PLUME DE POÉSIES
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 Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 9

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James
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Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE  9 Empty
MessageSujet: Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE 9   Jacques De Coras (1630-1677) LIVRE  9 Icon_minitimeSam 14 Juil - 16:58

LIVRE 9


P125

Adine, enuers le roy, desormais, radoucie,
Appelle, en soûpirant, sa fidéle Amalcie,
De qui l'esprit adroit est vn puissant secours,
Pour r'engager le roy dans ses tendres amours.
Ah ma chére Amalcie! Ah quelle est ma disgrace!
Phul, l'ingrat Phul, me fuit! Il me quitte, il me chasse!
Et ie ne puis suruiure à ce cruël mal-heur,
Si quelque reconfort ne flate ma douleur!
I'implore, en ce besoin, ton adresse prudente,
Tu fus de nos amours l'vnique confidente:

P126

Phul t'écoute, il te croit, il se confie en toy,
Enfin, tu peux sur luy ce que tu peux sur moy.
Va trouuer cét ingrat, dont ie suis outragée,
Pein-luy le desespoir de mon ame affligee;
Dis luy, que le perdant, ie suis preste à périr,
Qu'il ne peut me quitter sans me faire mourir;
Et que du mesme coup, dont sa main m'assassine,
De mon fils, de son fils, il perce la poitrine.
Pren ce fils auec-toy, ce fils si doux à voir,
Par ce touchant objet tâche de l'émouuoir;
Par la force du sang réueillée en son ame,
R'alume les débris de sa mourante flame;
Que si, de son Ionas les propos rigoureux
L'empeschent de r'entrer dans mes fers amoureux,
Qu'il promette, du-moins, qu'il reprendra mes chaînes,
Dés qu'on luy fera voir que ses frayeurs sont vaines;
Et, qu'enfin, dans son coeur, par le temps détrompé,
Mes yeux pourront reprendre vn empire vsurpé;
Qu'il accorde à mes voeux cette foible allégeance;
Et qu'il m'oste son coeur sans m'oster l'esperance.
Ie ne demande plus, qu'à l'aspect de sa cour,
Il fasse, pour ma gloire éclater son amour.
Mais, que d'vne parole, ou feinte, ou véritable,
Il m'ayde à supporter la douleur qui m'accable.
Va donc, chére Amalcie, et ne néglige rien;
Me rendre mon bon-heur, c'est asseurer le tien.
La fille luy répond: appaisez-vous, madame,
Ie vay faire vn effort pour regagner son ame,
Et vous le reuerrez sous vos aimables loix;
S'il peut estre fléchy par ma fidéle voix.
Adine, d'vn rayon d'esperance et de joye,
Flate, alors, le chagrin, dont son coeur est la proye;
Elle embrasse Amalcie, et la fille, à l'instant,
Va liurer vne attaque à son sage inconstant.
Elle trouue le roy, qui réue et qui médite,
Sur l'étrange disgrace à Niniue prédite,
Qui se panche vers terre en poussant des sanglots;
Puis regardant le ciel prononce quelques mots.

