LIVRE 7
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Tandis qu'ainsi Ionas contemple ce mystere,
Dieu vient presser l'effet de son ordre seuere,
Et les graues accens de sa tonnante voix,
S'adressent au prophéte vne seconde fois.
Va parler, luy dit-il, au peuple de Niniue;
Ie l'ay comblé de biens, dy-luy que ie l'en priue;
Que mon coeur irrité par les maux qu'il a faits,
Va rendre sa misere égale à ses forfaits,
Et que sur la cité déployant ma iustice,
Apres deux fois vingt jours ie veux qu'elle perisse.
Ionas à ce discours se montre obeïssant,
Et ne résiste plus aux loix du tout-puissant,
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Les titres odieux de lâche et de rebelle,
Cédent à son ardeur courageuse et fidele
Tous les motifs qu'il eut, ne sçauroient l'émouuoir,
Et sans peine et sans crainte il vole à son deuoir.
Ainsi quand le coursier farouche et difficile,
Par les soins de son maistre est deuenu docile,
Il reconnoît d'abord et sa voix et sa main;
Et marche où le conduit son genereux dessein.
Iuste et puissant moteur de sa haute entreprise,
Qui pour l'exécuter luy rendis la franchise,
Et luy sçeus inspirer la constance et le coeur,
D'vn ferme combatant qui présage vn vainqueur,
Fay qu'encore à ce coup ta vertu me soûtienne,
À chanter par ma voix les exploits de la sienne!
Déja pour le dessein que son dieu luy commet,
Du haut mont de Trapeze il franchit le sommet,
Et d'vn pas vigoureux, d'vne course soudaine,
Trauerse comme vn trait la campagne prochaine,
Passe le haut Moscie, et le sublime Abos;
Et la montagne où l'arche alla brauer les flots;
Il void, dans son chemin, des prouinces entieres;
Il passe leurs forests, leurs lacs, et leurs riuieres.
Et sans qu'aucun peril r'allentisse son cours,
S'auance vers Niniue, et découure ses tours,
Ionas estant guidé du pere des miracles,
Surmonte constamment toutes sortes d'obstacles;
Et courant vers vn peuple infidéle et méchant,
Auant que l'auoir veû, croit le voir trébuchant:
Comme il attend l'effet de ses justes présages,
De Niniue il se fait mille affreuses images;
Et dans l'opinion de sa perte auenir,
Luy porte tous les coups qui la doiuent punir,
Il contemple en esprit, ses maisons, ses murailles,
Et de ses habitans les tristes funerailles,
Il luy semble en effet qui la void succomber,
Et pense que sa voix la doit faire tomber.
Comme dans vn tableau, dont le dessein tragique,
Exprime les mal-heurs d'vne perte publique,
Le peintre a rassemblé mille traits différens,
De chevaux abbatus, d'hommes morts, ou mourans,
De païs rauagez, de plaines desolées,
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De temples démolis, et de maisons brûlées;
Ainsi Ionas a peint dans son coeur irrité,
Tous les traits du mal-heur qui pend sur la cité.
Plein de cette pensée, à son projet vtile,
Il adresse ses pas vers la superbe ville,
Il la void, et son oeil rauy de sa splendeur,
En remarque à-loisir la force et la grandeur.
Il admire au dehors ses murailles antiques,
Il admire au dedans ses palais magnifiques,
Ses portiques fameux, ses temples éclatans,
Et le nombre infiny de ses fiers habitans.
Mais son coeur reprenant sa prémiére pensée,
À ses yeux étonnez la dépeint renuersée,
Et vient rompre le cours de l'admiration,
En r'appellant l'objet de sa destruction.
Il dit, lors qu'en luy-mesme il pense à sa disgrace,
Ô Niniue! Ton sort, va bien changer de face.
C'est ainsi qu'vn grand cédre, est et pompeux et beau,
Quand mesme il fait la guerre au céleste flambeau;
Tandis que le sommet de sa teste chenuë,
S'éléue sur cent bras estendus dans la nuë,
Et que son pied robuste appuy de son grand corps,
Des plus fiers aquilons méprise les efforts,
Mais si la dure hache à son tronc attachée,
S'appréte à faire voir sa fierte retranchée,
On déplore sa chûte et le proche débris
De son pied, de sa teste, et de ses bras flétris.
