ma voix l'eût prédit, seroit doux à mon coeur.
Mais ce sont des excés de ta miséricorde;
Et loin d'auoir douté du pardon qu'elle accorde,
Ie préuis le salut de ces incirconcis,
Quand ie pris le dessein de voguer en Tarsis.
Et que pour éuiter l'employ du vain message,
I'entrepris sur la mer vn périlleux voyage:
Ie creûs, ie dis alors, qu'estant vn dieu si doux,
Vn moment verroit naistre et mourrir ton courroux;
Que les plus grands pécheurs auec leur repentance,
Pourroient facilement désarmer ta vengeance;

P150

Et que Niniue mesme, au-lieu de tes rigueurs,
Sauroit par ses soûpirs attirer tes faueurs.
Mais, aprés-tout, seigneur! Qui craindra tes menaces,
Si leur bruit est suiuy de l'effet de tes graces?
Quel peuple te croira le vengeur des forfaits,
En voyant celuy-cy l'objet de tes bien-faits?
Celuy-cy dont les pleurs éteignant ta colére,
Ont calmé tout le bruit de ta vertu séuére?
C'est ainsi qu'vn grand vent, hors de son antre creux,
S'élance dans les airs auec vn bruit affreux,
On diroit à l'ouïr dans sa course soudaine,
Qu'il va bouleuerser la montagne et la plaine;
Qu'il abbatra nos murs, qu'il rompra nos cloisons,
Et joindra nostre perte au débris des maisons;
Mais dés qu'vn peu de pluye à sa fureur s'oppose,
Il r'entre en sa cauerne, afin qu'il s'y repose.
Que ce coup, ô gentils! Vous est auantageux!
Vous pouuez hardiment, par vos faits outrageux,
Noircir le dieu d'Isaac d'vn horrible blasphéme,
Transporter à vos dieux son puissant diadéme;
Laisser à la luxure échauffer vostre sein;
Vous soüiller, vous baigner dans le sang du prochain;
Exercer, en vn mot, les plus infames vices:
Sans vous mettre en danger d'éprouuer ses supplices.
Il est vray que d'abord il fera contre vous,
Par vne aspre menace éclater son courroux;
Il vous menacera de vous réduire en poudre;
Mais, mal-gré ses éclairs, ne craignez point sa foudre,
Pour en rompre le trait vous n'auez qu'à pleurer,
Sa fureur contre vous ne pourra pas durer.
Ô grand dieu! Que dira l'impure calomnie,
Voyant ton ordre vain et Niniue impunie?
Que diront ces gentils, dont la profane erreur
Cherche à noircir ta gloire auec tant de fureur?
Ils oseront nommer ta vérité flotante,
Tes sentimens douteux, ta colére inconstante,
Ils diront que tu veux ce que tu ne veux pas,

P151

Que tu donnes la vie en offrant le trépas;
Et qu'il peut arriuer que tu changes d'enuie,
Pour donner le trépas en promettant la vie.
Faut-il que pour sauuer vne infame cité,
Tu te mettes en butte à leur impiété;
Le salut des méchans est-il si nécessaire,
Que pour eux ie te voye à ta gloire contraire?
Ha! Punis-moy plûtost de ce fleau rigoureux,
Que ta main ne veut pas faire tomber sur eux.
Ionas, par ce discours, sa disgrace déplore,
Et se plaint à son dieu de ce qu'il vit encore.
Ainsi le combatant qui veut vaincre, ou mourir,
Quand il se void vaincu, ne cherche qu'à périr;
Et priué du succés d'vne illustre apparence,
Il veut perdre le iour en perdant l'espérance,
Aimant mieux se porter à ses derniers soûpirs,
Que nourrir en viuant d'éternels déplaisirs.
Mais, le seigneur, alors, ramenant son courage,
Censure les excés de son dernier langage.
Ionas, quel est ce zéle aueugle et forcené,
Que me vient opposer ton esprit mutiné?
Ie pardonne, il suffit, au peuple de Niniue;
Ie say pourquoy ie veux qu'il m'adore et qu'il viue;
Et ie puis, sans vser de ta séuérité,
Accorder ma sagesse auec ma volonté;
C'est mon propre interest, c'est vn soin qui me touche,
Et la part que i'y prens te doit fermer la bouche;
Ie puis, pour cent raisons que tu ne connois pas,
Donner tantost la vie et tantost le trépas;
Estre le fleau des vns, des autres le refuge,
Traitter les vns en pére, et les autres en iuge;
Enuoyer vne heureuse ou funeste saison,
Sans que ie sois tenu d'en marquer la raison,
Quand donc à la cité ie montre vn oeüil propice,
Dois-tu de ses enfans desirer le supplice?
As-tu plus d'intérest à les voir retranchez,
Que le dieu tout-puissant qu'outragent leurs péchez
Et sans auoir vne ame implacable, inhumaine,
Peus-tu faire éclater ces marques de ta haine?
Et les faire éclater par des voeux si crüels,

