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 Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIV. NEUVIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. DES CHOSES PERDUES ET RETROUVÉES.

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Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIV.  NEUVIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  DES CHOSES PERDUES ET RETROUVÉES. Empty
MessageSujet: Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIV. NEUVIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. DES CHOSES PERDUES ET RETROUVÉES.   Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIV.  NEUVIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.  DES CHOSES PERDUES ET RETROUVÉES. Icon_minitimeLun 3 Sep - 10:58

CHAPITRE XXIV.

NEUVIÈME ESSAI DE L'ANNEAU.

DES CHOSES PERDUES ET RETROUVÉES.

Pour servir de supplément au savant Traité de Pancirolle(43)
et aux Mémoires de l'Académie des Inscriptions.

(43: Rerum memorabilium libri duo, Amberg, 1599. Ouvrage de
Panciroli, traitant des arts anciens qui se sont perdus et des
découvertes des modernes.)


Mangogul s'en revenait dans son palais, occupé des ridicules que les
femmes se donnent, lorsqu'il se trouva, soit distraction de sa part,
soit méprise de son anneau, sous les portiques du somptueux édifice que
Thélis a décoré des riches dépouilles de ses amants. Il profita de
l'occasion pour interroger son bijou.

Thélis était femme de l'émir Sambuco, dont les ancêtres avaient régné
dans la Guinée. Sambuco s'était acquis de la considération dans le Congo
par cinq ou six victoires célèbres qu'il avait remportées sur les
ennemis d'Erguebzed. Non moins habile négociateur que grand capitaine,
il avait été chargé des ambassades les plus distinguées et s'en était
tiré supérieurement. Il vit Thélis au retour de Loango et il en fut
épris. Il touchait alors à la cinquantaine et Thélis ne passait pas
vingt-cinq ans. Elle avait plus d'agréments que de beauté; les femmes
disaient qu'elle était très-bien et les hommes la trouvaient adorable.
De puissants partis l'avaient recherchée; mais soit qu'elle eût déjà ses
vues, soit qu'il y eût entre elle et ses soupirants disproportion de
fortune, ils avaient tous été refusés. Sambuco la vit, mit à ses pieds
des richesses immenses, un nom, des lauriers et des titres qui ne le
cédaient qu'à ceux des souverains, et l'obtint(44).

(44: Ce commencement pourrait faire penser que Sambuco est le
maréchal de Villars qui emmenait sa femme même en campagne à ce que dit
Saint-Simon; mais quoique Mlle de Varangeville ait été chansonnée
sous ses deux noms de fille et de femme dans le Recueil de Maurepas,
la fin du chapitre est faite pour dérouter cette première supposition.
Plus loin (c. XXVII) Sambuco pourra être confondu avec Villeroy. Quant à
Thélis, la femme dont elle se rapprocherait le plus serait Mme de
Tencin; mais...)

Thélis fut ou parut vertueuse pendant six semaines entières après son
mariage; mais un bijou né voluptueux se dompte rarement de lui-même, et
un mari quinquagénaire, quelque héros qu'il soit d'ailleurs, est un
insensé, s'il se promet de vaincre cet ennemi. Quoique Thélis mît dans
sa conduite de la prudence, ses premières aventures ne furent point
ignorées. C'en fut assez dans la suite pour lui en supposer de secrètes,
et Mangogul, curieux de ces vérités, se hâta de passer du vestibule de
son palais dans son appartement.

On était alors au milieu de l'été: il faisait une chaleur extrême, et
Thélis, après le dîner, s'était jetée sur un lit de repos, dans un
arrière-cabinet orné de glaces et de peintures. Elle dormait, et sa main
était encore appuyée sur un recueil de contes persans qui l'avaient
assoupie.

Mangogul la contempla quelque temps, convint qu'elle avait des grâces,
et tourna sa bague sur elle. «Je m'en souviens encore, comme si j'y
étais, dit incontinent le bijou de Thélis: neuf preuves d'amour en
quatre heures. Ah! quels moments! que Zermounzaïd est un homme divin! Ce
n'est point là le vieux et glacé Sambuco. Cher Zermounzaïd, j'avais
ignoré les vrais plaisirs, le bien réel; c'est toi qui me l'as fait
connaître.»