P127

Parle, en termes confus, d'Adine et du prophéte,
Dont la voix a prédit sa future défaite;
Montrant en tout son port vn courage troublé,
Et non moins de frayeur que de douleur comblé.
Tel parut Belçazar, lors que la main diuine,
Graua sur la paroy l'arrest de sa ruine;
Son teint fut obscurcy, son genou chancela,
Son ame fut troublée, et tout son corps trembla.
Dés qu'il vid Amalcie, en sa chambre introduite,
Il croit voir son amante et son fils à sa suite;
Et craignant d'estre en butte à de trop doux appas,
Il dit, en détournant, et sa veuë, et ses pas,
Ah! Laisse-moy, de grace, ô beauté trop funeste!
Et crains, ajoûte-t-il, la colére céleste.
La fille, en vain le suit, le monarque affligé,
La rebute, et luy donne vn séuére congé.
Elle void son erreur, et céde à sa rudesse,
Et d'vn pas triste et lent retourne à sa maistresse,
La console, et luy dit, qu'vn rigoureux effroy
La priue tout-ensemble, et la venge du roy;
Qu'elle pourra bien-tost, par ses traits, par ses charmes,
Calmer de cét amant les mortelles alarmes.
Puisqu'elle en est aimée et qu'il n'est qu'effrayé,
Que sous vn autre ioug son col n'a point ployé.
Que dans son coeur, enfin, Ionas seul luy peut nuire,
Ionas ennemy foible et facile à détruire.
Souffrons donc, dit Adine, et l'injure, et l'affront,
Qui fait rougir les lys dont se pare mon front,
Ce roy, dont le discours me blâme et me dédaigne,
Est digne qu'on l'excuse, est digne qu'on le plaigne;
Il me suit, comme il suit la lumiére du iour,
S'il n'auoit de la crainte, il auroit de l'amour:
Et déja ses frayeurs m'auroient assez vengée,
Si par quelque malice, il m'auoit otragée.
Ou plûtost dans mes fers il seroit r'engagé,
Si de ceux de sa crainte il estoit soulagé.
Ie ne me prens qu'à toy, téméraire prophéte,

P128

Des mal-heurs de mon prince, insolent interpréte,
Ta voix qui l'alarma, ta voix dont ie me plains,
En causant ses fayeurs, a causé ses dédains.
Par toy seul vn grand roy me fuit et me rejette,
Par toy seul il s'oppose à ce que ie projette.
Ah! Ie dois t'immoler à mon iuste courroux,
Mais auant que ma main t'accable de ses coups,
Il faut que sur ta voix la victoire i'obtienne,
Par le son d'vne voix plus forte que la tienne.
Raguzel, mon cher frere, et mon plus grand secours,
Armera contre toy les traits de son discours;
Et ton dieu, dont le nom verse vne vaine crainte,
N'en éuitera pas la courageuse atteinte.
En acheuant ces mots, elle va disposer
Celuy qu'au saint oracle, elle veut opposer;
Cét impie éloquent, dont l'humeur libertine,
Renuerse prouidence et iustice diuine;
Et qui, pour l'intérest de sa profane erreur,
N'est pas moins animé que pour sa propre soeur.
Cependant, la nuit vient, et ses voiles funébres,
Couurent tout l'horison de leurs noires ténébres.
Le sommeil, qui la suit, distillant ses pauots,
À toute la nature inspire le repos;
Et par le doux effort de sa vertu muëte,
Calme l'air remuant, et la mer inquiéte:
Sur les arbres feüillus, fait taire les oyseaux,
Et dans les champs fécons, assoupit les troupeaux.
Mais de son sein obscur, mille songes volages,
Dans les coeurs des humains vont peindre mille images,
Qui par leurs traits diuers, tracez confusément,
Leur donnent du chagrin, ou du contentement.
Phul, à qui du sommeil les faueurs incertaines,
Ne seruent desormais qu'à redoubler ses peines,
Est troublé par vn songe, et par ce songe affreux;
Se iuge menacé d'vn destin rigoureux.
Il croit voir ce grand dieu, qu'annonce le prophéte,
Qui tient le bras leué, prest à frapper sa teste;
Qui dit qu'vn repentir trop long-temps attendu,
Tient la foudre en balance, et le coup suspendu.

