PLUME DE POÉSIES
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 Gérard De Nerval (1808-1855) Angélique.

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Inaya
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Inaya


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Gérard De Nerval (1808-1855) Angélique. Empty
MessageSujet: Gérard De Nerval (1808-1855) Angélique.   Gérard De Nerval (1808-1855) Angélique. Icon_minitimeJeu 30 Aoû - 22:10

Angélique.

Ire lettre. Voyage à la recherche d'un livre unique. - Francfort et Paris.-
L'abbé de Bucquoy. - Pilat à Vienne. - La bibliothèque Richelieu. -
Personnalités. - La bibliothèque d'Alexandrie.

En 1851, je passais à Francfort. - Obligé de rester deux jours dans cette ville,
que je connaissais déjà, - je n'eus d'autre ressource que de parcourir les rues
principales, encombrées alors par les marchands forains. La place de Roemer,
surtout, resplendissait d'un luxe inouï d'étalages; et près de là, le marché aux
fourrures étalait des dépouilles d'animaux sans nombre, venues soit de la haute
Sibérie, soit des bords de la mer Caspienne. - L'ours blanc, le renard bleu,
l'hermine, étaient les moindres curiosités de cette incomparable exhibition;
plus loin, les verres de Bohême aux mille couleurs éclatantes, montés,
festonnés, gravés, incrustés d'or, s'étalaient sur des rayons de planches de
cèdre, - comme les fleurs coupées d'un paradis inconnu.
Une plus modeste série d'étalages régnait le long de sombres boutiques,
entourant les parties les moins luxueuses du bazar, - consacrées à la mercerie,
à la cordonnerie et aux divers objets d'habillement. C'étaient des libraires,
venus de divers points de l'Allemagne, et dont la vente la plus productive
paraissait être celle des almanachs, des images peintes et des lithographies: Le
Volks-Kalender (Almanach du peuple), avec ses gravures sur bois, - les chansons
politiques, les lithographies de Robert Blum et des héros de la guerre de
Hongrie, voilà ce qui attirait les yeux et les kreutzers de la foule. Un grand
nombre de vieux livres, étalés sous ces nouveautés, ne se recommandaient que par
leurs prix modiques, - et je fus étonné d'y trouver beaucoup de livres français.
C'est que Francfort, ville libre, a servi longtemps de refuge aux protestants, -
et, comme les principales villes des Pays-Bas, elle fut longtemps le siège
d'imprimeries qui commencèrent par répandre en Europe les oeuvres hardies des
philosophes et des mécontents français, - et qui sont restées, sur certains
points, des ateliers de contrefaçon pure et simple, qu'on aura bien de la peine
à détruire.
Il est impossible, pour un Parisien, de résister au désir de feuilleter de vieux
ouvrages étalés par un bouquiniste. Cette partie de la foire de Francfort me
rappelait les quais.- souvenir plein d'émotion et de charme. J'achetai quelques
vieux livres, - ce qui me donnait le droit de parcourir longuement les autres.
Dans le nombre, j'en rencontrai un, imprimé moitié en français, moitié en
allemand, et dont voici le titre, que j'ai pu vérifier depuis dans le Manuel du
Libraire de Brunet:
"Evénement des plus rares, ou Histoire du sieur abbé comte de Bucquoy,
singulièrement son évasion du Fort-l'Evêque et de la Bastille, avec plusieurs
ouvrages vers et prose, et particulièrement la game des femmes, se vend chez
Jean de la France, rue de la Réforme, à l'Espérance, à Bonnefoy. - 1719."
Le libraire m'en demanda un florin et six kreutzers (on prononce cruches). Cela
me parut cher pour l'endroit, et je me bornai à feuilleter le livre, - ce qui,
grâce à la dépense que j'avais déjà faite, m'était gratuitement permis. Le récit
des évasions de l'abbé de Bucquoy était plein d'intérêt; mais je me dis enfin:
je trouverai ce livre à Paris, aux bibliothèques, ou dans ces mille collections
où sont réunis tous les mémoires possibles relatifs à l'histoire de France. Je
pris seulement le titre exact, et j'allai me promener au Meinlust, sur le quai
du Mein, en feuilletant les pages du Volks-Kalender.
A mon retour à Paris, je trouvai la littérature dans un état de terreur
inexprimable. Par suite de l'amendement Riancey à la loi sur la presse, il était
défendu aux journaux d'insérer ce que l'assemblée s'est plu à appeler le
feuilleton-roman. J'ai vu bien des écrivains, étrangers à toute couleur
politique, désespérés de cette résolution qui les frappait cruellement dans
leurs moyens d'existence.
Moi même, qui ne suis pas un romancier, je tremblais en songeant à cette
interprétation vague, qu'il serait possible de donner à ces deux mots
bizarrement accouplés: feuilleton-roman, et pressé de vous donner un titre,
j'indiquai celui-ci: l'Abbé de Bucquoy, pensant bien que je trouverais très vite
à Paris les documents nécessaires pour parler de ce personnage d'une façon