Mangogul, qui désirait s'instruire des particularités du commerce de
Thélis avec Zermounzaïd, que le bijou lui dérobait, en ne s'attachant
qu'à ce qui frappe le plus un bijou, frotta quelque temps le chaton de
sa bague contre sa veste, et l'appliqua sur Thélis, tout étincelant de
lumière. L'effet en parvint bientôt jusqu'à son bijou, qui mieux
instruit de ce qu'on lui demandait, reprit d'un ton plus historique:

«Sambuco commandait l'armée du Monoémugi, et je le suivais en campagne.
Zermounzaïd servait sous lui en qualité de colonel, et le général, qui
l'honorait de sa confiance, nous avait mis sous son escorte. Le zélé
Zermounzaïd ne désempara pas de son poste: il lui parut trop doux, pour
le céder à quelque autre; et le danger de le perdre fut le seul qu'il
craignit de toute la campagne.

«Pendant le quartier d'hiver, je reçus quelques nouveaux hôtes, Cacil,
Jékia, Almamoum, Jasub, Sélim, Manzora, Néreskim, tous militaires que
Zermounzaïd avait mis à la mode, mais qui ne le valaient pas. Le crédule
Sambuco s'en reposait de la vertu de sa femme sur elle-même, et sur les
soins de Zermounzaïd; et tout occupé des détails immenses de la guerre,
et des grandes opérations qu'il méditait pour la gloire du Congo, il
n'eut jamais le moindre soupçon que Zermounzaïd le trahît, et que Thélis
lui fût infidèle.

«La guerre continua; les armées rentrèrent en campagne, et nous reprîmes
nos litières. Comme elles allaient très-lentement, insensiblement le
corps de l'armée gagna de l'avance sur nous, et nous nous trouvâmes à
l'arrière-garde. Zermounzaïd la commandait. Ce brave garçon, que la vue
des grands périls n'avait jamais écarté du chemin de la gloire, ne put
résister à celle du plaisir. Il abandonna à un subalterne le soin de
veiller aux mouvements de l'ennemi qui nous harcelait, et passa dans
notre litière; mais à peine y fut-il, que nous entendîmes un bruit
confus d'armes et de cris. Zermounzaïd, laissant son ouvrage à demi,
veut sortir; mais il est étendu par terre, et nous restons au pouvoir du
vainqueur.

«Je commençai donc par engloutir l'honneur et les services d'un officier
qui pouvait attendre de sa bravoure et de son mérite les premiers
emplois de la guerre, s'il n'eût jamais connu la femme de son général.
Plus de trois mille hommes périrent en cette occasion. C'est encore
autant de bons sujets que nous avons ravis à l'État.»

Qu'on imagine la surprise de Mangogul à ce discours! Il avait entendu
l'oraison funèbre de Zermounzaïd, et il ne le reconnaissait point à ces
traits. Erguebzed son père avait regretté cet officier: les nouvelles à
la main, après avoir prodigué les derniers éloges à sa belle retraite,
avaient attribué sa défaite et sa mort à la supériorité des ennemis,
qui, disaient-elles, s'étaient trouvés six contre un. Tout le Congo
avait plaint un homme qui avait si bien fait son devoir. Sa femme avait
obtenu une pension: on avait accordé son régiment à son fils aîné, et
l'on promettait un bénéfice au cadet.

Que d'horreurs! s'écria tout bas Mangogul; un époux déshonoré, l'état
trahi, des citoyens sacrifiés, ces forfaits ignorés, récompensés même
comme des vertus, et tout cela à propos d'un bijou!

Le bijou de Thélis, qui s'était interrompu pour reprendre haleine,
continua: «Me voilà donc abandonné à la discrétion de l'ennemi. Un
régiment de dragons était prêt à fondre sur nous. Thélis en parut
éplorée, et ne souhaita rien tant; mais les charmes de la proie semèrent
la discorde entre les prédateurs. On tira les cimeterres et trente à
quarante hommes furent massacrés en un clin d'oeil. Le bruit de ce
désordre parvint jusqu'à l'officier général. Il accourut, calma ces
furieux, et nous mit en séquestre sous une tente, où nous n'avions pas
eu le temps de nous reconnaître, qu'il vint solliciter le prix de ses
services. «Malheur aux vaincus!» s'écria Thélis en se renversant sur un
lit; et toute la nuit fut employée à ressentir son infortune.