P129

Sur l'heure, il void au ciel la foudre qui s'alume,
Toute sa ville en tremble, et son palais en fume,
Adine tombe au bruit du tonerre lancé,
Et Raguzel, plus qu'elle, en paroît renuersé;
Cét objet l'éueillant, l'estomac luy pantelle,
Et la froide suëur sur le corps luy ruisselle,
Dés que l'astre du iour redore l'orient,
Et montre au triste Phul vn visage riant.
Ce prince, dont le iour blesse l'ame troublée;
Fait de ses conseillers conuoquer l'assemblée;
Et ce trouble agitant son esprit et ses sens,
Il parle à son conseil en ces tristes accens.
Mes amis, leur dit-il, quel funeste message,
Trouble nostre repos par vn triste présage?
Quel prophéte est venu, par ses mortels discours,
De nos felicitez interrompre le cours?
Quelle vertu secrete anime sa parole,
Dont le son pénétrant nous trouble et nous desole?
Que dieu, d'vn homme foible, et digne de mépris;
Fait craindre la menace aux plus fermes esprits?
Si i'auois, dans le ciel, veû luire des cométes.
Du mal-heur des estats sinistres interprétes,
Si quelque astre malin, par des marques de sang;
Présageoit à mes yeux la perte de mon rang;
Et si la foudre, enfin, preste à creuer la nuë,
Grondoit pour m'âuertir que mon heure est venuë;
Ie verrois ces objets auec moins de frayeur,
Que la voix d'vn mortel n'en a mis dans mon coeur.
Depuis que cette voix a prédit ma ruine,
Ie croy voir en tous lieux la vengeance diuine;
Par des songes affreux mes esprits sont troublez,
Et ma raison gémit sous mes sens accablez.
Ie crains que ce grand dieu, que les iuifs ont pour maistre,
Par quelque coup fatal ne se fasse connoistre,
Et ne punisse, enfin, cette profane erreur,
Qui nous fit iusqu'icy mépriser sa fureur.
Ce qu'a dit son héraut ie crains qu'il l'exécute,
Et qu'à nos tremblemens succéde nostre cheûte.
Mon peuple a mesme crainte, on diroit à le voir,
Qu'il sent déja le mal qu'il ne fait que préuoir;

P130

Et ne semble-t-il pas que Niniue alarmée,
De son embrasement void déja la fumée?
Mes amis, contre vn mal, que ie voy si pressant,
Ie cherche en vos auis vn reméde puissant.
À ces mots, Raguzel, dont l'esprit politique
Ne cherche qu'à flater vn pouuoir tyrannique,
Poussé de cette humeur qui ne craint point les dieux,
Prononce ce discours d'vn air audacieux.
Grand roy, quand vostre bras, plus craint que le tonnerre,
Porte vn sceptre adoré des deux bouts de la terre;
Quand sous vos iustes loix l'vniuers a ployé;
Qui ne s'estonneroit de vous voir effrayé?
Voyez-vous quelque camp armé pour vous détruire?
Quelque estat qui vous choque, ou qui vous puisse nuire!
Tous ceux que void le ciel, et qu'embrasse Thétis,
S'ils ne sont vos sujet, vont estre assujetis;
Tous, depuis ce grand fleuue, où le soleil se léue,
Iusqu'à la vaste mer, où sa course s'achéue.
Quel est donc ce beau songe, à faire tant de peur,
Dont le cerueau d'vn homme a formé la vapeur?
D'vn homme si peu sage, et si chétif encore,
Que nul train n'accompagne, et que rien ne décore?
Quelle terreur panique, et quelle vision,
A peû porter si loin sa vaîne illusion?
Qu'au seul bruit de sa voix vous vous laissez abatre,
Sans que d'autre ennemy s'arme pour vous combatre?
Peut-estre cette peur ne vous vient que des cieux,
Vous brauez les mortels, mais vous craignez les dieux,
Mais qui croit que les dieux, dont la gloire est si pure,
Meslent dans leur repos les soins de la nature?
Que du soin de nos iours leur esprit agité
Préfére cette peine à leur félicité?
Qui croit que des estats l'importante durée,
Au conte de leurs doits, pende et soit mesurée?