Le prophéte introduit dans la ville idolatre,
N'arme que sa parole afin de la combatre,
Ce grand-homme couuert d'vn simple vestement,
S'y fait voir sans éclat, comme sans ornement;
Son appareil n'a rien qui ne soit méprisable
Mais sa démarche est graue, et son port vénérable;
Vn baston seulement est l'appuy de sa main,
Toutefois, dans son ame il roule vn grand dessein:
Les accens de sa voix sont de foibles organes,
Il en ose pourtant attaquer des prophanes,
Et fait dans la cité ce discours retentir,
Attendant leur ruïne, et non leur repentir.
Quand deux fois vingt soleils auront remply leur course,
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Niniue, des forfaits le theâtre et la source,
Et tout ce qui respire en cette ample cité,
Tombera sous les coups du seigneur irrité.
À ces mots redoublez, la rude populace,
L'accuse de folie, et rit de son audace,
S'assemble autour de luy par diuertissement,
Et feint de desirer quelque éclaircissement.
Dy-nous, luy disent-ils, quel dieu vers nous t'enuoye?
Fay nous le mieux connoistre auant qu'il nous foudroye?
Et puis que par sa main nous deuons tous périr,
Apprens-nous à le craindre auant que de mourir.
De trop de cruauté sa puissance est suiuie,
S'il ne veut sur ce poinct contenter nostre enuie.
Par ce discours moqueur que suiuent mille cris,
Ces prophanes mortels luy montrent leur mépris;
Mais comme vn grand oyseau que les petis haïssent,
Vole, malgré leurs cris, dont les airs retentissent,
Tel Ionas, en dépit du bruit injurieux,
Poursuit de ses desseins le cours victorieux,
Et d'vne docte bouche étale les mystéres
Qui marquent de son dieu les coups les plus séuéres.
Ce grand dieu, leur dit-il, ce maistre que ie sers,
Est l'arbitre et le roy de ce grand vniuers:
C'est de son bras puissant qu'il lance le tonnerre,
Qu'il meurt le firmament, qu'il fait trembler la terre,
De sa main en six jours il fit les elémens;
Et pourroit les détruire en moins de six momens,
Ah! Peuples ignorans, si vostre ame aueuglée,
Pouuoit voir comme moy sa force signalée,
Méchans! Si vous sçauiez tout ce que l'eternel,
A fait contre l'Egypte, et pour son Israël,
Si vous sçauiez combien il a forcé d'obstacles,
Combien, pour l'establir, il a fait de miracles;
Combien, dans Canaan on peut conter d'exploits,
Qu'ont fait par sa vertu nos iuges et nos roys;
Si vos yeux seulement auoient veû les merueilles,
Qu'ont accomply pour moy ses vertus nompareilles;
Vous jugeriez mon dieu plus grand que tous vos dieux;
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Mais ce dieu pour le voir n'a point ouuert vos yeux.
Laissant donc mille exploits qu'il fait ou qu'il peut faire,
I'en vay raconter vn qu'on ne doit pas vous taire.
Quand du monde ancien les jeunes habitans,
N'estoient guére éloignez de la source des temps,
De leurs débordemens la terre estoit couuerte,
Aux crimes les plus noirs leur ame estoit ouuerte;
On voyoit par leurs mains les saints lieux prophanez,
Les temples démolis, les autels ruïnez;
L'impiété, l'orgueil, et l'infame luxure,
Animoit tout le corps de cette race impure.
Ce siécle détestable éleua des géans,
Que le monde eut pour roys, ou plûtost pour tyrans
Les pays éloignez, et les terres voysines,
Virent leurs cruautez, souffrirent leurs rapines,
La terre les craignoit, et leur oeil orgueilleux,
Brauoit mesme le ciel d'vn regard sourcilleux.
Comme les fiers lions aux griffes inhumaines,
Quand lâchez vne fois ils ont rompu leurs chaînes,
Portent en mille endroits leur sanglante fureur;
Et traînent aprés-eux le carnage et l'horreur,
Et mesme quelquefois se portent à poursuiure,
Le maistre dont la main leur fournit dequoy viure;
Tels estoient ces géans, des peuples redoutez,
Que Dieu luy-mesme vit contre luy reuoltez.
