PLUME DE POÉSIES
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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 56

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François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 56 Empty
MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 56   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 56 Icon_minitimeMar 29 Jan - 10:01

DIALOGUE 56
Louis XI Et Le Cardinal De La Balue.
Un méchant prince rend ses sujets traîtres et
infidèles.
Louis XI.
Comment osez-vous, scélérat, vous présenter
devant moi après toutes vos trahisons ?
Le C. De La Balue.
Où voulez-vous donc que je m' aille cacher ?
Ne suis-je pas assez caché dans la foule des
ombres ? Nous sommes tous égaux ici-bas.
Louis XI.
C' est bien à vous à parler ainsi, vous qui
n' étiez que le fils d' un meunier de Verdun !
Le C. De La Balue.
Hé ! C' étoit un mérite auprès de vous que
d' être de basse condition : votre compère le
prévôt Tristan, votre médecin Coctier, votre
barbier Olivier Le Diable, étoient vos favoris
et vos ministres. Janfredy, avant moi, avoit
obtenu la pourpre par votre faveur. Ma naissance
valoit à peu près celle de ces gens-là.
Louis XI.
Aucun d' eux n' a fait des trahisons aussi
noires que toi.
Le C. De La Balue.
Je n' en crois rien. S' ils n' avoient pas été de
malhonnêtes gens, vous ne les auriez ni bien
traités ni employés.
Louis XI.
Pourquoi voulez-vous que je ne les aie pas
choisis pour leur mérite ?
Le C. De La Balue.
Parceque le mérite vous étoit toujours suspect
et odieux ; parceque la vertu vous faisoit
peur, et que vous n' en saviez faire aucun
usage ; parceque vous ne vouliez vous servir
que d' ames basses et prêtes à entrer dans vos
intrigues, dans vos tromperies, dans vos
cruautés. Un honnête homme qui auroit eu
horreur de tromper et de faire du mal ne
vous auroit été bon à rien, à vous qui ne
vouliez que tromper et nuire pour contenter votre
ambition sans bornes. Puisqu' il faut parler
franchement dans le pays de vérité, j' avoue
que j' ai été un malhonnête homme : mais
c' étoit par là que vous m' aviez préféré à
d' autres. Ne vous ai-je pas bien servi avec adresse
pour jouer les grands et les peuples ? Avez-vous
trouvé un fourbe plus souple que moi pour tous
les personnages ?
Louis XI.
Il est vrai : mais en trompant les autres pour
m' obéir, il ne falloit pas me tromper moi-même :
vous étiez d' intelligence avec le pape pour me
faire abolir la pragmatique, sans consulter si
cela s' accordoit avec les véritables intérêts de la
France.
Le C. De La Balue.
Hé ! Vous étiez-vous jamais soucié ni de la
France, ni de ses véritables intérêts ? Vous
n' avez jamais regardé que les vôtres ; vous
vouliez tirer parti du pape. Je n' ai fait que vous
servir à votre mode.
Louis XI.
Mais c' est vous qui me portiez à ne compter
pour rien tout ce qui n' étoit pas mon intérêt
présent, sans m' embarrasser de celui de ma
couronne même, à laquelle étoit attachée ma
véritable grandeur.
Le C. De La Balue.
Point : je voulois que vous vendissiez chèrement
cette pancarte crasseuse à la cour de
Rome. Mais allons plus loin. Quand même je
vous aurois trompé, qu' auriez-vous à me dire ?
Louis XI.
Comment ! à vous dire ? Je vous trouve bien
plaisant. Si nous étions encore vivants, je vous
remettrois bien en cage.
Le C. De La Balue.
Ho ! J' y ai assez demeuré. Si vous me fâchez,
je ne dirai plus mot. Savez-vous que je ne
crains guère les mauvaises humeurs d' une
ombre de roi ? Quoi donc ! Vous croyez être
encore au Plessis-Lès-Tours avec vos assassins !
Louis XI.
Non, je sais que je n' y suis pas, et bien vous
en vaut. Mais enfin je veux bien vous entendre
pour la rareté du fait. çà, prouvez-moi par
vives raisons que vous avez dû trahir votre
maître.
Le C. De La Balue.
Ce paradoxe vous surprend : mais je m' en
vais vous le vérifier à la lettre.
Louis XI.
Voyons ce qu' il va dire.
Le C. De La Balue.
N' est-il pas vrai qu' un pauvre fils de meunier,
qui n' a jamais eu d' autre éducation que la
cour d' un grand roi, a dû suivre les maXImes
qui passoient pour les plus utiles et pour
les meilleures d' un commun consentement ?
Louis XI.
Ce que vous dites a quelque vraisemblance.
Mais répondez oui ou non sans vous fâcher.
Louis XI.
Je n' ose nier une chose qui paroît si bien
fondée, ni avouer ce qui peut m' embarrasser
par ses conséquences.
Le C. De La Balue.