P131

Et que pour renuerser vn roy victorieux
Ils aillent occuper, ou leurs bras, ou leurs yeux?
Certes, de nostre sort la fortune se jouë,
Il est bon ou mauuais, comme il plaist à sa rouë;
Son caprice dispence, et le mal, et le bien,
Cette aueugle fait tout, et les dieux ne font rien.
Aux vns elle est cruëlle, aux autres elle est douce.
Mais les timides coeurs, sont ceux qu'elle repousse;
Qui la craint, bien-souuent, éprouue ses rigueurs,
Et, souuent, qui s'en mocque, en obtient des faueurs.
Ne craignez-pas, seigneur, qu'elle vous persécute,
Deffiez-la plûtost de causer vostre cheute,
Et quand cette inconstante oseroit vous quitter,
Montrez que vostre coeur la sauroit mériter,
Et s'il faut qu'à son tour l'insolente vous braue;
Deuenez son sujet, sans estre son esclaue.
Mais ce dieu, dont les iuifs encensent les autels,
Plus grand que la fortune, et que nos immortels,
Ce grand dieu, direz-vous, nous pousse et nous menace,
Par la voix d'vn héraut, qu'il a remply d'audace,
Et l'on doit craindre vn coup de sa puissante main,
Que le reste des dieux entreprendroit en vain;
Quoy! Ce beau dieu des iuifs! Quoy! Ce dieu solitaire!
Qui d'vn seul peuple foible est le dieu tutelaire;
Aura donc le pouuoir de vous faire trembler,
Quand tout le ciel, vny, ne peut vous ébranler;
Et ce dieu moins fameux que le moindre des nostres,
Sera donc plus puissant, luy seul, que tous les autres?
Mais, s'il est si puissant, comment a-t-il permis
Le bon-heur des estats, qu'il tient pour ennemis?
Et pourquoy n'a-t-il pas empéché la misére
De ce peuple chétif, dont le coeur le réuére?
Falloit-il que, pour nous, reuint l'âge doré,
Non pour ces pauures iuifs, dont il est adoré?
Et, qu'aux yeux de leur dieu, le hazard de la guerre,
Nous rendist, plûtost qu'eux, les maistres de la terre,

P132

Voyez son foible amour, et son foible courroux,
L'vn ne peut rien pour eux, ni l'autre contre-nous;
Il est indifférent que l'vn ou l'autre agisse,
De-là ne peut sortir ni faueur ni supplice.
Seigneur! Sans le secours du bras que vous craignez,
En monarque du monde, aujourd'huy vous régnez,
Et, malgré sa fureur, contre-nous conjurée,
Vous verrez, à jamais, vostre gloire asseurée;
Ce grand dieu n'a rien fait contre d'autres estats,
Qui nous puisse obliger à redouter son bras;
Et nous ne lisons point, dans nos vieilles histoires,
Que le monde ait eû peur du bruit de ses victoires.
C'est luy, vous a-t-on dit, qui noya l'vniuers,
Lors que, pour le punir, les cieux furent ouuers,
Qui fit trembler Nemrot sur vn superbe trône:
Qui mesme confondit l'orgueil de Babilone;
Qui fit pleuuoir du ciel, et du soufre, et des feux,
Pour faire de Sodome, vn lac noir et fumeux.
Vous prenez donc, seigneur! Pour succés véritables,
Tous ces traits imitez des autheurs de nos fables,
Ils ont chanté cent fois que les dieux irritez,
Ont noyé les humains, ont brûlé des citez:
Que du grand Iupiter l'épouuantable foudre,
Des superbes tyrans, a mis l'orgueil en poudre;
Mais les roys généreux, et les peuples prudens,
Considérent sans peur ces affreux incidens:
Et prennent cet auis pour vne belle feinte,
Qui des dieux établit, le culte par la crainte.
Ie say bien que le ciel, l'air, la terre et les mers,
Eprouuent, chaque iour, cent changemens diuers:
Que les eaux et les feux, les foudres et la gréle
Y tombent à l'enuy, s'y forment pesle-mesle.
Ie say que l'vniuers est vn vaste séjour,
Où les maux et les biens se suiuent tour-à-tour;
Vn théatre public, où cent actes tragiques
Expliquent le mal-heur de cent pertes publiques.
Mais, de tous ces grands fleaux, le coup injurieux,
N'attend pas, pour tomber, le congé de nos dieux.
Ils doiuent leur naissance au cours de la nature,