Noé préche en son nom contre leur tyrannie,
Et du monde peruers combat la felonnie.
Ce Noé fût le seul entre tous les mortels,
Dont la langue soûtint l'honneur de ses autels.
Mais chacun méprisant la voix du patriarche,
Auec tous ses enfans il entra dans vne arche,
Quand Dieu prest à noyer le reste des humains,
Pour construire cette arche eût adressé ses mains.
Déja pour se venger de tant d'hommes rebelles,
Il commande à ses vens de déployer leurs ailes,
Qui d'vn nuage épais obscurcissant les airs,
N'y laissent de clarté que celle des éclairs;
Sa main presse le corps de ce nuage sombre,
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Et répand son humeur aussi loin que son ombre,
La terre découurant le secret de ses eaux,
Fait sourdre en mille endroits mille fleuues nouueaux,
Dieu, par qui de la mer les bornes sont prescrites,
Luy permet, à ce coup, de franchir ses limites,
Et luy-mesme, en ces jours, se joint à ses efforts,
Pour porter sa fureur au-delà de ses bords,
Conduisant sur les fleurs des plus beaux païsages,
L'océan débordé, qui n'a plus de riuages.
Et comme si de l'air, de la terre, et des mers,
L'eau ne suffisoit pas pour noyer l'vniuers,
Il ouure dans le ciel les sources inconnuës,
De ces eaux, dont le lit est plus haut que les nuës.
Alors, de tant de flots qui joignent leur fureur,
Le bruit, comme la veuë, épouuante d'horreur,
L'onde, qui respectoit les plus humbles campagnes,
Vient choquer le sommet des plus hautes montagnes;
L'vniuers ne connoît que ses seuls mouuemens;
Et l'eau seule, à ce coup, est tous les élémens.
Au milieu de cette eau, non moins vaste que forte,
Flotent confusément les choses qu'elle emporte:
Se coulant en tous lieux, elle enléue à-la-fois,
Les hostes des citez, et les hostes des bois;
Les plus grans ennemis sont maintenant ensemble,
Sans craindre que l'effet du flot qui les assemble:
Cet accident vnit les loups et les agneaux,
Et méle les serpens auéque les oyseaux.
L'un vogue sur vn mont, l'un roule, et l'autre nage,
Où n'aguére il vaquoit aux soins du labourage,
Celuy-cy jette l'ancre, au milieu des moissons,
Et chacun porte enuie au bon-heur des poissons.
En vain, pour éuiter les fureurs du deluge,
Des arbres ou des mons on cherche le réfuge;
En vain, quand l'vn se croit garenty du trépas,
Vn autre, en l'appellant crie, et luy tend les bras.
Le cerf mesme ne peut se sauuer de vitesse,
Il se void arresté par le flot qui le presse,
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Et par l'air pluuieux les plus légers oyseaux,
Lassez tombent, enfin, dans le gouffre des eaux;
Par ce fléau général, il faut que tout succombe,
Le monde enseuely dans vne humide tombe,
N'a rien de si petit, et n'a rien de si grand,
Qui puisse, contre l'eau, trouuer quelque garand.
Les loges des bergers, et les palais superbes,
Les cédres les plus hauts, et les plus basses herbes,
Les ronces et les fleurs, les chardons et les bleds,
Sous ce roulant fardeau se trouuent accablez.
Il n'est point de climat que l'onde ne rauage;
Il n'est point de vaisseau qui ne fasse naufrage;
Noé seul et les siens, dans leur arche enfermez,
Sont garentis des flots, où tous sont abîmez.
Ainsi quand par l'effort d'vne affreuse tourmente,
Vne flote périt sur la mer inconstante,
Et qu'on void trébucher dans ses flots courroucez,
Des planches et des corps, péle-méle entassez:
Le nid des alcyons, à qui rien ne peut nuire,
Est assuré sur l'eau, qui craint de le détruire:
Et ces heureux oyseaux, par la faueur des cieux,
Euitent la fureur des flots capricieux.
Tu connois maintenant et ton iuge et ton maître;
Peuple, si ce récit le peut faire connoître,
L'vniuersel deluge est vn des grans exploits,
Du grand dieu qui conduit et mes pas et ma voix!