Je vois bien qu' il faut que je prenne votre
silence pour un aveu forcé. La maXIme fondamentale
de tous vos conseils, que vous avez
répandue dans toute votre cour, étoit de faire
tout pour vous seul. Vous ne comptiez pour
rien les princes de votre sang, ni la reine, que
vous teniez captive et éloignée, ni le dauphin,
que vous éleviez dans l' ignorance et en prison,
ni le royaume, que vous désoliez par votre
politique dure et cruelle, aux intérêts duquel
vous préfériez sans cesse la jalousie pour
l' autorité tyrannique ; vous ne comptiez même
pour rien les favoris et les ministres les plus
affidés, dont vous vous serviez pour tromper
les autres. Vous n' en avez jamais aimé aucun,
et ne vous êtes jamais confié à aucun d' eux
que pour le besoin : vous cherchiez à les tromper
à leur tour, comme le reste des hommes ;
vous étiez prêt à les sacrifier sur le moindre
ombrage, ou pour la moindre utilité. On n' avoit
jamais un seul moment d' assuré avec vous : vous
vous jouiez de la vie des hommes. Vous n' aimiez
personne : qui vouliez-vous qui vous aimât ? Vous
vouliez tromper tout le monde : qui vouliez-vous qui
se livrât à vous de bonne foi, de bonne amitié, et
sans intérêt ? Cette fidélité désintéressée, où
l' aurions-nous apprise ? La méritiez-vous ?
L' espériez-vous ? La pouvoit-on pratiquer auprès de
vous et dans votre cour ? Auroit-on pu durer huit
jours chez vous avec un coeur droit et sincère ?
N' étoit-on pas forcé d' être un fripon dès qu' on
vous approchoit ? N' étoit-on pas déclaré scélérat
dès qu' on parvenoit à votre faveur, puisqu' on n' y
parvenoit jamais que par la scélératesse ? Ne
deviez-vous pas le tenir pour dit ? Si on
avoit voulu conserver quelque honneur et
quelque conscience, on se seroit bien gardé
d' être connu de vous : on seroit allé au bout
du monde plutôt que de vivre à votre service.
Dès qu' on est fripon, on l' est pour tout le
monde. Voudriez-vous qu' une ame que vous
avez gangrenée, et à qui vous n' avez inspiré
que la scélératesse pour tout le genre humain,
n' ait jamais que vertu pure et sans tache, que
fidélité désintéressée et héroïque pour vous
seul ? étiez-vous assez dupe pour le penser ?
Ne comptiez-vous pas que tous les hommes
seroient pour vous comme vous pour eux ?
Quand même on auroit été bon et sincère pour
tous les autres hommes, on auroit été forcé de
devenir faux et méchant à votre égard en vous
trahissant. Je n' ai donc fait que suivre vos
leçons, que marcher sur vos traces, que vous
rendre ce que vous donniez tous les jours, que
faire ce que vous attendiez de moi, que prendre
pour le principe de ma conduite le principe que vous
regardiez comme le seul qui doit animer tous les
hommes. Vous auriez méprisé un homme qui auroit
connu d' autre intérêt que le sien propre. Je n' ai pas
voulu mériter votre mépris ; et j' ai mieux aimé vous
tromper, que d' être un sot selon vos principes.
Louis XI.
J' avoue que votre raisonnement me presse
et m' incommode. Mais pourquoi vous entendre
avec mon frère le Duc De Guienne, et
avec le Duc De Bourgogne, mon plus cruel
ennemi ?
Le C. De La Balue.
C' est parcequ' ils étoient vos plus dangereux
ennemis que je me liai avec eux, pour avoir
une ressource contre vous, si votre jalousie
ombrageuse vous portoit à me perdre. Je savois
que vous compteriez sur mes trahisons,
et que vous pourriez les croire sans fondement :
j' aimois mieux vous trahir pour me sauver de
vos mains, que périr dans vos mains sur des
soupçons sans vous avoir trahi. Enfin j' étois
bien aise, selon vos maXImes, de me faire valoir
dans les deux partis, et de tirer de vous
dans l' embarras des affaires la récompense de
mes services, que vous ne m' auriez jamais
accordée de bonne grace dans un temps de paix.
Voilà ce que doit attendre de ses ministres un
prince ingrat, défiant, trompeur, qui n' aime
que lui.
Louis XI.
Mais voici tout de même ce que doit attendre
un traître qui vend son roi : on ne le fait
pas mourir quand il est cardinal ; mais on le
tient onze ans en prison, on le dépouille de
ses trésors.
Le C. De La Balue.
J' avoue que mon unique faute fut de ne
vous tromper pas avec assez de précaution, et
de laisser intercepter mes lettres. Remettez-moi
encore dans l' occasion, je vous tromperai
encore selon vos mérites : mais je vous
tromperai plus subtilement, de peur d' être
découvert.



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