ACTE 1 SCENE 6
Valerie, Servilius.
Valerie.
Hé-bien ? Vous avez vû mon pere en ce moment.
De tout vôtre entretien quel est l' événement ?
Sa grace, et son aveu, sur l' hymen qui nous lie,
comblent-ils à la fin les voeux de Valerie ?
Mais quel est le chagrin qui paroît dans vos yeux ?
Quel malheur...
Servilius.
Voyez-vous ces murs si glorieux,
où tant de grands héros ont receu la naissance,
où la faveur des dieux fait sentir leur presence,
où de tout l' univers, s' il faut croire leur voix,
les peuples asservis prendront un jour des loix,
cette Rome en un mot, ma patrie, et la vôtre,
nous n' avons plus de part à son sort l' un ni l' autre ;
son aspect desormais ne nous est plus permis,
et nôtre espoir n' est plus que chez ses ennemis.
Valerie.
Je vous entens, seigneur, rien ne fléchit mon pere.
Il faut, en quittant Rome, éviter sa colere.
Mais j' en suis peu surprise. ô destins rigoureux !
Le sort d' une mortelle eut esté trop heureux.
Cependant hâtons-nous, prévenons la tempête,
dont ses ressentimens menacent vôtre tête.
Par un plus long séjour cessons de l' irriter.
Rien ne doit plus, seigneur, icy nous arrêter.
Quelques malheurs sur nous que le destin assemble,
nous souffrons, mais unis, nous fuyons, mais ensemble,
tous lieux sont pleins d' attraits aux coeurs qui s' aiment bien,
et peut-on être heureux, sans qu' il en coûte rien ?
Manlius, délivré d' une prison cruelle,
n' a plus icy, seigneur, besoin de vôtre zele.
Quitte envers un amy chéry si tendrement,
l' un à l' autre aujourd' huy rendons-nous pleinement.
D' un séjour si suspect, allons, fuyons la vûe.
Venez. Que de ma foy la vôtre convaincue
aprenne qu' avec vous mon noeur trouve en tous lieux
sa gloire, son bonheur, sa patrie, et ses dieux.
Servilius.
ô coeur vraiment fidéle ! ô vertu que j' adore !
Quel exil avec vous peut m' affliger encore ?
Quel bien me peut manquer ? Je conserve, pour vous,
tous les feux d' un amant dans le coeur d' un epoux.
Que dis-je ? Vos beautez, vos vertus dans mon ame,
allument de plus prés une plus vive flâme,
et mon coeur chaque jour, surpris de tant d' attraits,
voit toûjours au-delà de ses derniers souhaits.
Ouy Valerie, allons fuyons ce lieu funeste.
Mais voyons, avant tout, un amy qui me reste,
et dans nôtre embarras, dont ses yeux sont témoins,
demandons-luy tous deux ses avis et ses soins.