LETTRE XXX.
de Fani, jeune personne au service de Sidley,
au comte.
monsieur le comte,
je vous écris en fondant en larmes; ma maîtresse,
ma chere maîtresse, cette femme adorable,
pour qui je donnerois ma vie, pour qui
je la donnerois avec joie, eh bien, depuis quelques
jours elle est tombée dans une mélancolie
si profonde, qu'elle ne me parle plus et n'attache
sur moi que des yeux distraits, où roulent
des pleurs qu'elle veut cacher. Je ne puis deviner
la cause de cet état; mais vous, monsieur
le comte, mais vous... est-il possible que
vous ne la connoissiez pas? Ce n'est que par
vous que ladi peut avoir du chagrin ou du
bonheur. Vous êtes tout pour elle, et elle mourroit
de désespoir, si elle n'étoit pas tout pour
vous. Il faut que je soulage mon coeur: je ne
puis rien dissimuler, et j'ai besoin de vous dire
tout ce qui l'oppresse. Cette nuit, une heure
après qu'elle s'étoit couchée, elle s'est levée sans
m'appeller, est descendue seule dans le jardin,
et s'y est promenée à grands pas jusqu'à la
pointe du jour. Je l'ai suivie des yeux à la clarté
de la lune, qui me laissoit distinguer ses mouvemens:
elle étoit pâle, échevelée; il lui échappoit
des soupirs entrecoupés de quelques mots:
elle prononçoit votre nom, et son trouble
augmentoit. Enfin, elle a rentré; elle a tiré de
son secretaire vos lettres et votre portrait: ses
larmes alors ont coulé en abondance. Elle s'est
penchée sur son lit, et est restée dans cette attitude
jusqu'à l'heure à laquelle j'ai coutume
d'entrer dans son appartement. Mes yeux étoient
rouges et gonflés... j'avois tant pleuré!...
elle s'en apperçut, sourit, et voulut me dire
quelques paroles qui expirerent sur ses levres.
Elle me fixa avec bonté, me prit la main, et me
pria de me retirer. Ah! Monsieur le comte,
qu'avez-vous fait? Quelle femme vous affligez!
Venez tomber à ses genoux, venez essuyer ses
pleurs, venez rendre la vie au coeur que vous
désespérez; consolez ladi, ou je vous croirai
le plus barbare des hommes.