Il viendra, poursuit-il, dans les lieux où nous sommes,
Egaler vos mal-heurs au sort des prémiers hommes,
Puisque, par vos forfaits, vous auez mérité
D'estre en butte aux grans coups de son bras irrité.
C'est par là que Sodome et Gomorre, coupables,
Attirerent, jadis, ses flames redoutables;
Ce furent, en leur temps, deux superbes citez,
Qui donnérent des loix à cent lieux habitez.
Le seigneur, dont la main en faueurs est fertile,
Les combloit de ses biens, comme il fait cette ville;
Mais là, comme en ce lieu, l'éclat de ses bien-faits
S'effaçoit par l'horreur des plus lâches forfaits,
L'insolence y régnoit, et l'infame luxure,
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Y changeant, comme icy, l'ordre de la nature.
Mille sales excés, en ces horribles lieux,
Prouoquoient, comme icy, la colére des cieux:
Quand Dieu, laissant d'en-haut mille flames descendre,
Ne fit d'vn grand païs que poussiére et que cendre;
Et tous ses habitans, par les plaines de l'air,
Virent voler la foudre aussi-tost que l'éclair.
Vn mélange effroyable, et de feux et de soufre,
Ouurit d'vn nouueau lac l'épouuantable gouffre,
Où bourgs, villes, citez, bois, hommes, animaux,
Furent enuelopez sous des flots infernaux,
De leur punition ce lac encore fume,
Et jette incessamment des vapeurs de bithume.
Les poissons, dans cette eau, trouuent leur monument
Et sont là, comme en l'air, hors de leur élément.
Aux corps les plus pesans son sein elle refuse,
Et sa malignité dans les arbres infuse,
Fait que le fruit cueilly sur ces funestes bords
N'est que cendre au-dedans, quoy qu'il luïse au dehors.
Tremble, tremble Niniue, aprés vn tel exemple,
Qui t'offre de ta peine vne image assez ample,
Et sçache que les loix du céleste courroux
Ne te réseruent pas à de moins rudes coups.
Là s'arreste Ionas, mais à-peine il achéue:
Qu'vn bruit en sa faueur de la foule s'éléue,
On le croit, on le craint, et ce peuple effrayé
Semble estre en cet instant pas sa voix foudroyé,
Cette voix du prophéte est si forte et si viue;
Que son terrible son vole par tout-Niniue,
Le bruit qu'vn petit nombre a sur l'heure entendu,
Est tost de ruë en ruë en tous lieux épandu.
Ainsi le feu qui brûle vne forest épaisse,
Où par la grande foule, vn arbre l'autre presse:
D'vn mouuement subtil, qui se glisse par tout,
Passe de branche, en branche, et court de bout en bout;
Si-bien que la forest, qui petille, et qui fume,
Par ses ardens progrés, toute-entiere s'allume.
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Ionas, par son discours, messager du cercueil;
Tout-à-coup, de Niniue, a fait tomber l'orgueil.
Au-lieu des vanitez qui faisoient ses délices,
Elle ne pense plus qu'à l'horreur des supplices.
La frayeur la posséde et l'apprehension,
Défigure les traits de son ambition.
Depuis que le prophéte, auec mille menaces,
Du peuple niniuite annonce les disgraces;
L'aurore découurant son sein frais et vermeil,
A deux fois annoncé le retour du soleil;
Mais si-tost que Ionas void poindre sa lumiére,
Il fait parler sa bouche en ouurant la paupiére:
Et sa voix, dont l'éclat retentit en ces lieux,
Est vn foudre qui suit les éclairs de ses yeux.
Ces éclairs, et ce foudre, à-mesure qu'ils sortent,
Etonnent la cité par les coups qu'ils luy portent.
Et dans tous ces quartiers causent vn grand effroy,
Dont le bruit se répand iusqu'au palais du roy.
Pour s'éclaircir de tout Phul mande le prophéte,
Dont la voix redoutable a prédit sa défaite.
Ionas est amené dans le royal séjour,
Et le roy curieux entouré de sa cour,
Se prépare à l'ouïr dans sa superbe sale,
Où des perles reluit la pompe orientale,
Où l'or, parmy l'azur, dans vn vaste pourpris,
Forme vn riche portrait du céleste lambris.