P133

Qui void tousiours roûler son régne à l'auenture,
Ouy, ce sont des effets que nature produit,
Que d'vn aueugle pas la fortune conduit:
Et tout ce que ce monde a de traits redoutables,
Est pour les mal-heureux, et non pour les coupables;
Et la main du hazard qui les va décochant,
Ne sait point distinguer le juste du méchant.
Ainsi, quand du soleil la lumiére est éclose,
Elle void d'vn mesme oeil, et l'espine, et la rose;
Ainsi, l'aspect malin des astres que l'on craint,
N'est jamais plus funeste à l'injuste qu'au saint.
Ceux de qui la valeur se joint à la puissance,
Seuls, tiennent en leur main, le glaiue et la balance.
Et d'vn roy comme-vous, puissant et valeureux,
Tout le ciel ne peut faire vn prince mal-heureux.
Opposez donc, seigneur, la force et le courage,
Au ridicule bruit d'vn sinistre présage;
Conseruez vostre gloire, et perdez l'imposteur,
Qui vous porte l'auis d'vn oracle menteur.
Ainsi de vostre estat la puissance affermie!
Malgré le dieu jaloux, et la terre ennemie,
Fera trembler toujours les peuples sous vos loix,
Vous marcherez toujours sur la teste des roys,
Et vous ferez nommer, sur la terre et sur l'onde,
Vostre grande cité, la maistresse du monde.
Là finit Raguzel; mais quoy qu'il dise au roy,
Il ne peut r'asseurer son coeur, remply d'effroy;
Et toujours la pâleur sur son visage peinte;
Découure la frayeur dont son ame est atteinte.
Alors, le sage Elma, qui loin de la cité,
Auoit appris à craindre vne diuinité.
Préte, à la vérité, le secours de sa langue,
Et pour le bien public fait ainsi sa harangue.
Grand monarque! Ie voy ce pouuoir souuerain,
Qui fait que l'vniuers tremble sous vostre main;
Ie voy cette grandeur et ce puissant empire,
Qui s'étend aujourd'huy sur tout ce qui respire.
Mais sans écouter l'art du disert orateur,
Dont l'éloquent discours peut flater vostre coeur,

P134

Souffrez que ie replique, et qu'vn sujet fidéle,
Par vn contraire auis vous explique son zéle.
Seigneur! Vous soûtenez vn sceptre florissant,
Vostre peuple est nombreux, riche, braue et puissant.
Mais si le sceptre exerce vne injuste puissance,
Si le peuple se porte au crime, à l'insolence;
Le sceptre tombera du bras qui le soûtient,
Et le peuple perdra l'appuy qui le maintient.
On ne peut éuiter cet ordre légitime,
Qui joint, ou tost, ou tard, la peine auec le crime;
Et Dieu, qui sait punir la main qui le commet,
Epargne rarement celle qui le permet.
En vain contre sa force éclatent nos brauades,
Il peut nous renuerser d'vne de ses oeillades.
Et l'orgueil joint au crime, est cause que ses coups
Créuent sur nostre teste auec plus de courroux.
Contre de pareilles coups il n'est point de refuge;
Tout doit fléchir, enfin, sous la main de ce iuge.
Niniue est aujourd'huy reyne de l'vniuers,
Il peut, quand il voudra, la mettre dans les fers;
Et de tout ce qu'elle a de guerriers, les plus braues,
Par vn soudain reuers, en faire autant d'esclaues.
Voyez ces grands héros, ces fameux conquerans,
Que le monde eut, iadis, pour roys, ou pour tyrans,
Aprés auoir gousté quelques vaines amorces,
N'ont-ils pas veû périr leur empire et leurs forces?
Le régne de Nemrot et celuy de Ninus,
Où sont-ils maintenant? Que sont-ils deuenus?
On n'en void aujourd'huy que des traces funestes,
Et la terre, à-grand-peine, en conserue les restes.
Voilà, seigneur, voilà! Ce que leur a coûté,
Le mépris qu'ils ont fait de la diuinité.
Mais de dieu, vous dit-on, la nature est tranquille,
Elle bannit tout soin penible et difficile;
Et ce calme profond de sa félicité
Ne se peut conseruer que dans l'oisiueté;
Ce n'est que le hazard, maistre de toutes choses,
Qui produit les effets dont on cherche les causes.
Mais si le soin des roys doit régler leurs estats;

