ACTE 3 SCENE 1
Le théâtre représente une forêt hérissée de
rochers ; dans le fond, une caverne, auprès
de laquelle est un vieux chêne. Il est nuit.
le temps est disposé à un orage épouvantable.
Edgard, Lénox, un principal conjuré,
une partie des conjurés ou soldats d' Edgard.
Edgard.
Aux conjurés montrant Lénox.
Amis, oui, ce guerrier, c' est Lénox, c' est mon frère ;
Il aspire au bonheur de venger l' Angleterre.
Le sang l' unit à moi, l' honneur l' unit à vous,
Et son bras s' applaudit de combattre avec nous.
Je vous l' avais prédit : Oswald vient de paraître ;
Il n' a qu' un seul moment entretenu son maître :
Le tyran l'a soudain chargé d' ordres secrets ;
Et c' est vous dire assez qu' il dicta des forfaits.
Mais n' admirez-vous point comment, parmi ces roches,
Ces forêts, ces torrens, nous cachant ses approches,
Cornouailles lui-même est venu nous chercher ?
Amis, le péril presse ; il est temps d' y marcher.
Ah ! Qui n' avouerait pas notre juste furie ?
Nous perdons un tyran, nous sauvons la patrie ;
Nous replaçons au trône un prince infortuné,
Qu' à des pleurs dès long-temps sa fille a condamné.
Le Principal Conjuré.
Quel destin pour un roi, quel tourment pour un père !
Edgard.
Ce n' est point ce tourment qui seul le désespère.
Le Principal Conjuré.
Helmonde est trop vengée.
Edgard.
Hélas ! Sur ses malheurs
Helmonde est la première à répandre des pleurs !
Mais il est temps, amis, d' éclaircir ce mystère.
C' est moi qui dans ces bois, respectant sa misère,
L' ai confiée aux soins d' un vieillard ignoré
Qui cherche en vain le nom d' un objet si sacré.
Je n' ai point jusqu' ici voulu vous parler d' elle.
L' amour seul du pays enflamma votre zèle.
Mais ses pleurs, je l' avoue, avaient mis dans mon sein
Et le germe et l' ardeur de mon noble dessein :
Enfin c' est elle ici dont le voeu nous rassemble.
Il n' a point fallu d' art pour nous unir ensemble :
Nous nous cherchions l' un l' autre ; et ce concert si grand
Est un présage heureux de la mort d' un tyran.
Ces forêts, cette nuit, ce ciel, tout nous seconde.
Nous combattrons. Pour qui ? Pour Léar, pour Helmonde.
Est-il quelqu' un de nous qui dans un tel danger
Ne croie avoir son père ou sa soeur à venger?
Grands dieux ! En ce moment Léar verse des larmes.
Défendez votre cause, en protégeant nos armes!
Nos jeunes coeurs sont purs ; nos bras vous sont soumis :
Daignez les employer contre vos ennemis!
C' est vous, c' est un vieillard, la bonté, qu' on opprime.
Le fer est préparé ; livrez-nous la victime :
Et, s' il nous faut mourir, que nos pères jaloux
Gravent sur nos tombeaux : ils sont dignes de nous.
Le Principal Conjuré.
Entre ses mains, amis, jurons d' être fidèle.
Edgard.
Suspendez ces sermens et ces marques de zèle.
Une autre a seule ici droit de les recevoir :
Cette autre, c' est Helmonde, et vous allez la voir.
Je m' en vais à l' instant vous la chercher moi-même.
Il court au fond de la caverne.