Là d'vn ordre excellent la sçauante peinture,
Des princes d'Assyrie a tracé la figure;
Là, se fait voir orné de l'arc et du carquois,
Nemrot premier tyran des peuples et des roys,
Et prés-de-luy paroît cette tour trop superbe,
Dont l'orgueil est contraint de se cacher sous l'herbe.
Le second est Bélus, dont le glaiue tranchant,
Fut trempé dans le sang des peuples du couchant,
Qui fit iusqu'au sarmate éclater la tempeste,
Et d'vn puissant empire ébaucha la conqueste.
Puis vient son fils Ninus, dont l'héroïque bras,
Dontant le roy Saguin au-milieu des combats;
Fait aux peuples voisins vénérer son empire,
Veut que toute l'Asie à sa grandeur conspire,
Et pour rendre en tous lieux son pouuoir redouté,
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Iette les fondemens de la grande cité.
Semiramis le suit, son epouse vaillante,
Qui tient le glaiue ardent en sa main triomphante,
Et d'vne mine altiére, et d'vn port valeureux,
Presse les larges flancs d'vn coursier généreux:
Sous l'habit de son fils, son adresse admirable,
Sceut prendre de l'estat la conduite honorable,
Et lors qu'à ses hauts-faits tout le monde applaudit,
À son habit prémier son orgueil la rendit,
Dés qu'elle eût asseuré la puissance du throne,
Superbe, elle fonda les murs de Babilone;
Et porta iusqu'au ciel cent ouurages fameux,
Sur les celébres bords de l'Euphrate écumeux.
On luy void à-demy la teste écheuelée,
Pour marquer de ses soins la gloire signalee;
Quand n'ayant ses cheueux peignez tout d'vn costé.
Elle alla subjuger la rebelle cité,
Par son ambition, qui ceint toute la terre,
Au monarque indien elle porta la guerre,
Et creut l'épouuanter par de feints eléphans,
Dont les vrays, toutefois, se virent triomphans.
Mais cette reyne impure, autant qu'ambitieuse,
Osa brûler depuis d'vne amour trop honteuse,
Et pour d'infames feux, dont son coeur fut épris,
Mérita de mourir de la main de son fils.
Ce fils ne fut connu que par ce coup étrange,
Et ne fit iamais rien qu'indigne de loüange.
Les autres roys en traits légérement tracez,
Se font voir, aprés luy, d'vn long ordre placez,
Arius, Aralie, et le hardy Balée,
Qui poussa son empire aux confins de Iudée,
Armatris, qui ne sceut qu'aux plaisirs s'adonner,
Béloch, qui fût sçauant en l'art de deuiner,
Le paisible Altadas ennemy des batailles,
Mamitus bien instruit à forcer des murailles,
Le fort Ascarades, de qui les syriens
Receurent, en tremblant, le joug et les liens,
Mamelus, et Sparete, et tant d'autres encore,
Qu'adoroient en leurs jours le couchant et l'aurore,
Entre tous ces portraits éclatent deux tableaux,
Qui sont les plus charmans comme les plus nouueaux.
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Dans l'vn, foible et honteux ses disgraces étale,
Le dernier des roys morts, le mol Sardanapale,
Qu'en esclaue d'amour de myrthes couronné,
On void par le beau séxe en triomphe mené.
La quenoüille à la main, le col chargé de chaines,
Il semble soûpirer et raconter ses peines,
Et celles dont il fait ses indignes vainqueurs,
Semblent le diffamer par leurs signes mocqueurs.
Tandis qu'il se consume au vain feu de leurs charmes,
De Phul et de Parnace il void briller les armes;
Ces deux chefs veulent voir leur maistre détrôné,
Et sont prests à percer son coeur efféminé.
Contraint de se défendre il oppose aux deux braues,
Vn camp tout composé de femmes et d'esclaues,
On le bat, il s'enfuit, et son riche palais,
Le reçoit en desordre auéque ses valets,
Là, croyant effacer sa honte et ses foiblesses,
Il se fait vn bucher de toutes ses richesses,
Et de sa propre main y portant le flambeau,
A le coeur d'y chercher vn illustre tombeau.