P135

La raison faire agir leur esprit et leur bras,
Présider au succés de toutes les affaires,
Donner en mille lieux les ordres nécessaires,
Couronner les vertus, foudroyer les forfaits,
Dispenser auec choix la peine et les bien-faits:
Et si nous ne pouuons, sans leur faire injustice,
En donner la conduite à l'aueugle caprice;
N'est-ce pas faire outrage à la diuinité,
Qui régne dans le ciel pleine de majesté;
De dire qu'à ses yeux, la fortune inconstante,
Prend de cet vniuers la conduite importante,
Fait de tous les mortels le bon ou mauuais sort;
Et tient entre ses mains, et leur vie, et leur mort.
Tandis qu'vn dieu stupide est sur vn trône auguste,
Sans régler le destin du méchant et du iuste,
Comme si ce grand dieu, moins sage que les roys,
Abandonnoit sa gloire, et le soin de ses loix?
De quoy sert donc à Dieu sa force, et sa sagesse,
Sa bonté, sa grandeur, sa gloire, et sa richesse;
Si l'éclat glorieux, dont il est reuétu,
L'empéche d'étaler l'effet de sa vertu.
C'est en vain que l'on craint, que si ce soin le pousse,
Sa gloire en deuiendra, moins paisible, et moins douce;
Car quel soin peut troubler son souuerain bon-heur,
Si iamais nul trauail n'espuise sa vigueur?
Comme son action est sans inquiétude,
Son labeur n'est suiuy d'aucune lassitude:
Ses yeux vifs, du sommeil reiettent les pauots,
Et dans ce mouuement il a mis son repos.
Et quoy! Si le soleil, dans sa belle carriére,
Répand, sans se lasser, mille traits de lumiére;
Si, sans ternir sa gloire, et sa viue splendeur,
Dans sa course il paroît plein de force et d'ardeur,
Soit que du beau concours de ses rayons célestes,
Naissent des effets doux, ou des effets funestes,
Dieu ne pourra-t-il pas, les yeux toujours ouuers,
Sans rompre son repos contempler l'vniuers?
Montrer aux gens-de-bien des soins doux et propices?

P136

Et troubler les méchans, par l'horreur des supplices.
Grand roy! Si Dieu n'est pas la source des bien-faits,
S'il n'est pas le vengeur du crime et des forfaits;
D'où-vient que tant de voeux eschapent à nostre ame,
Pour obtenir les biens dont l'amour nous enflame?
D'où-vient que des remors nos esprits sont touchez,
Par la crainte des maux qu'attirent nos péchez?
D'où-vient que les mortels, conuaincus de leurs crimes,
Cherchent d'appaiser Dieu par le sang des victimes,
Et rendent grace au ciel, quand, selon leurs desirs,
Ils se sentent combler de biens et de plaisirs?
Ah! Ce n'est pas en vain que nostre ame est atteinte,
Des diuers mouuemens de desir et de crainte;
L'vn vient de sa bonté, qui veut nous protéger,
L'autre de sa fureur qui cherche à se venger.
Que s'il est quelque dieu dont la sage balance,
Régle tous les mortels au poids de sa prudence,
Quel dieu mérite mieux cet illustre renom,
Que celuy, dont les iuifs adorent le grand nom?
Ie ne vois en nos dieux que foiblesse et que vice;
Le leur est reuétu de force et de iustice,
Et par les grands exploits qui partent de ses mains,
Doit-il pas estre creû l'arbitre des humains?
La raison est d'accord auéque ses oracles,
Les fables et l'histoire empruntent ses miracles;
Et ce que son héraut vient précher en ces lieux,
On l'a dit de son dieu plûtost que de nos dieux.
Le deluge enuoyé pour le fléau de la terre,
Les titans écrasez par l'éclat du tonnerre,
Les flames et les vens, péle-méle excitez,
Pour la destruction des rebelles citez,
Sont de beaux incidens, où le chant des poëtes,
S'est formé sur la voix des antiques prophétes;
Et si, de leurs escrits, on fait comparaison,
Ceux-cy font vn récit conforme à la raison;
Au-lieu que les prémiers, par leurs bisarres feintes,
Gastent les véritez que l'on tient les plus saintes.