historique et non romanesque, - car il faut bien s'entendre sur les mots.
Je m'étais assuré de l'existence du livre en France, et je l'avais vu classé non
seulement dans le manuel de Brunet, mais aussi dans la France littéraire de
Quérard. - Il paraissait certain que cet ouvrage, noté, il est vrai, comme rare,
se rencontrerait facilement soit dans quelque bibliothèque publique, soit encore
chez un amateur, soit chez les libraires spéciaux.
Du reste, ayant parcouru le livre, - ayant même rencontré un second récit des
aventures de l'abbé de Bucquoy dans les lettres si spirituelles et si curieuses
de madame Dunoyer, - je ne me sentais pas embarrassé pour donner le portrait de
l'homme et pour écrire sa biographie selon des données irréprochables.
Mais je commence à m'effrayer aujourd'hui des condamnations suspendues sur les
journaux pour la moindre infraction au texte de la loi nouvelle. Cinquante
francs d'amende par exemplaire saisi, c'est de quoi faire reculer les plus
intrépides: car, pour les journaux qui tirent seulement à vingt-cinq mille, - et
il y en a plusieurs, - cela représenterait plus d'un million. On comprend alors
combien une large interprétation de la loi donnerait au pouvoir de moyens pour
éteindre toute opposition. Le régime de la censure serait de beaucoup
préférable. Sous l'ancien régime, avec l'approbation d'un censeur, - qu'il était
permis de choisir, - on était sûr de pouvoir sans danger produire ses idées, et
la liberté dont on jouissait était extraordinaire quelquefois. J'ai lu des
livres contresignés Louis et Phélippeaux qui seraient saisis aujourd'hui
incontestablement.
Le hasard m'a fait vivre à Vienne sous le régime de la censure. Me trouvant
quelque peu gêné par suite de frais de voyage imprévus, et en raison de la
difficulté de faire venir de l'argent de France, j'avais recouru au moyen bien
simple d'écrire dans les journaux du pays. On payait cent cinquante francs la
feuille de seize colonnes très courtes. Je donnai deux séries d'articles, qu'il
fallut soumettre aux censeur.J'attendis d'abord plusieurs jours. On ne me
rendait rien. - Je me vis forcé d'aller trouver M. Pilat, le directeur de cette
institution, en lui exposant qu'on me faisait attendre trop longtemps le visa. -
Il fut pour moi d'une complaisance rare, - et il ne voulut pas, comme son quasi-
homonyme, se laver les mains de l'injustice que je lui signalais. J'étais privé,
en outre, de la lecture des journaux français, car on ne recevait dans les cafés
que le Journal des Débats et la Quotidienne. M. Pilat me dit: "Vous êtes ici
dans l'endroit le plus libre de l'empire (les bureaux de la censure), et vous
pouvez venir y lire, tous les jours, même le National et le Charivari"Voilà des
façons spirituelles et généreuses qu'on ne rencontre que chez les fonctionnaires
allemands, et qui n'ont que cela de fâcheux qu'elles font supporter plus
longtemps l'arbitraire.
Je n'ai jamais eu tant de bonheur avec la censure française, je veux parler de
celle des théâtres, - et je doute que si l'on rétablissait celle des livres et
des journaux nous eussions plus à nous en louer. Dans le caractère de notre
nation, il y a toujours une tendance à exercer la force, quand on la possède, ou
les prétentions du pouvoir, quand on le tient en main.
Je parlais dernièrement de mon embarras à un savant, qu'il est inutile de
désigner autrement qu'en l'appelant bibliophile. Il me dit: Ne vous servez pas
des Lettres galantes de madame Dunoyer pour écrire l'histoire de l'abbé de
Bucquoy. Le titre seul du livre empêchera qu'on le considère comme sérieux;
attendez la réouverture de la Bibliothèque (elle était alors en vacances), et
vous ne pouvez manquer d'y trouver l'ouvrage que vous avez lu à Francfort.
Je ne fis pas attention au malin sourire qui, probablement, pinçait alors la
lèvre du bibliophile, - et, le Ier octobre, je me présentais l'un des premiers à
la Bibliothèque nationale.
M. Pilon est un homme plein de savoir et de complaisance. Il fit faire des
recherches qui, au bout d'une demi-heure, n'amenèrent aucun résultat. Il
feuilleta Brunet et Quérard, y trouva le livre parfaitement désigné, et me pria
de revenir au bout de trois jours: - on n'avait pas pu le trouver. - Peut-être
cependant, me dit M. Pilon, avec l'obligeante patience qu'on lui connaît, -
peut-être se trouve-t-il classé parmi les romans.
Je frémis: - Parmi les romans?... mais c'est un livre historique!... cela doit
se trouver dans la collection des Mémoires relatifs au siècle de Louis XIV. Ce
livre se rapporte à l'histoire spéciale de la Bastille: il donne des détails sur
la révolte des Camisards, sur l'exil des protestants, sur cette célèbre ligue
des faux-saulniers de Lorraine, dont Mandrin se servit plus tard pour lever des
troupes régulières qui furent capables de lutter contre des corps d'armée et de