Mais dans l'autre tableau Phul éclate luy-mesme,
De son maistre détruit il prend le diadême;
Depuis que d'Assyrie il régit les estats,
Il se croit au dessus des plus grans potentats;
Il conçoit de l'amour, mais aimant ses maistresses,
Sans offrir trop de voeux il reçoit leurs caresses;
L'ambitieux desir d'estre creû valeureux;
Le rend plus retenu dans ses soins amoureux,
Mesme il craint d'attirer le mal-heur et le blâme,
Que son maistre encourut pour auoir trop de flâme.
Adine, cette illustre et charmante beauté,
Seule tient le monarque en ses fers arresté,
Et pour ce seul objet dont le bel oeil le blesse,
Il ose ouuertement témoigner sa tendresse.
Adine a des appas qu'idolâtre la cour,
Qu'accompagnent par tout les graces et l'amour,
Sa mine, quoy que noble, est plus douce que fiére,
Ses yeux, quoy que brillans d'vne viue lumiére,
Sont d'vn azur serein, sont tranquilles et clairs,
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Iettant plus de rayons qu'ils ne lancent d'éclairs.
Son visage charmant est de figure ronde,
Où luit de chaque part l'or de sa tresse blonde;
Qui par riches anneaux artistement liez,
Du haut d'vn front vny tombe à flots déliez:
La nature, sans l'art, sur son teint fait éclôre,
Et le rouge et le blanc dont se pare l'aurore;
Sa bouche, dont la voix enchante les esprits,
Au-prés d'vn vif coral a des perles sans prix.
Son sein s'enfle d'orgueil par le beau priuilége
D'effacer la blancheur du laict et de la neige,
Et ses bras, demi-nuds, montrent de belles mains,
D'où l'on croit que dépend le destin des humains.
On void dans tous ses traits vn charme inexprimable,
Qui range tous les coeurs sous son empire aimable:
Et sa taille et son port ont vn tel agrément,
Qu'il n'est rien de si libre, et rien de si charmant.
Phul son maistre, et son roy, qui se croit digne d'elle,
Prend seul la qualité de son amant fidelle;
Et mesme auant les noeuds du conjugal lien,
Le portrait de la belle éclate auprés du sien.
Ionas void des tableaux la suite remarquable,
Puis tourne vers le roy son aspect redoutable;
Phul est, alors, assis sur vn trône éclatant,
Où du prophéte saint le discours il entend;
Il porte vn riche habit, où sur la douce soye,
De l'or et de l'argent la beauté se déploye.
On void au-tour-de-luy ses ornemens royaux,
Et le monarque brille entre mille joyaux.
Parle, luy dit, enfin, ce superbe monarque,
Dont le mourant orgueil à-peine se remarque;
Parle, et fais nous sçauoir, quel monarque et quel dieu,
Pour menacer nos jours t'a conduit en ce lieu:
Et qui t'a peû fournir d'assez puissantes armes,
Pour attaquer Niniue et la remplir d'alarmes.
Le dieu, répond Ionas, qui m'a conduit icy,
Est le dieu d'Israël, mais c'est le tien aussi;
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Tu dois, à sa bonté, ta vie et ta couronne,
Et tu n'as point de bien que sa main ne te donne.
Mais l'insolent mépris de ses riches faueurs,
Te va faire éprouuer ses derniéres rigueurs.
Puis-qu'il-faut, dit le roy, que Niniue périsse,
Apprend-nous par quel bras, dis-nous par quel supplice?
Qu'as-tu dit à mon peuple, et de quels grans malheurs
L'a menacé ta voix pour causer ses frayeurs?
Quel dessein a ton Dieu? Quelle peine nouuelle,
Punissant nos forfaits, doit venger sa querelle?
Dieu veut, répond Ionas, qu'auant qu'au sein des eaux,
Tombe quarante fois le prince des flambeaux;
Niniue tombe aussi dans vn dernier desastre,
Sans imiter, pourtant, le leuer du grand astre;
Mais voulant l'immoler à son ressentiment,
Il ne m'a fait sçauoir ni par qui, ni comment:
Ie sçay que Dieu veut voir la nature affranchie,
Du joug trop insolent de cette monarchie,
Ie say qu'il veut qu'vn iour tous les peuples payens,
De la main d'Israël reçoiuent des liens,
Et que nous attendons vn monarque céleste,
Qui nous faisant régner, fera seruir le reste.
