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 Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE IX. ÉTAT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE BANZA.

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Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE IX.  ÉTAT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE BANZA. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE IX. ÉTAT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE BANZA.   Denis Diderot. (1713-1784)CHAPITRE IX.  ÉTAT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE BANZA. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:42

CHAPITRE IX.

ÉTAT DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES DE BANZA.


Mangogul avait à peine abandonné les recluses entre lesquelles je
l'avais laissé, qu'il se répandit à Banza que toutes les filles de la
congrégation du coccix de Brama parlaient par le bijou. Ce bruit, que le
procédé violent d'Husseim accréditait, piqua la curiosité des savants.
Le phénomène fut constaté; et les esprits forts commencèrent à chercher
dans les propriétés de la matière l'explication d'un fait qu'ils avaient
d'abord traité d'impossible. Le caquet des bijoux produisit une infinité
d'excellents ouvrages; et ce sujet important enfla les recueils des
académies de plusieurs mémoires qu'on peut regarder comme les derniers
efforts de l'esprit humain.

Pour former et perpétuer celle des sciences de Banza, on avait appelé,
et l'on appelait sans cesse ce qu'il y avait d'hommes éclairés dans le
Congo, le Monoémugi(24), le Béléguanze et les royaumes circonvoisins.
Elle embrassait, sous différents titres, toutes les personnes
distinguées dans l'histoire naturelle, la physique, les mathématiques,
et la plupart de celles qui promettaient de s'y distinguer un jour. Cet
essaim d'abeilles infatigables travaillait sans relâche à la recherche
de la vérité; et, chaque année, le public recueillait, dans un volume
rempli de découvertes, les fruits de leurs travaux.

(24: Dans les cartes du XVIIIe siècle, le Monoémugi est un
royaume situé au nord-est du Congo. Il répond, ici, à l'Allemagne du
Nord et parfois à l'Angleterre.)

Elle était alors divisée en deux factions, l'une composée des
vorticoses, et l'autre des attractionnaires. Olibri, habile géomètre et
grand physicien, fonda la secte des vorticoses(25). Circino, habile
physicien et grand géomètre, fut le premier attractionnaire(26). Olibri
et Circino se proposèrent l'un et l'autre d'expliquer la nature. Les
principes d'Olibri ont au premier coup d'oeil une simplicité qui
séduit: ils satisfont en gros aux principaux phénomènes; mais ils se
démentent dans les détails. Quant à Circino, il semble partir d'une
absurdité: mais il n'y a que le premier pas qui lui coûte. Les détails
minutieux qui ruinent le système d'Olibri affermissent le sien. Il suit
une route obscure à l'entrée, mais qui s'éclaire à mesure qu'on avance.
Celle, au contraire, d'Olibri, claire à l'entrée, va toujours en
s'obscurcissant. La philosophie de celui-ci demande moins d'étude que
d'intelligence. On ne peut être disciple de l'autre, sans avoir beaucoup
d'intelligence et d'étude. On entre sans préparation dans l'école
d'Olibri; tout le monde en a la clef. Celle de Circino n'est ouverte
qu'aux premiers géomètres. Les tourbillons d'Olibri sont à la portée de
tous les esprits. Les forces centrales de Circino ne sont faites que
pour les algébristes du premier ordre. Il y aura donc toujours cent
vorticoses contre un attractionnaire; et un attractionnaire vaudra
toujours cent vorticoses. Tel était aussi l'état de l'académie des
sciences de Banza, lorsqu'elle agita la matière des bijoux indiscrets.

(25: Partisans du système des tourbillons de Descartes.)

(26: On sait que le système de Newton est fondé sur le principe
de l'attraction des corps célestes.)

Ce phénomène donnait peu de prise; il échappait à l'attraction: la
matière subtile n'y venait guère. Le directeur avait beau sommer ceux
qui avaient quelques idées de les communiquer, un silence profond
régnait dans l'assemblée. Enfin le vorticose Persiflo, dont on avait des
traités sur une infinité de sujets qu'il n'avait point entendus, se
leva, et dit: «Le fait, messieurs, pourrait bien tenir au système du
monde: je le soupçonnerais d'avoir en gros la même cause que les marées.
En effet, remarquez que nous sommes aujourd'hui dans la pleine lune de
l'équinoxe; mais, avant que de compter sur ma conjecture, il faut
entendre ce que les bijoux diront le mois prochain.»