P152

Qu'à ta propre personne ils deuiendroient mortels,
Si le soin généreux de ma bonté parfaite,
N'empéchoit les mal-heurs que ton ame souhaite?
Quelle fureur te pousse en tes ardens discours,
De vouloir que ma main vienne trancher tes iours?
Sais-tu-pas que j'en suis le souuerain arbitre?
Et comment oses-tu me disputer ce titre?
Quiconque par ses voeux précipite sa mort,
Veut prescrire des loix au maistre de son sort,
Et tendre de la sorte à la fin de son estre,
C'est vouloir vsurper le pouuoir de son maistre.
Ionas, sans repliquer, sortant de la cité,
Choisit pour sa demeure vn espace écarté,
Où du soleil naissant l'agréable lumiére,
De ses prémiers rayons vient fraper la paupiére.
Dans cette solitude, il conçoit le dessein,
De consoler l'ennuy qui déuore son sein.
Déja de cent rameaux dont sa teste est couuerte,
Il fait vne feüillée aussi sombre que verte;
Et dans ces lieux où régne, et l'ombre, et la fraischeur,
Se repose le corps du célébre précheur.
Tandis que son courage, en mille soins fertile,
Attend le iour prescrit aux mal-heurs de la ville.
Voyons, dit-il, si Dieu, par quelque ordre secret,
Pressera les rigueurs de son premier decret;
Et s'il fera céder sa grace à sa vengeance,
Comme il a fait céder son ire à sa clémence,
Ce dieu qui leur pardonne, et vouloit s'en venger,
S'il a déja changé, peut encore changer;
Et porter dans Niniue vne suite sinistre,
Du bon-heur qui dément la voix de son ministre.
Ionas se flate ainsi de l'espoir rigoureux,
De voir d'vn heureux peuple en faire vn malheureux;
Lors que pour reprimer sa rigueur indiscréte,
Dieu pousse, et fait germer, par sa vertu secrete,
Vne agréable plante, vn aymable arbrisseau,
Dont le feüillage épais, admirable, et nouueau,
Forme au tour de sa teste, vn lambris vert et sombre,
Qui la met à couuert en luy prétant son ombre;

