ACTE 2 SCENE 2
Rutile, Manlius.
Manlius.
Enfin il n' est plus tems, seigneur, de reculer.
Nous avons par nos soins, et par nos artifices,
du sort, autant qu' on peut, enchaîné les caprices.
Il faut des actions, et non plus des conseils.
La longueur est funeste à des desseins pareils.
Peut-estre avec le tems mes soins, aidez des vôtres,
aux moyens déja pris en ajoûteroient d' autres :
mais d' abord qu' une fois on peut, comme à present,
en avoir joint ensemble un nombre suffisant,
de peur qu' un coup du sort les rompe, ou les divise,
il faut s' en prévaloir, et tenter l' entreprise.
Quel tems d' ailleurs, quel lieu s' accorde à nos moyens ?
Le sénat, declarant la guerre aux circeïens,
doit, pour la commencer sous un heureux auspice,
venir au capitole offrir un sacrifice.
Quel tems, dis-je, quel lieu propice à nos desseins ?
Un tems, où tout entier il se livre en nos mains ;
un lieu, dont je suis maître, où les portes fermées
à nos libres fureurs l' exposent sans armées.
Le jour n' en est pas pris : mais pour s' y préparer,
des sentimens du peuple il se faut assurer,
il faut contre un sénat, dont il hait la puissance,
par nos soins redoublez irriter sa vangeance.
La peur d' être suspect luy défend de me voir :
mais en vos soins, seigneur, je mets un plein espoir.
Je sçais qu' en nos projets l' ardeur, qui vous inspire,
vous sçaura suggerer tout ce qu' il faudra dire.
Ce n' est pas tout encor, vous avez sceu, je croy,
qu' hyer Servilius est arrivé chez moy,
qu' il n' est point de secret que mon coeur luy déguise ?
Rutile.
Comment ? Par vous, seigneur, sçait-il nôtre entreprise ?
Manlius.
Ouy. Quel étonnement...
Rutile.
Je m' explique à regret ;
et voudrois étouffer un scrupule secret,
si vos desseins trahis n' exposoient que ma vie :
mais sur moy de son sort un grand peuple se fie.
Je dois craindre, seigneur, en vous marquant ma foy,
d' immoler son salut à ce que je vous doy.
Ce n' est point par son sang qu' il faut que je m' aquite.
Je connois vôtre amy. Je sçais ce qui l' irrite,
qu' il peut, en nous aidant, relever son destin :
mais au sang du consul l' hymen l' unit enfin,
d' un superbe consul, proscrit par nôtre haine :
et quoy qu' à le fléchir il ait perdu de peine,
qu' il semble hors d' espoir de le rendre plus doux,
est-il un coeur si fier, si plein de son courroux,
qui refusât, seigneur, l' oubly de sa vangeance
à l' aveu d' un secret d' une telle importance ?
Sur quelques droits puissans que se fonde aujourd' huy
cette ferme amitié, qui vous répond de luy,
l' amour y peut-il moins ? En est-il moins le maître ?
Que dis-je ? S' il falloit que le hazard fît naître
quelque interêt, qu' entre eux son coeur dût décider,
pensez-vous que ce fût à l' amour à céder ?
Manlius.
Pour faire évanouir ce soupçon qui l' offence,
il suffit à vos yeux de sa seule presence.
Venez Servilius.