DIALOGUE 8
Romulus et Rémus.
La grandeur où on ne parvient que par le crime ne
sauroit donner ni gloire ni bonheur solide.
Rémus.
Enfin vous voilà, mon frère, au même état
que moi ; cela ne valoit pas la peine de me
faire mourir. Quelques années où vous avez
régné seul sont finies, il n' en reste rien ; et
vous les auriez passées plus doucement, si
vous aviez vécu en paix, partageant l' autorité
avec moi.
Romulus.
Si j' avois eu cette modération, je n' aurois
ni fondé la puissante ville que j' ai établie, ni
fait les conquêtes qui m' ont immortalisé.
Rémus.
Il valoit mieux être moins puissant et être
plus juste et plus vertueux : je m' en rapporte
à Minos et à ses deux collègues qui vont vous
juger.
Romulus.
Cela est bien dur. Sur la terre personne
n' eût osé me juger.
Mon sang, dans lequel vous avez trempé vos
mains, fera votre condamnation ici-bas, et
noircira à jamais votre réputation sur la terre.
Vous vouliez de l' autorité et de la gloire.
Rémus. (???)
L' autorité n' a fait que passer dans vos mains ; elle
vous a échappé comme un songe. Pour la
gloire, vous ne l' aurez jamais. Avant que d' être
grand homme, il faut être honnête homme ;
et l' on doit s' éloigner des crimes indignes des
hommes, avant que d' aspirer aux vertus des
dieux. Vous aviez l' inhumanité d' un monstre,
et vous prétendiez être un héros !
Romulus.
Vous ne m' auriez pas parlé de la sorte
impunément, quand nous tracions notre ville.
Rémus.
Il est vrai : je ne l' ai que trop senti. Mais
d' où vient que vous êtes descendu ici ? On
disoit que vous étiez devenu immortel.
Romulus.
Mon peuple a été assez sot pour le croire.