On haussa les épaules. On n'osa pas lui représenter qu'il raisonnait
comme un bijou; mais, comme il a de la pénétration, il s'aperçut tout
d'un coup qu'on le pensait.

L'attractionnaire Réciproco prit la parole, et ajouta: «Messieurs, j'ai
des tables déduites d'une théorie sur la hauteur des marées dans tous
les ports du royaume. Il est vrai que les observations donnent un peu le
démenti à mes calculs; mais j'espère que cet inconvénient sera réparé
par l'utilité qu'on en tirera si le caquet des bijoux continue de cadrer
avec les phénomènes du flux et reflux.»

Un troisième se leva, s'approcha de la planche, traça sa figure et dit:
«Soit un bijou A B, etc...»

Ici, l'ignorance des traducteurs nous a frustrés d'une démonstration que
l'auteur africain nous avait conservée sans doute. A la suite d'une
lacune de deux pages ou environ, on lit: Le raisonnement de Réciproco
parut démonstratif; et l'on convint, sur les essais qu'on avait faits de
sa dialectique, qu'il parviendrait un jour à déduire que les femmes
doivent parler aujourd'hui par le bijou de ce qu'elles ont entendu de
tout temps par l'oreille.

Le docteur Orcotome(27), de la tribu des anatomistes, dit ensuite:
«Messieurs, j'estime qu'il serait plus à propos d'abandonner un
phénomène, que d'en chercher la cause dans des hypothèses en l'air.
Quant à moi, je me serais tu, si je n'avais eu que des conjectures
futiles à vous proposer; mais j'ai examiné, étudié, réfléchi. J'ai vu
des bijoux dans le paroxysme; et je suis parvenu, à l'aide de la
connaissance des parties et de l'expérience, à m'assurer que celle que
nous appelons en grec le delphus, a toutes les propriétés de la
trachée, et qu'il y a des sujets qui peuvent parler aussi bien par le
bijou que par la bouche. Oui, messieurs, le delphus est un instrument
à corde et à vent, mais beaucoup plus à corde qu'à vent. L'air extérieur
qui s'y porte fait proprement l'office d'un archet sur les fibres
tendineuses des ailes que j'appellerai rubans ou cordes vocales. C'est
la douce collision de cet air et des cordes vocales qui les oblige à
frémir; et c'est par leurs vibrations plus ou moins promptes qu'elles
rendent différents sons. La personne modifie ces sons à discrétion,
parle, et pourrait même chanter.

(27: La Mettrie, dans le Supplément à l'Ouvrage de Pénélope
ou Machiavel en médecine (1750), donne le même nom à Ferrein, auteur
d'un système sur le mécanisme de la voix.)

«Comme il n'y a que deux rubans ou cordes vocales, et qu'elles sont
sensiblement de la même longueur, on me demandera sans doute comment
elles suffisent pour donner la multitude des tons graves et aigus, forts
et faibles, dont la voix humaine est capable. Je réponds, en suivant la
comparaison de cet organe aux instruments de musique, que leur
allongement et accourcissement suffisent pour produire ces effets.

«Que ces parties soient capables de distension et de contraction, c'est
ce qu'il est inutile de démontrer dans une assemblée de savants de votre
ordre; mais qu'en conséquence de cette distension et contraction, le
delphus puisse rendre des sons plus ou moins aigus, en un mot, toutes
les inflexions de la voix et les tons du chant, c'est un fait que je me
flatte de mettre hors de doute. C'est à l'expérience que j'en
appellerai. Oui, messieurs, je m'engage à faire raisonner, parler, et
même chanter devant vous, et delphus et bijoux.»

Ainsi harangua Orcotome, ne se promettant pas moins que d'élever les
bijoux au niveau des trachées d'un de ses confrères, dont la jalousie
avait attaqué vainement les succès.


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