Ie say que ce grand roy, que Dieu nous a promis,
Soûmettra les gentils de sa gloire ennemis,
Purgera l'vniuers de leur culte idolâtre,
Abbatra leurs faux-dieux d'or, d'yuoire, et d'albâtre.
Et fera que la terre, en tout temps, en tout lieu,
Brûlera son encens en l'honneur du vray dieu.
Ce héros doit du ciel décendre sur la terre,
S'il descendoit demain il te feroit la guerre;
Et s'il te la faisoit, tu sçaurois par quel bras;
Dieu voudroit renuerser le trone et les estats.
Quoy qu'il en soit, tyran! Ta perte est assurée,
Tu n'en dois pas douter puis que Dieu l'a iurée:
Ton peuple, à qui ma voix n'a rien dit de ce roy,
Ne la met plus en doute, et la croit mieux que toy.
Ma voix l'a fait trembler au seul nom du grand iuge,
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Qui noya les peruers dans les eaux du deluge,
Toutefois, le grand coup que ma voix a prédit;
Les frapera bien-mieux que n'a fait mon récit.
Là, Ionas, que le roy conjure et sollicite,
Luy redit cette histoire, et lors qu'il la récite,
Ce monarque est contraint de trembler à son tour,
Aussi-bien que son peuple, et sa pompeuse cour:
Tu crains donc, dit Ionas, ce grand iuge du monde,
Ce dieu qui l'abîma dans les flots de son onde.
Mais puisqu'il faut subir vn destin rigoureux,
Crains, ainsi que ses eaux, ses foudres et ses feux,
Crains mille autres moyens, dont sa juste vengeance,
Peut armer mille bras pour punir qui l'offence.
Nemrot, de qui l'orgueil, iusques au moindre trait,
Est dépeint à nos yeux dans ce premier portrait,
Nemrot, qui le premier, par vn projet inique,
Ietta les fondemens d'vn régne tyranique,
En choquant l'eternel, ne craignoit que ses eaux,
Mais Dieu pour le confondre, eut des moyens nouueaux,
Ce tyran plein d'orgueil, par vne étrange audace,
Qui de tous les mortels enuenima la race,
Leur apprit à bâtir vne orgueilleuse tour,
Qui menaçoit de Dieu le tranquille séjour,
Et présuma d'en faire vn assuré refuge,
Pour se mettre au-dessus des fureurs du deluge;
Si le ciel irrité du mépris de ses loix,
L'enuoyoit sur la terre vne seconde fois.
Déja, pour éleuer ce superbe édifice,
Chacun préte à Nemrot ce qu'il a d'artifice:
Les-vns, pour de la brique, allument des fourneaux,
Les-autres, vont liant le sable auec la chaux;
L'vn s'occupe à tailler, ou la pierre, ou le marbre,
Celuy-cy creuse vn puits, celuy-là coupe vn arbre.
Parmy les champs voisins les chariots épars,
Pour ce fameux projet, roulent de toutes parts.
On void, pour ce dessein, les forets dépeuplées,
On foüille dans les monts, on pille les valées,
Et l'Euphrate confus tremble au fond de ses eaux,
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Du bruit que fait la hache, et que font les marteaux.
Telles qu'on void marcher les fourmis empressées,
Sous les charges qu'en foule elles ont amassées:
Et leurs noirs escadrons, afin de se munir,
Par de diuers sentiers aller et reuenir;
Tels voit-on ces ouuriers dans le nouueau commerce,
Que leur bras diligent diuersement exerce,
Chacun prendre sa tâche, et par des soins égaux,
Employer les outils sur les matériaux.
Par l'assidu trauail d'vne troupe nombreuse,
S'éléue de la terre vne masse orgueilleuse;
L'ouurage surpassant les autres bâtimens,
Porte iusqu'aux enfers ses fermes fondemens:
Et la superbe tour prouoquant la tempeste,
Vise à porter au ciel sa téméraire teste,
Lors que Dieu, qui voit tout de son trône éternel,
Renuerse en vn clein d'oeil ce dessein criminel,
Son courroux ne vient pas sous des ondes nouuelles,
Enseuelir l'orgueil de ces nouueaux rebelles.
