PLUME DE POÉSIES
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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XLVI. SÉLIM A BANZA.

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MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XLVI. SÉLIM A BANZA.   Denis Diderot. (1713-1784)  CHAPITRE XLVI.  SÉLIM A BANZA. Icon_minitimeLun 3 Sep - 11:30

CHAPITRE XLVI.

SÉLIM A BANZA.


Mangogul alla se reposer au sortir du bal; et la favorite, qui ne se
sentait aucune disposition au sommeil, fit appeler Sélim, et le pressa
de lui continuer son histoire amoureuse. Sélim obéit, et reprit en ces
termes:

«Madame, la galanterie ne remplissait pas tout mon temps: je dérobais au
plaisir des instants que je donnais à des occupations sérieuses; et les
intrigues dans lesquelles je m'embarquai, ne m'empêchèrent pas
d'apprendre les fortifications, le manége, les armes, la musique et la
danse; d'observer les usages et les arts des Européens, et d'étudier
leur politique et leur milice. De retour dans le Congo, on me présenta à
l'empereur aïeul du sultan, qui m'accorda un poste honorable dans ses
troupes. Je parus à la cour, et bientôt je fus de toutes les parties du
prince Erguebzed, et par conséquent intéressé dans les aventures des
jolies femmes. J'en connus de toute nation, de tout âge, de toute
condition; j'en trouvai peu de cruelles, soit que mon rang les éblouît,
soit qu'elles aimassent mon jargon, ou que ma figure les prévînt.
J'avais alors deux qualités avec lesquelles on va vite en amour, de
l'audace et de la présomption.

«Je pratiquai d'abord les femmes de qualité. Je les prenais le soir au
cercle ou au jeu chez la Manimonbanda; je passais la nuit avec elles; et
nous nous méconnaissions presque le lendemain. Une des occupations de
ces dames, c'est de se procurer des amants, de les enlever même à leurs
meilleures amies, et l'autre de s'en défaire. Dans la crainte de se
trouver au dépourvu, tandis qu'elles filent une intrigue, elles en
lorgnent deux ou trois autres. Elles possèdent je ne sais combien de
petites finesses pour attirer celui qu'elles ont en vue et cent
tracasseries en réserve pour se débarrasser de celui qu'elles ont. Cela
a toujours été et cela sera toujours. Je ne nommerai personne; mais je
connus ce qu'il y avait de femmes à la cour d'Erguebzed en réputation de
jeunesse et de beauté; et tous ces engagements furent formés, rompus,
renoués, oubliés en moins de six mois.

«Dégoûté de ce monde, je me jetai dans ses antipodes: je vis des
bourgeoises que je trouvai dissimulées, fières de leur beauté, toutes
grimpées sur le ton de l'honneur et presque toujours obsédées par des
maris sauvages et brutaux ou certains pieds-plats de cousins qui
faisaient à jours entiers les passionnés auprès de leurs cousines et qui
me déplaisaient grandement: on ne pouvait les tenir seules un moment;
ces animaux survenaient perpétuellement, dérangeaient un rendez-vous et
se fourraient à tout propos dans la conversation. Malgré ces obstacles,
j'amenai cinq ou six de ces bégueules au point où je les voulais avant
que de les planter là. Ce qui me réjouissait dans leur commerce, c'est
qu'elles se piquaient de sentiments, qu'il fallait s'en piquer aussi, et
qu'elles en parlaient à mourir de rire: et puis elles exigeaient des
attentions, des petits soins; à les entendre, on leur manquait à tout
moment; elles prêchaient un amour si correct, qu'il fallut bien y
renoncer. Mais le pis, c'est qu'elles avaient incessamment votre nom à
la bouche et que quelquefois on était contraint de se montrer avec elles
et d'encourir tout le ridicule d'une aventure bourgeoise; je me sauvai
un beau jour des magasins et de la rue Saint-Denis pour n'y revenir de
ma vie.

«On avait alors la fureur des petites maisons: j'en louai une dans le
faubourg oriental et j'y plaçai successivement quelques-unes de ces
filles qu'on voit, qu'on ne voit plus; à qui l'on parle, à qui l'on ne
dit mot, et qu'on renvoie quand on en est las: j'y rassemblais des amis
et des actrices de l'Opéra; on y faisait de petits soupers, que le
prince Erguebzed a quelquefois honorés de sa présence. Ah! madame,
j'avais des vins délicieux, des liqueurs exquises et le meilleur
cuisinier du Congo.

«Mais rien ne m'a tant amusé qu'une entreprise que j'exécutai dans une
province éloignée de la capitale, où mon régiment était en quartier: je
partis de Banza pour en faire la revue; c'était la seule affaire qui
m'éloignait de la ville; et mon voyage eût été court, sans le projet
extravagant auquel je me livrai. Il y avait à Baruthi un monastère
peuplé des plus rares beautés; j'étais jeune et sans barbe, et je
méditais de m'y introduire à titre de veuve qui cherchait un asile
contre les dangers du siècle. On me fait un habit de femme; je m'en
ajuste et je vais me présenter à la grille de nos recluses; on
m'accueillit affectueusement; on me consola de la perte de mon époux; on
convint de ma pension, et j'entrai.

«L'appartement qu'on me donna communiquait au dortoir des novices; elles
étaient en grand nombre, jeunes pour la plupart et d'une fraîcheur
surprenante: je les prévins de politesses et je fus bientôt leur amie.
En moins de huit jours, on me mit au fait de tous les intérêts de la
petite république; on me peignit les caractères, on m'instruisit des
anecdotes; je reçus des confidences de toutes couleurs, et je m'aperçus
que nous ne manions pas mieux la médisance et la calomnie, nous autres
profanes. J'observai la règle avec sévérité; j'attrapai les airs
patelins et les tons doucereux; et l'on se disait à l'oreille que la
communauté serait bien heureuse si j'y prenais l'habit.

