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 Octave Crémazie (1827-1879) OCTAVE CREMAZIE II

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MessageSujet: Octave Crémazie (1827-1879) OCTAVE CREMAZIE II   Octave Crémazie (1827-1879) OCTAVE CREMAZIE II Icon_minitimeLun 30 Juil - 11:16

II
Quel est le citoyen de Québec de 1860 qui ne se rappelle
la librairie Crémazie, rue de la Fabrique, dont la vitrine, tout
encombrée de livres frais arrivés de Paris, regardait la
caserne des Jésuites, cette autre ruine qui, elle aussi, a disparu
sous les coups d'un vandalisme que je ne veux pas qualifier?
C'était le rendez-vous des plus belles intelligences d'alors:
l'historien Garneau s'y coudoyait avec le penseur Étienne
Parent; le baron Gauldrée-Boilleau, alors consul général de
France à Québec, que j'ai revu depuis à Paris, emprisonné à
la Conciergerie, à deux pas de la cellule de Marie-Antoinette,
le baron Gauldrée-Boilleau, dis je, y donnait la main à l'abbé
Ferland, pendant que Chauveau feuilletait les Samedis de
Pontmartin; J.-C. Taché discourait là à bâtons rompus avec
son antagoniste Cauchon; Fréchette et Lemay y venaient lire
leurs premiers essais; Gérin-Lajoie avec Alfred Garneau s'y
attardait au sortir de la bibliothèque du parlement. Octave
Crémazie, accoudé nonchalamment sur une nouvelle édition
de Lamartine ou de Sainte-Beuve, tandis que son frère faisait
l'article aux clients, jetait à de rares intervalles quelques
réparties fines parmi les discussions qui se croisaient autour
de lui, ou bien accueillait par un sourire narquois les
excentricités de quelques-uns des interlocuteurs.
On était à l'époque des Soirées canadiennes; la popularité
dont cette revue jouissait à sa naissance avait répandu une vie
nouvelle, pleine d'entrain et d'espérance, dans notre petite
république des lettres. On avait foi dans l'avenir et on avait
raison. La phalange des jeunes talents se groupait avec une

ardeur fiévreuse autour des vieux maîtres, prête à tout
entreprendre sous leurs ordres. Nature sympathique et
ouverte, modeste comme le vrai talent, n'ayant jamais rêvé,
pour son malheur, que lecture et poésie, toujours disposé à
accueillir les nouveaux venus dans l'arène, Crémazie était le
confident de chacun. Que de pas hésitants il a raffermis! Que
d'écrivains de mérite qui s'ignoraient et qu'il a révélés à eux-
mêmes! Personne n'a eu une plus large part que lui au réveil
littéraire de 1860.

Né à Québec, le 16 avril 1827, d'une famille originaire du
Languedoc,) il avait fait ses études au séminaire de cette
ville. Il était entré ensuite dans le commerce et était devenu
l'associé de ses deux frères Jacques et Joseph, fondateurs
d'une maison de librairie qui vient de s'éteindre après avoir
duré au delà de trente ans. Humble dans ses commencements,
elle prit après 1855, sous la direction d'Octave, un
développement considérable, trop rapide peut-être, trop hâtif
à une époque où les livres étaient encore d'un débit assez
difficile; ce qui fut la première cause du désastre qu'elle a
éprouvé quelques années plus tard. Quoi qu'il en soit, il
convient d'ajouter ici que cette maison française est une de
Jacques Crémazie, bisaïeul du poète, était né en 1735
à Artigat, petit village de l'ancien diocèse de Rieux,
en Languedoc (aujourd'hui dans le département de
l'Ariège). On voit par son certificat de liberté
déposé, à l'époque de son premier mariage en 1762,
à l'évêché de Québec, qu'après avoir séjourné sept
ans à Pamiers et deux à Bayonne, il s'était embarqué sur
la flûte du roi le Canon, et était arrivé à Québec en 1759.
M. l'abbé Tanguay, dans son excellent Dictionnaire généalogique
des familles canadiennes, nous apprend que ce Jacques Crémazie
épousa en secondes noces, à Québec, le 27 avril 1783, Marie-
Josette Le Breton. De ce mariage naquit, le 14 octobre 1786,
Jacques, père d'Octave Crémazie.

celles qui ont le mieux servi le mouvement littéraire au
milieu de nous.

Crémazie a été l'un des fondateurs de l'Institut canadien
de Québec, et l'un de ses membres les plus actifs tant qu'il a
vécu au Canada.

Tout au fond de sa librairie s'ouvrait un petit bureau, à
peine éclairé par une fenêtre percée du côté de la cour, et où
l'on se heurtait contre un admirable fouillis de bouquins de
tout âge, de tout format et de toute reliure. C'était le cénacle
où il donnait ses audiences intimes. On s'asseyait sur une
caisse ou sur une chaise boiteuse, et on laissait la causerie
chevaucher à tous les hasards de l'imprévu. C'est alors, dans
ces cercles restreints, que Crémazie s'abandonnait tout entier
et qu'il livrait les trésors de son étonnante érudition. Les
littératures allemande, espagnole, anglaise, italienne, lui
étaient aussi familières que la littérature française; il citait
avec une égale facilité Sophocle et le Ramayan, Juvénal et les
poètes arabes ou scandinaves. Il avait étudié jusqu'au
sanscrit!

