ACTE 3 SCENE 7
Léar, le comte de Kent, Norclète.
Norclète.
Qui s' approche ?
Le Comte.
C' est nous :
Errans dans ces forêts, nous cherchons un asile.
Norclète.
Cet humble souterrain vous offre un toit tranquille.
Poursuivrait-on vos jours ?
Léar.
Quoi ! Tu ne le sais pas !
On ne voit plus par-tout que des enfans ingrats.
Norclète.
Ils n' ont que trop souvent désolé les familles.
Léar, avec un égarement doux et paisible.
Aurais-tu donc aussi donné tout à tes filles ?
Norclète.
À ma vieillesse au moins cet abri fut laissé.
Léar.
Tes enfans, mon ami, ne t' ont donc pas chassé ?
Norclète.
La mort depuis long-temps en a privé Norclète.
Léar.
Que je te trouve heureux d' avoir une retraite !
Norclète, avec une compassion tendre.
Son sort me fait pitié.
Léar.
Sais-tu pourquoi les airs
Sont émus par les vents, rougis par les éclairs,
Pourquoi des monts au loin tu vois fumer la cime!
Norclète.
Non.
Léar, avec un air de confidence et de mystère.
Viens, approche-toi. J' ai commis un grand crime...
Tu recules, ami ! Je n' en murmure pas.
Norclète.
Ciel ! Qu' avez-vous donc fait?
Léar, avec un attendrissement douloureux.
j'eus une fille, hélas ! ...
Prenant tout-à-coup un visage riant, et comme se
souvenant de très loin et avec effort.
Oh ! Oui, je m' en souviens ! Elle était jeune et belle.
Le Comte, montrant Léar, qui tombe tout-à-coup
dans une espèce d' insensibilité et d' anéantissement.
Il ne nous entend plus.
Norclète, au comte.
ah ! Dites, que fait-elle ?
Le Comte.
Hélas ! Nous l' ignorons.
Norclète.
Avait-elle un époux ?
Le Comte.
Pourquoi, vieillard, pourquoi me le demandez-vous ?
Norclète.
C' est qu' ici, dans le fond de ma caverne obscure,
Respire auprès de moi la vertu la plus pure.
Le Comte.
Qui ? Parle.
Norclète.
Une beauté qui, douce, et sans témoins,
Prodigue à mes vieux ans sa tendresse et ses soins.
Le Comte.
Sa naissance?
Norclète.
à ses moeurs, à son voile champêtre,
Je crois que dans ces bois le destin l'a fait naître.
Le Comte.
As-tu lu dans son coeur ses secrets sentimens ?
Norclète.
Son coeur avec effort renferme ses tourmens.
Elle dit quelquefois : ô mon père ! ô mon père !
Le Comte, en regardant Léar.
Achève, achève, ô ciel ! Et finis sa misère.
À Norclète.
Qui l' a mise en tes mains?
Norclète.
Un jeune homme.
Le Comte.
Son nom ?
Norclète.
Edgard.
Le Comte.
Mon fils ! Qu' il vienne.
Norclète va promptement les chercher.
À Léar.
ah ! Reprends ta raison.
Réveille-toi, Léar. Dieux ! Veillez sur mon maître.
Qu' il résiste à sa joie !