Il veut leur faire voir que ses puissantes mains,
Ont cent moyens secrets pour punir les humains.
Donc voulant s'opposer au cours de cet ouurage,
Par vn coup inuisible il broüille leur langage,
Et fait de leurs discours vn murmure confus
D'esprits mal-accordans, qui ne s'entendent plus:
Quand l'vn veut de la chaux, il reçoit de la pierre,
L'autre, au-lieu du marteau, se voit donner l'esquierre;
Vn autre veut du fer, on luy porte du bois,
Et le dessein de tous est trahy par leurs voix.
Et comme les oyseaux, dont les troupes errantes,
Font ouïr dans les bois des plaintes differentes,
S'entredisent d'vn ton, ou plus haut, ou plus bas,
Mille et mille chansons qu'ils ne comprennent pas.
Ainsi tous ces maçons, dont le diuers langage,
De ces chantres legers imite le ramage,
Tirent de leur gosier mille étranges accens,
Dont leur esprit confus ne peut trouuer le sens.
De ces diuers accens l'effroyable mélange,
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Parmy tous les ouuriers iette vn desordre étrange,
Les contraint de quitter le trauail auancé,
Et les fait repentir de l'auoir commencé:
Que si de ce grand coup la fatale surprise,
Rompit du fier Nemrot la fameuse entreprise,
Tyran! Dieu confondra tes orgueilleux desseins,
Ie voy déja le fléau qui les doit rendre vains.
Ainsi parle Ionas au prince qui l'écoute,
Et tout foible qu'il est, ce grand roy le redoute.
I'admire, luy dit-il, la force et la grandeur
Du dieu qui t'a choisi pour son ambassadeur,
Ie le crains, en pensant aux tristes auentures
De ceux dont sa fureur a puny les injures;
Mais ie ne sçay comment, ni pour quelle raison,
De Nemrot auec-moy tu fais comparaison,
Ce n'est pas à ton dieu que ie liure la guerre,
Ie borne mes desseins à régner sur la terre:
Et ie n'ay pas le coeur assez audacieux,
Pour brauer, comme luy, ce monarque des cieux.
Quoy, replique Ionas, ce tyrannique empire,
Sous qui, las de seruir, tout le monde soûpire,
N'a-t-il pas imité le régne violent,
Qu'établit de Nemrot le pouuoir insolent.
Ie sçay, que comme luy, par vn fier édifice,
Tu n'as pas braué Dieu dans son lit de iustice;
Mais n'as-tu pas choqué le regars de ses yeux,
Par vn nombre infiny de crimes odieux?
N'as-tu pas, par vn coup de perfide et de traistre,
Tourné ton fer ingrat vers le sein de ton maistre?
Et l'ayant sçeu réduire au dernier desespoir,
N'as-tu pas vsurpé son trône et son pouuoir?
Ensuite, non content d'enuahir sa couronne,
Aux vices qu'il auoit ton ame s'abandonne,
Et ce funeste objet qui régne sur ton coeur,
Qui mesme en ce tableau se montre ton vainqueur,
Nous fait reuoir icy ce mol Sardanapale,
À qui ta propre main fût, jadis, si fatale;
Mais tout ce que mon dieu te permit sur ton roy,
Quelque autre, en t'imitant, l'osera contre toy,
Toy qui vis sa conduite, et qui vois sa figure,
Considére, en tremblant sa funeste auenture,
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Et vois dans sa ruïne vn exemple assuré,
Du mal que tu dois craindre, et qui t'est préparé.
Le grand dieu d'Israël, par son héraut fidéle,
Annonce encore vn coup cette grande nouuelle,
Qu'auant deux fois vingt iours Niniue doit tomber,
Et qu'auec tous les siens son roy doit succomber.
Ionas, aprés ces mots, dont le prince s'effraye,
Sort, et laisse en son coeur vne mortelle playe.
C'est ainsi qu'vn fantôme, au-milieu de la nuit,
Aux yeux du voyageur se dérobe et s'enfuit,
Aprés que le discours de sa fatale bouche,
A porté dans son ame vn son qui l'effarouche,
Qui fait dresser son poil, rend son pied chancelant,
Son sang glacé de crainte, et son coeur pantelant.