ACTE 5 SCENE 2
Manlius, Servilius.
Manlius.
Enfin, tu prétens donc, dans mon coeur confondu
triompher, malgré moy, d' un courroux qui t' est dû.
Je voy ton repentir, animant ton audace,
opposer mille efforts au sort qui me menace :
mais, sans que du succez tu puisses t' assurer,
aprés m' avoir trahy, c' est me deshonorer.
Il semble à mes tyrans, que tremblant pour ma vie,
dans tes soins mandiez c' est moy qui m' humilie.
Ton zele mal conçû m' expose à leurs mépris,
et de mon amitié tu connois mal le prix.
Si sa perte à ce point t' inquiéte et t' afflige,
tous tes efforts sont vains, sans un prix que j' exige,
mais tel, qu' il peut luy seul me mieux prouver ta foy,
que tout ce que ton zele osa jamais pour moy.
Pourray-je cette fois conter sur ton courage ?
Valerius.
De ce doute, à tes yeux, j' ay merité l' outrage.
Mais sans vouloir en vain m' expliquer là-dessus,
ny faire des sermens, que tu ne croirois plus,
si j' ay peu fait encor, pour laver cette injure,
songe bien seulement, aprés un tel parjure
qu' en un coeur génereux, de remords combattu,
la honte de sa chute affermit sa vertu.
Manlius.
Hé bien écoute donc. Tu sçais contre ma vie
combien est animé le sénat en furie,
lié par le pardon qu' il t' a signé pour moy,
il sçait, et me poursuivre, et te garder la foy ;
il me livre aux tribuns et de ma mort certaine
sur eux, par cette adresse, il rejette la haine.
Dévouez à ses loix, de ma gloire jaloux,
c' est sa main contre moy qui conduira leurs coups.
Ils ne prononceront que ce qu' il leur inspire,
et le peuple soûmis n' osera les dédire.
Enfin qu' esperes-tu de tes soins pour mes jours ?
Crois-tu que le sénat séduit par tes discours,
aprés ce que deux fois a tenté ma furie,
soit assez imprudent, pour me laisser la vie ?
Non, non, Servilius, mon trépas est certain.
Et quelle honte à moy ! Quelle rage en mon sein,
de voir mes ennemis, au gré de leur caprice,
disposer de mon sort, et choisir mon supplice !
Verras-tu ton ami terminer à tes yeux,
par une main infame, un sort si glorieux ?
Enfin d' un tel trépas l' infamie assurée,
c' est toy, Servilius, qui me l' as procurée.
Je dois de cet affront être sauvé par toy.
Observé, desarmé je ne puis rien pour moy.
Mes gardes en entrant t' ont desarmé toy-même :
mais il faut pour tromper leur vigilance extrême...
Servilius.
Je t' entens. Mais on vient.