P137

Comme i'ay leû la fable, et ces autres escrits,
I'en say la différence, et distingue leur prix.
Que si les monumens de la plus saine histoire,
Montrent du dieu des iuifs, la puissance et la gloire,
Deuons-nous mépriser la colére et l'amour
D'vn dieu qui peut rauir et conseruer le jour,
Et qui, par ses regars rudes ou fauorables,
Peut rendre les mortels heureux ou misérables?
Que son ambassadeur, sans pompe et sans appas,
Par son simple appareil ne vous rebute pas.
C'est vn dieu, dont la gloire est d'autant-plus illustre;
Que par vn foible organe elle montre son lustre:
Et plus l'ambassadeur est vil à nostre aspect,
Plus le maistre, en mon coeur, imprime de respect,
Plus i'admire ce dieu, lors que ie considére
Que par la seule voix d'vn héraut si vulgaire,
Il porte la terreur dans le sein d'vn grand roy,
Il attaque Niniue et la remplit d'effroy,
Et luy fait, par ce bruit, craindre plus de ruines,
Que par-tout l'attirail des plus fortes machines.
Que ce dieu, nous dit-on, soit séuére, ou soit doux,
Son amour ne peut rien non-plus que son courroux,
Puis-qu'il n'enrichit pas les peuples qui l'adorent,
Et laisse triompher ceux qui le deshonorent;
Puis-que, malgré sa haine, on nous void florissans,
Et, qu'auec sa faueur, les iuifs sont moins puissans.
Mais si le tout-puissant, dont la haute sagesse,
Aujourd'huy nous éléue, et demain nous abaisse,
Veut nous faire seruir, par vn fameux reuers,
Et les rendre, aprés-nous, maistres de l'vniuers:
S'il leur donne ce roy, qu'à toute-heure ils attendent,
Ils obtiendront sur nous l'empire qu'ils prétendent;
Et leur dieu, dont le soin le leur doit procurer,
Nous faisant craindre tout, leur fait tout espérer.
Peut-estre que le but où tendent ses menaces,
Est de les agrandir en causant nos disgraces;
Peut-estre que sa main nous éléue si haut,
Pour nous précipiter d'vn plus terrible saut;

P138

Et ne les fait ramper sur la poudre et sur l'herbe,
Que pour rendre leur sort plus riche et plus superbe,
Ce dieu, pour cent raisons, que nous ne sçauons pas,
Eléue ainsi les vns et met les autres bas,
Nous sauons seulement que sa puissante grace
Sur les humbles esprits répand son efficace,
Au-lieu que sa iustice est vn funeste écueil,
Où l'orgüeilleux se brise auéque son orgüeil.
Vous pouuez donc, seigneur, désarmer sa vengeance,
En mettant vos grandeurs aux pieds de sa puissance,
En cherchant dans sa grace vn assuré recours,
Et contre son bras mesme, implorant son secours.
Ie say que mille effets, témoins de sa colére,
Le font craindre icy-bas, comme vn iuge séuére,
Que la foudre et les feux, dans les airs épanchez,
Marquent qu'il est terrible à punir les péchez;
Mais, tant de doux effets, tant de marques bénignes,
Qu'estendent ses faueurs iusques aux plus indignes.
Tous ces biens, dont sa main nous veut fauoriser,
M'aprennent qu'il est bon et qu'on peut l'appaiser.
Recourez donc, seigneur, à sa bonté supréme,
Faites ce saint effrt pour l'amour de vous-mesme;
Donnez ce bel exemple, et que tous vos sujets,
Secondent vostre zéle et vos justes projets.
Que chacun se repente à la voix du prophéte,
Pour détourner le dard, qui pend sur nostre teste,
Ordonnez qu'on célébre vn ieûne solemnel,
Et qu'on demande grace au monarque eternel,
Si nous nous repentons de nos fautes passées,
Son coeur aura pour nous de plus douces pensées;
Son oeil tournant ailleurs son aspect rigoureux,
Iettera sur Niniue vn regar amoureux.
Puissiez-vous donc, seigneur, par d'humbles sacrifices,
Trouuer, à vos desirs, ses volontez propices,
Et nous, par les biens-faits qu'il repandra sur nous,
Posséder vn bon-heur, dont chacun soit jaloux.
Ainsi parloit Elma, ce conseiller fidéle,

