ACTE 4 SCENE 1
Le théâtre est le même qu' au troisième acte.
Le comte de Kent, Edgard.
Le Comte.
Oui, je l'avoue, Edgard, une cause si belle
Avait droit d' enflammer ton courage et ton zèle ;
J' approuve avec transport tes desseins généreux :
Tous nos efforts, mon fils, sont dus aux malheureux.
Dis-moi, que fait ton frère ?
Edgard.
Il anime, il seconde
Les vengeurs vertueux de Léar et d'Helmonde.
Mais les momens sont chers. Je connais les chemins :
Remettons et la fille et le père en leurs mains.
Je pars ; et, ramenant une vaillante élite,
Aussitôt vers mon camp j' assure leur conduite.
Quel sera le transport, l' espoir de nos héros,
En les voyant tous deux marcher sous nos drapeaux !
Tout enfin du succès semble m' offrir l' augure ;
Des citoyens ligués au nom de la nature,
Un vieillard devant eux exposant sa douleur,
La majesté des ans, du trône, du malheur.
Oui, vers mon camp les dieux, ces dieux que j' en dois croire,
Déja pour le venger appellent la victoire.
Quand viendra le moment de voler aux combats !
Le Comte.
Mais comment dès ce jour l' emmener sur tes pas ?
Comment charger son front du poids de la couronne,
Si pour jamais, mon fils, sa raison l' abandonne,
S' il traîne dans la honte un sceptre humilié,
Vil spectacle à-la-fois d' opprobre et de pitié ?
Edgard.
Ne désespérons point. Dans ce coeur trop sensible
L' orage s' est calmé par un éclat terrible.
La douceur du repos, par ses charmes puissans,
Vient enfin, sous nos yeux, d' enchaîner tous ses sens.
Qui sait si le sommeil, qui déja dans ses veines
Fait couler sa fraîcheur et l' oubli de ses peines,
Ce sommeil qui, calmant les plus fougueux transports,
Assoupit tout dans l' homme, excepté le remords,
Ne rallumera point cette céleste flamme
Que des enfans ingrats ont éteinte en son ame ?
Car son égarement n' est pas le triste fruit
D' un corps trop épuisé que l' âge enfin détruit ;
C' est l' effet d' une plaie et profonde et cruelle
Que creusa dans son sein la douleur paternelle.
Je ne me trompe point, oui, j' ai vu dans ses traits
Briller quelques rayons de bonheur et de paix.