prendre d'assaut des villes telles que Beaune et Dijon!...
- Je le sais, me dit M. Pilon; mais le classement des livres, fait à diverses
époques, est souvent fautif. On ne peut en réparer les erreurs qu'à mesure que
le public fait la demande des ouvrages. Il n'y a ici que M. Ravenel qui puisse
vous tirer d'embarras... Malheureusement, il n'est pas de semaine.
J'attendis la semaine de M. Ravenel. Par bonheur, je rencontrai, le lundi
suivant, dans la salle de lecture, quelqu'un qui le connaissait, et qui m'offrit
de me présenter à lui. M. Ravenel m'accueillit avec beaucoup de politesse, et me
dit ensuite: "Monsieur, je suis charmé du hasard qui me procure votre
connaissance, et je vous prie seulement de m'accorder quelques jours. Cette
semaine, j'appartiens au public. La semaine prochaine, je serai tout à votre
service."
Comme j'avais été présenté à M. Ravenel, je ne faisais plus partie du public! Je
devenais une connaissance privée, - pour laquelle on ne pouvait se déranger du
service ordinaire.
Cela était parfaitement juste d'ailleurs; - mais admirez ma mauvaise
chance!...Et je n'ai eu qu'elle à accuser.
On a souvent parlé des abus de la Bibliothèque. Ils tiennent en partie à
l'insuffisance du personnel, en partie aussi à de vieilles traditions qui se
perpétuent. Ce qui a été dit de plus juste, c'est qu'une grande partie du temps
et de la fatigue des savants distingués qui remplissent là des fonctions peu
lucratives de bibliothécaires est dépensée à donner aux six cents lecteurs
quotidiens des livres usuels, qu'on trouverait dans tous les cabinets de
lecture; - ce qui ne fait pas moins de tort à ces derniers qu'aux éditeurs et
aux auteurs, dont il devient inutile dès lors d'acheter ou de louer les livres.
On l'a dit encore avec raison, un établissement unique au monde comme celui-là
ne devrait pas être un chauffoir public, une salle d'asile, - dont les hôtes
sont, en majorité, dangereux pour l'existence et la conservation des livres.
Cette quantité de désoeuvrés vulgaires, de bourgeois retirés, d'hommes veufs, de
solliciteurs sans places, d'écoliers qui viennent copier leur version, de
vieillards maniaques, - comme l'était ce pauvre Carnaval qui venait tous les
jours avec un habit rouge, bleu clair, ou vert-pomme, et un chapeau orné de
fleurs, - mérite sans doute considération, mais n'existe-t-il pas d'autres
bibliothèques, et même des bibliothèques spéciales à leur ouvrir?...
Il y avait aux imprimés dix-neuf éditions de Don Quichotte. Aucune n'est restée
complète. Les voyages, les comédies, les histoires amusantes, comme celles de M.
Thiers et de M. Capefigue, l'Almanach des adresses, sont ce que ce public
demande invariablement, depuis que les Bibliothèques ne donnent plus de romans
en lecture.
Puis, de temps en temps, une édition se dépareille, un livre curieux disparaît,
grâce au système trop large qui consiste à ne pas même demander les noms des
lecteurs.
La république des lettres est la seule qui doive être quelque peu imprégnée
d'aristocratie, - car on ne contestera jamais celle de la science et du talent.
La célèbre bibliothèque d'Alexandrie n'était ouverte qu'aux savants ou aux
poètes connus par des ouvrages d'un mérite quelconque. Mais aussi l'hospitalité
y était complète, et ceux qui venaient y consulter les auteurs étaient logés et
nourris gratuitement pendant tout le temps qu'il leur plaisait d'y séjourner.
Et à ce propos, - permettez à un voyageur qui en a foulé les débris et interrogé
les souvenirs, de venger la mémoire de l'illustre calife Omar de cet éternel
incendie de la bibliothèque d'Alexandrie, qu'on lui reproche communément. Omar
n'a jamais mis le pied à Alexandrie, - quoi qu'en aient dit bien des
académiciens. Il n'a pas même eu d'ordres à envoyer sur ce point à son
lieutenant Amrou. - La bibliothèque d'Alexandrie et le Serapéon, ou maison de
secours, qui en faisait partie, avaient été brûlés et détruits au quatrième
siècle par les chrétiens, - qui, en outre, massacrèrent dans les rues la célèbre
Hypatie, philosophe pythagoricienne. Ce sont là, sans doute, des excès qu'on ne
peut reprocher à la religion, - mais il est bon de laver du reproche d'ignorance
ces malheureux Arabes dont les traductions nous ont conservé les merveilles de
la philosophie, de la médecine et des sciences grecques, en y ajoutant leurs
propres travaux, - qui sans cesse perçaient de vifs rayons la brume obstinée des
époques féodales.
Pardonnez-moi ces digressions, - et je vous tiendrai au courant du voyage que
j'entreprends à la recherche de l'abbé de Bucquoy. Ce personnage excentrique et
éternellement fugitif ne peut échapper toujours à une investigation rigoureuse.
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Gérard De Nerval (1808-1855) Angélique.
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