«Je ne crus pas plus tôt ma réputation faite dans la maison, que je
m'attachai à une jeune vierge qui venait de prendre le premier voile:
c'était une brune adorable; elle m'appelait sa maman, je l'appelais mon
petit ange; elle me donnait des baisers innocents, et je lui en rendais
de fort tendres. Jeunesse est curieuse; Zirziphile me mettait à tout
propos sur le mariage et sur les plaisirs des époux; elle m'en demandait
des nouvelles; j'aiguisais habilement sa curiosité; et de questions en
questions, je la conduisis jusqu'à la pratique des leçons que je lui
donnais. Ce ne fut pas la seule novice que j'instruisis; et quelques
jeunes nonnains vinrent aussi s'édifier dans ma cellule. Je ménageais
les moments, les rendez-vous, les heures, si à propos que personne ne se
croisait: enfin, madame, que vous dirai-je? la pieuse veuve se fit une
postérité nombreuse; mais lorsque le scandale dont on avait gémi tout
bas eut éclaté et que le conseil des discrètes, assemblé, eut appelé le
médecin de la maison, je méditai ma retraite. Une nuit donc, que toute
la maison dormait, j'escaladai les murs du jardin et je disparus: je me
rendis aux eaux de Piombino, où le médecin avait envoyé la moitié du
couvent et où j'achevai, sous l'habit de cavalier, l'ouvrage que j'avais
commencé sous celui de veuve. Voilà, madame, un fait dont tout l'empire
a mémoire et dont vous seule connaissez l'auteur.

«Le reste de ma jeunesse, ajouta Sélim, s'est consumé à de pareils
amusements, toujours de femmes, et de toute espèce, rarement du mystère,
beaucoup de serments et point de sincérité.

-Mais, à ce compte, lui dit la favorite, vous n'avez donc jamais aimé?

-Bon! répondit Sélim, je pensais bien alors à l'amour! je n'en voulais
qu'au plaisir et qu'à celles qui m'en promettaient.

-Mais a-t-on du plaisir sans aimer? interrompit la favorite. Qu'est-ce
que cela, quand le coeur ne dit rien?

-Eh! madame, répliqua Sélim, est-ce le coeur qui parle, à dix-huit ou
vingt ans?

-Mais enfin, de toutes ces expériences, quel est le résultat?
qu'avez-vous prononcé sur les femmes?

-Qu'elles sont la plupart sans caractère, dit Sélim; que trois choses
les meuvent puissamment: l'intérêt, le plaisir et la vanité; qu'il n'y
en a peut-être aucune qui ne soit dominée par une de ces passions, et
que celles qui les réunissent toutes trois sont des monstres.

-Passe encore pour le plaisir, dit Mangogul, qui entrait à l'instant;
quoiqu'on ne puisse guère compter sur ces femmes, il faut les excuser:
quand le tempérament est monté à un certain degré, c'est un cheval
fougueux qui emporte son cavalier à travers champs; et presque toutes
les femmes sont à califourchon sur cet animal-là.

-C'est peut-être par cette raison, dit Sélim, que la duchesse Ménéga
appelle le chevalier Kaidar son grand écuyer.

-Mais serait-il possible, dit la sultane à Sélim, que vous n'ayez pas
eu la moindre aventure de coeur? Ne serez-vous sincère que pour
déshonorer un sexe qui faisait vos plaisirs, si vous en faisiez les
délices? Quoi! dans un si grand nombre de femmes, pas une qui voulût
être aimée, qui méritât de l'être! Cela ne se comprend pas.

-Ah! madame, répondit Sélim, je sens, à la facilité avec laquelle je
vous obéis, que les années n'ont point affaibli sur mon coeur l'empire
d'une femme aimable: oui, madame, j'ai aimé comme un autre. Vous voulez
tout savoir, je vais tout dire; et vous jugerez si je me suis acquitté
du rôle d'amant dans les formes.

-Y a-t-il des voyages dans cette partie de votre histoire? demanda le
sultan.

-Non, prince, répondit Sélim.

-Tant mieux, reprit Mangogul; car je ne me sens aucune envie de dormir.

-Pour moi, reprit la favorite, Sélim me permettra bien de reposer un
moment.

-Qu'il aille se coucher aussi, dit le sultan; et pendant que vous
dormirez je questionnerai Cypria.

-Mais, prince, lui répondit Mirzoza, Votre Hautesse n'y pense pas; ce
bijou vous enfilera dans des voyages qui ne finiront point.»

L'auteur africain nous apprend ici que le sultan, frappé de
l'observation de Mirzoza, se précautionna d'un anti-somnifère des plus
violents: il ajoute que le médecin de Mangogul, qui était bien son ami,
lui en avait communiqué la recette et qu'il en avait fait la préface de
son ouvrage; mais il ne nous reste de cette préface que les trois
dernières lignes que je vais rapporter ici.

Prenez de.........................

De.............................

De.............................

De Marianne et du Paysan, par... quatre pages(92).

Des Égarements du coeur(93), une feuille.

Des Confessions(94), vingt-cinq lignes et demie.

(92: La Vie de Marianne et le Paysan parvenu, romans de
Marivaux. (Br.))

(93: Les Égarements du coeur et de l'esprit, par Crébillon
fils. (Br.))

(94: Les Confessions du Comte de ***, par Duclos. (Br.))




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