Disciple du savant abbé Holmes, qui a laissé un nom
impérissable au séminaire de Québec, et qui en avait fait son
ami plus que son élève, il avait appris de lui à ne vivre que
pour la pensée. Il avait fait de l'étude l'unique passion de sa
vie, et elle lui suffisait. Elle fut sa compagne sous la bonne
comme sous la mauvaise étoile. Quant tout le reste l'eut
abandonné, elle s'assit à son chevet pour animer sa solitude,
endormir ses douleurs, calmer ses insomnies et adoucir les
amertumes de l'exil.

Abstème comme un anachorète, négligé dans sa tenue,
méditatif autant qu'un fakir, il ne vivait que pour l'idéal; le
monde ne lui était rien, l'étude lui était tout. Le travail de la
composition et de la lecture absorbait une grande partie de
ses nuits: il composait ses vers la nuit, couché dans son lit. Le
silence, la solitude, l'obscurité évoquaient chez lui
l'inspiration: la nuit était sa muse. Souvent il ne prenait pas
même la peine de confier ses poésies au papier; il ne les
écrivait qu'au moment de les livrer à l'impression. Elles
étaient gravées dans sa mémoire mieux que sur des tablettes
de marbre.

Obligé par nécessité de s'occuper d'affaires pour
lesquelles il n'avait ni goût ni aptitude, il les expédiait d'une
main distraite, s'en débarrassait avec une incurie et une
imprévoyance qui finirent par creuser un abîme sous ses
pieds. Il oubliait d'escompter un billet à la banque pour
courir après une rime qui lui échappait. Quand il se réveilla
de ce long rêve, il était trop tard.

Au physique, rien n'était moins poétique que Crémazie:
courtaud, large des épaules, la tête forte et chauve, la face
ronde et animée, un collier de barbe qui lui courait d'une
oreille à l'autre, des yeux petits, enfoncés et myopes, portant
lunettes sur un nez court et droit, il faisait l'effet au premier
abord d'un de ces bons bourgeois positifs et rangés dont il se
moquait à coeur joie: « braves gens, disait-il,

Qui naissent marguilliers et meurent échevins, »

et qui ont « toutes les vertus d'une épitaphe. »
C'est ainsi qu'il les dépeignait lui-même dans la seconde
partie de sa Promenade de trois morts, dont il me citait, à
Paris, quelques bribes qu'il gardait dans sa mémoire et qu'il
n'a jamais écrites. Son sourire, le plus fin du monde, et les
charmes de sa conversation faisaient perdre de vue la
vulgarité de sa personne.

À part certains hommes d'affaires, nul ne soupçonnait le
volcan sur lequel il marchait et qui allait éclater sous ses pas.
Quelques mots amers qui lui échappaient ou qu'il plaçait en
vigie dans la conversation, quelques sarcasmes inexplicables,
qui paraissaient en singulière contradiction avec sa vie calme
en apparence et insouciante, étaient les seuls indices des
orages intérieurs qu'il subissait. On n'y faisait pas attention:
la suite en fit comprendre le sens.

Son dernier poème, resté inachevé, la Promenade de trois
morts, venait de paraître dans les Soirées canadiennes.
Remarqué comme toutes ses compositions, ce poème avait
pris ses admirateurs par surprise et révélait une nouvelle
phase de son talent. Personne ne pouvait s'expliquer
l'étrangeté de ce cauchemar poétique; on n'en saisit que plus
tard les analogies avec sa situation. La réalité était plus
étrange que le rêve.

La stupeur fut universelle lorsqu'un matin on apprit
qu'Octave Crémazie avait pris le chemin de l'exil: le barde
canadien s'était tu pour toujours. Où était-il allé? S'était-il
réfugié aux États-Unis? Allait-il traverser l'océan pour venir
vivre en France? Pendant plus de dix ans, ce fut un mystère
pour le public; quelques intimes seulement étaient au fait de
ses agissements et connaissaient le lieu de sa retraite.
Au printemps de 1864, il m'écrivit la lettre suivante, afin
de me remercier du travail auquel je m'étais livré pour faire
imprimer ses poésies dans le volume de la Littérature
canadienne qui avait été donné en prime aux abonnés du
Foyer canadien. L'omission de deux de ses meilleures
pièces, dont il parle dans cette lettre, était due à une
inadvertance de sa part. Lorsqu'il m'avait fait remettre par un
de ses frères le carnet dans lequel il avait collectionné ses
poésies éparses dans les journaux, il n'avait pas songé à
m'écrire que ces deux pièces ne s'y trouvaient pas, et, de
mon côté, je n'eus pas le moindre soupçon de cette lacune.
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