P153

Et du iour enflammé vient éteindre l'ardeur,
Quand déja la feüillée a perdu sa verdeur.
Le peintre ingénieux, qui d'vn beau païsage,
Dans vn riche tableau représente l'image;
N'a pas si-tost tiré, par de viues couleurs,
D'vn myrthe, ou d'vn rosier, les feüilles et les fleurs,
Que le secret pinceau de la vertu diuine,
À cette chére plante a fait prendre racine,
Formant en vn clin d'oeüil, du moindre de ses traits,
Et sa tige, et ses fleurs, et son feüillage épais.
Ionas, qui le void naistre, admire sa naissance,
Et commence à jouïr de sa douce présence.
À ce petit objet il borne ses desirs;
Son oeuil le considére auec mille plaisirs;
Il void, auec transport, les fleurs dont il éclate;
Il touche, auec respect, sa feüille délicate,
Et ses mains n'oseroient déchirer des rameaux,
Qui s'offrent à ses yeux, si riches et si beaux.
Mais ce qui plus le touche à l'aspect du feüillage,
Qui remplît tout ce lieu de fraîcheur et d'ombrage,
C'est d'auoir veû monter presque dans vn moment,
Sur la morte feüillée vn arbrisseau charmant.
Comme il void que du ciel l'ordinaire influënce,
N'a peû si promptement luy donner la naissance,
Il iuge que Dieu seul produit ce noble effet;
Et goûte les douceurs d'vn si rare bien-fait.
Consolant par l'aspect de cette jeune plante,
L'ennuy qu'il a de voir Niniue florissante.
Mais cet objet naissant de ta plus tendre amour,
Ne le fut, ô Ionas! Que l'espace d'vn iour;
Et ie vois qu'aussi-tost que sur nostre hémisphére,
S'étale du soleil la blanche messagére,
L'auteur de cet objet abrége son destin;
Et l'ayant fait le soir, le détruit le matin.
Il suscite vn grand ver de qui l'aspre morsure,
Ronge ce beau tissu de fleurs et de verdure;
Et Dieu joint à l'insecte vn vent qui fait seicher
Le feüillage de l'arbre au prophete si cher.
C'est alors que Ionas, qui pour couurir sa teste,
N'a plus, comme il auoit, son ombre toute preste,
Eprouue du soleil la brûlante chaleur,

P154

Et pareil à sa plante, il seiche de douleur,
Il a presque perdu la voix et la parole;
On diroit à le voir que son ame s'enuole.
Comme vn coeur amoureux qui se void arracher,
Par vn sort auancé ce qu'il a de plus cher,
Conçoit de cette perte vne extéme tristesse,
Et ne peut résister au regret qui le presse.
Ainsi Ionas, priué de son cher arbrisseau,
Par l'effort venimeux du fatal vermisseau;
Il perd toute sa joye, et voudroit que sa vie,
Par vn semblable sort luy fust déja rauie.
Dieu! Dit-il, pren ma vie et termine mon sort!
La vie est à mon coeur moins douce que la mort.
Dieu, qui l'oit en ces mots, déplore sa misére,
Insensé! Luy dit-il, quelle est cette colére?
Quel est ce noir chagrin, et ce dépit mortel,
Qui me choque, et te rend à toy-mesme cruël?
Quoy? Pour vn arbrisseau, pour vn chétif feüillage,
Tu formes des soûhaits qui vont iusqu'à la rage?
Quoy? Pour te voir priué d'vn si fragile objet,
Tu veux cesser de viure! ô le digne sujet!
Ah! Seigneur, dit Ionas, permets-moy de mw plaindre,
Ie desire vn trépas que ie ne dois plus craindre,
Si priué des douceurs de cet aymable objet,
Ie demande la mort, ce n'est pas sans sujet.
Hélas! Cet arbrisseau, dont la fraîche verdure
Estoit le reconfort de l'ennuy que j'endure!
Et formoit vn ombrage à nul autre pareil,
Que n'eussent peû percer tous les traits du soleil!
Cet arbrisseau, priué de vigueur et de force,
A veû seicher sa feüille, et ronger son écorce;
Maintenant qu'il n'est plus ie cherche le trepas,
Le trepas seul, pour moy, peut auoir des appas.
Ce n'estoit, il est vray, qu'vne plante fragile;
Mais tu joins cette perte au salut de la ville,
Et m'ostes le moyen, mesme le plus léger,
D'adoucir ma tristesse, et de la soulager!
Soit que ta main conserue, ou soit qu'elle détruise,
Tout nuit à mes desseins, rien ne les fauorise,
Et toûjours vn succés contraire à mes desirs,

