ACTE 2 SCENE 3
Servilius, Manlius, Rutile.
Servilius.
Quel destin glorieux,
quel bonheur imprévû m' attendoit dans ces lieux,
seigneur ! Que le dessein, que l' on m' a fait connoître,
doit... mais quelle froideur me faites-vous paroître ?
Vous serois-je suspect ? Ay-je en vain prétendu...
Rutile.
Pourquoy le demander ? Vous m' avez entendu.
Servilius.
Ouy seigneur, et bien loin que mon coeur s' en offence,
moy-même, j' aplaudis à vôtre deffiance.
Moy-même, comme vous, je recuse la foy
d' un amy trop ardent, trop prévenu pour moy ;
et ne veux point icy, par un serment frivole,
rendre, envers vous, les dieux garants de ma parole.
C' est pour un coeur parjure un trop foible lien.
Je puis vous r' assurer, par un autre moyen,
je vais mettre en ses mains, afin qu' il en réponde,
plus que si j' y mettois tous les sceptres du monde,
le seul bien que me laisse un destin envieux.
Valerie est, seigneur, retirée en ces lieux :
de ma fidelité voilà quel est le gage.
à cet ami commun je la livre en ôtage :
et moy, pour mieux encor vous asseurer ma foy,
je répons en vos mains, et pour elle, et pour moy.
Témoin de tous mes pas, observez ma conduite ;
et si ma fermeté se dément dans la suite,
à mes yeux aussi-tôt prenez ce fer en main ;
dites à Valerie, en luy perçant le sein,
pour prix de ta vertu, de ton amour extrême,
Servilius par moy t' assassine luy-même .
Et dans le même instant tournant sur moy vos coups,
arrachez-moy ce coeur. Qu' il soit, aux yeux de tous,
montré comme le coeur d' un lâche, d' un parjure,
et qu' aux vautours aprés il serve de pâture.
Vous, seigneur, de ma part, allez-la préparer
à voir, pour quelques jours, le sort nous séparer,
et daignez maintenant, pour m' épargner ses larmes,
luy porter mes adieux, et calmer ses allarmes.