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Quand le roy, par ces mots, applaudit à son zéle.
Ô ferme et doux soûtien de mon coeur abbatu!
Que ton sage conseil r'assure ma vertu;
Et que Niniue y trouue vn moyen secourable,
Pour éloigner le mal dont la crainte l'accable!
Ouy, le dieu dont les iuifs encensent les autels;
Est l'arbitre puissant du destin des mortels.
Il faut donc essayer si nostre repentance,
Pourra calmer son ire et toucher sa clémence:
Peut-estre qu'il aura des sentimens plus doux,
Qu'il fera succéder sa grace à son courroux;
Peut-estre que nos voeux, nos sanglots et nos larmes,
De son bras irrité, feront tomber les armes.
Quand le roy, par ces mots, dignes d'estre suiuis,
Fait, à l'auis d'Elma, ranger tous les auis.
Raguzel, plein de honte, et de rage, et d'enuie,
D'auoir veû succomber son éloquence impie,
Blasphéme contre Dieu, se moque de son roy,
De l'vn braue la force, et de l'autre l'effroy,
Ieûnez, dit-il, priez, ô roy peu magnanime!
Offrez, à ce beau dieu, vostre coeur en victime!
Ie plains vostre foiblesse, et crains peu son courroux,
Pour luy i'ay du mépris, et i'ay pitié de vous!
Ouy, Dieu, ie te méprise, et pour ne plus rien feindre,
Ie ne saurois aimer quiconque te peut craindre.
Le roy, par ce discours, iustement irrité,
Veut punir son audace et son impiété:
Il se léue et s'auance, et sa pieuse epée,
Dans le sang du prophane alloit estre trempée,
Quand Dieu vient de ce soin le prince décharger,
Montrant que on bras seul suffit pour le venger.
Vn éclair entre, et brille aux yeux de l'assemblée,
D'vn bruit sourd et grondant la sale est ébranlée,
Vn feu frappe l'impie et le renuerse mort,
Lors qu'il se préparoit à brauer son effort:
Et si ce prémier coup ne l'eût jetté par terre,
Sa voix alloit encor prouoquer le tonnerre;
L'esprit sort de ce corps que la foudre a percé,
Nul que luy, quand il meurt, ne s'en trouue offensé;
On sent vne vapeur de soufre et de bitume,
Qui plus chaud dans l'enfer, pour son ame s'alume.

P140

Adine accourt au bruit, et dans la sale entrant,
Void son frére abbatu par le feu pénétrant;
Et le roy, qui tenant la lame flamboyante,
Semble l'auoir frappé de sa main foudroyante.
D'horreur elle frissonne, et voulant s'écrier,
De crainte et de douleur sent sa langue lier.
Cet objet suspendant les forces de son ame;
Elle tremble et chancelle, elle tombe et se pasme.
On reléue aussi-tost la mourante beauté,
Et son corps languissant, sur vn lit est porté.
Chacun, alors, du ciel remarque la colére,
Dans le mal de la soeur et dans la mort du frére,
Et déja se prépare auec vn coeur contrit,
Au jeûne humble et deuot, qui vient d'estre prescrit.
Déja de tous costez ce jeûne se publie,
Et l'ordonnance en est en ces mots establie,
Qu'à la vix du héraut, par le ciel suscité,
Les nombreux habitans de la vaste cité,
Pour détourner le fleau déja prest à descendre,
Se couurent humblement du sac et de la cendre,
Que le peuple préuienne vn tragique malheur,
Conceuant de son crime vne viue douleur,
Qu'il suiue la vertu, qu'il abhorre le vice,
Et que, du mal au bien, chacun se conuertisse;
Afin que l'eternel, par ce zéle, adoucy,
De la peine au pardon, se conuertisse aussi

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