P155

Fait naistre mes douleurs, et mourir mes plaisirs.
Tu prépares encor quelque peine nouuelle;
Mais ne m'en donne point qui ne me soit mortelle,
Achéue d'vn seul coup ma vie et mes douleurs,
Et fay couler mon sang pour arrester mes pleurs.
Alors, Dieu, dont la main de l'arbrisseau le priue,
Pour luy faire approuuer le salut de Niniue,
Luy réplique, ô Ionas! Ton esprit et tes yeux,
Trouuoient dans cette plante vn objet précieux,
Dans ce jeune arbrisseau, dont la foible nature,
N'auoit receû de toy naissance ni culture;
Et tu veux que ie perde vne auguste cité,
Qui me doit sa grandeur, sa force, et sa beauté,
Et mette à si vil prix cette reyne du monde,
Où le peuple fourmille, où la richesse abonde,
Où ie viens de conter plus de cent mille enfans,
Qu'éloigne des péchez la foiblesse des ans;
Sa perte pourroit-elle estre assez légitime,
Dont le coup confondroit l'innocence et le crime.
Et dois-je perdre, enfin, comme mes ennemis,
Leurs péres pénitens, abatus, et soûmis;
Qui reuestus du sac, et couuerts de poussiére,
Donnent à ma clémence vne illustre matiére?
Toy qui les menaçois de leur destruction,
Voy celle de leur vice en leur conuersion;
Voy de tous leurs excés la vanité détruite,
Voy Niniue aujourd'huy presqu'en cendre réduite.
Il suffit que ma main ait produit des effets,
Où tu peux contempler la fin de ses forfaits.
La mort de ses erreurs rend mon ire assouuie;
La mort de ses péchez est l'arrest de sa vie;
Et celuy que ta bouche y faisoit retentir,
Ne veut pas sa ruïne aprés son repentir.
Mais puis-qu'à cet objet mon peuple n'a pas honte,
Qu'vne race étrangére en vertu le surmonte;
Puisque l'ingrat s'obstine à rejetter mes loix,
Quand Niniue se rend au seul bruit de ta voix;
Tourne, et pousse les traits de ton humeur séuére,
Contre ce digne objet de ma iuste colére;
Desire, auéque-moy, de le voir asseruy,
Tu verras par ses fers ton desir assouuy;

P156

Phul qui se conuertit, luy donnera des chaisnes,
Et de ses grans forfaits ébauchera les peines;
Le rendra tributaire, et Tiglath aprés luy,
Par de plus durs liens le comblera d'ennuy.
Ma sagesse qui veut contenter ma iustice,
A condamné on peuple à ce rude supplice;
Et ma douce clémence a, d'vn peuple payen,
Obtenu le pardon par son sage moyen.
Cependant, pour t'ouurir le fond de ce mystére,
Ie vay t'illuminer d'vn rayon salutaire,
Et veux que mon esprit vienne t'entretenir
Des merueilleux succés d'vn illustre auenir.
Alors, l'esprit diuin, agissant dans son ame,
Le remplit, et l'agite, et l'éclaire, et l'enflame;
Eléue sa raison, et transporte ses sens,
Et l'instruit en secret, par ces graues accens.
Dans les siécles futurs, vne grande lumiére
Doit, du monde aueuglé, dessiler la paupiére;
Vn redempteur souffrant, vn sauueur glorieux,
Purgera l'vniuers du culte des faux-dieux;
Et les gentils soûmis par ses exploits célébres,
Du vice et de l'horreur quitteront les ténébres.
Niniue est aujourd'huy du mystére important,
Vn essay magnifique, vn prélude éclatant;
Et comme pour punir l'ingrat israëlite,
Dieu va l'assujétir à l'heureux niniuite;
Ainsi quand les gentils auront de toutes pars,
Arboré du sauueur les sacrez étendars;
Ils auront par ses soins vne pleine victoire,
Des bourreaux de ses iours, des jaloux de sa gloire;
Et les iuifs endurcis, aueugles, obstinez,
À gémir sous leur joug se verront condamnez.
C'est par de tels propos, que l'esprit prophétique,
De l'obscur auenir les mystéres explique,
Et le prophéte, alors, adore saintement
Les sages profondeurs du diuin iugement.
Il craint Dieu, dont les iuifs, et la payenne race,
Eprouuent, tour-à-tour, la colére, et la grace,
Et guidé par l'esprit il va dans la cité,
Confirmer le decret de sa félicité.

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