«Nous nous trouvâmes le lendemain sur le rivage du Niger. Une saïque
nous y attendait, et nous partîmes, ma maîtresse et moi, pour être
présentés à l'empereur de Benin. Dans ce voyage de vingt-quatre heures,
le capitaine du bâtiment s'offrit à Thélis, fut accepté, et je connus
par expérience que le service de mer était infiniment plus vif que celui
de terre. Nous vîmes l'empereur de Benin; il était jeune, ardent,
voluptueux: Thélis fit encore sa conquête; mais celles de son mari
l'effrayèrent. Il demanda la paix, et il ne lui en coûta, pour
l'obtenir, que trois provinces et ma rançon.

«Autres temps, autres fatigues. Sambuco apprit, je ne sais comment, la
raison des malheurs de la campagne précédente; et pendant celle-ci, il
me mit en dépôt sur la frontière chez un chef de bramines, de ses amis.
L'homme saint ne se défendit guère; il succomba aux agaceries de Thélis,
et en moins de six mois, j'engloutis ses revenus immenses, trois étangs
et deux bois de haute futaie.»

-Miséricorde! s'écria Mangogul, trois étangs et deux bois! quel appétit
pour un bijou!

«C'est une bagatelle, reprit celui-ci. La paix se fit, et Thélis suivit
son époux en ambassade au Monomotapa. Elle jouait et perdait fort bien
cent mille sequins en un jour, que je regagnais en une heure. Un
ministre, dont les affaires de son maître ne remplissaient pas tous les
moments, me tomba sous la dent, et je lui dévorai en trois ou quatre
mois une fort belle terre, le château tout meublé, le parc, un équipage
avec les petits chevaux pies. Une faveur de quatre minutes, mais bien
filée, nous valait des fêtes, des présents, des pierreries, et l'aveugle
ou politique Sambuco ne nous tracassait point.

«Je ne mettrai point en ligne de compte, ajouta le bijou, les
marquisats, les comtés, les titres, les armoiries, etc., qui se sont
éclipsés devant moi. Adressez-vous à mon secrétaire, qui vous dira ce
qu'ils sont devenus. J'ai fort écorné le domaine du Biafara, et je
possède une province entière du Béléguanze. Erguebzed me proposa sur la
fin de ses jours...» A ces mots, Mangogul retourna sa bague, et fit
taire le gouffre; il respectait la mémoire de son père, et ne voulut
rien entendre qui pût ternir dans son esprit l'éclat des grandes
qualités qu'il lui reconnaissait.

De retour dans son sérail, il entretint la favorite des vaporeuses, et
de l'essai de son anneau sur Thélis. «Vous admettez, lui dit-il, cette
femme à votre familiarité; mais vous ne la connaissez pas apparemment
aussi bien que moi.

-Je vous entends, seigneur, répondit la sultane. Son bijou vous aura
sottement conté ses aventures avec le général Micokof, l'émir Féridour,
le sénateur Marsupha, et le grand bramine Ramadanutio. Eh! qui ne sait
qu'elle soutient le jeune Alamir, et que le vieux Sambuco, qui ne dit
rien, en est aussi bien informé que vous!

-Vous n'y êtes pas, reprit Mangogul. Je viens de faire rendre gorge à
son bijou.

-Vous avait-il enlevé quelque chose? répondit Mirzoza.

-Non pas à moi, dit le sultan, mais bien à mes sujets, aux grands de
mon empire, aux potentats mes voisins: des terres, des provinces, des
châteaux, des étangs, des bois, des diamants, des équipages, avec les
petits chevaux pies.

-Sans compter, seigneur, ajouta Mirzoza, la réputation et les vertus.
Je ne sais quel avantage vous apportera votre bague; mais plus vous en
multipliez les essais, plus mon sexe me devient odieux: celles même à
qui je croyais devoir quelque considération n'en sont pas exceptées. Je
suis contre elles d'une humeur à laquelle je demande à Votre Hautesse de
m'abandonner pour quelques moments.»

Mangogul, qui connaissait la favorite pour ennemie de toute contrainte,
lui baisa trois fois l'oreille droite, et se retira.




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Denis Diderot. (1713-1784) CHAPITRE XXIV. NEUVIÈME ESSAI DE L'ANNEAU. DES CHOSES PERDUES ET RETROUVÉES.
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