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 François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 15

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MessageSujet: François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 15   François Fénelon. (1651-1715) DIALOGUE 15 Icon_minitimeDim 27 Jan - 1:24

DIALOGUE 15

Hérodote et Lucien.
Une trop grande crédulité est un excès à éviter :
mais celui de l' incrédulité est bien plus
funeste.

Hérodote.
Ah ! Bonjour, mon ami. Tu n' as plus envie
de rire, toi qui as fait discourir tant d' hommes
célèbres en leur faisant passer la barque de
Caron. Te voilà donc descendu à ton tour sur
les bords du Styx ! Tu avois raison de te jouer
des tyrans, des flatteurs, des scélérats : mais
de moi !

Lucien.
Quand est-ce que je m' en suis moqué ? Tu
cherches querelle.

Hérodote.
Dans ton histoire véritable, et ailleurs, tu
prends mes relations pour des fables.

Lucien.
Avois-je tort ? Combien as-tu avancé de
choses sur la parole des prêtres et des autres
gens qui veulent toujours du mystère et du
merveilleux !

Hérodote. (????)
Impie ! Tu ne croyois pas la religion.

Lucien.
Il falloit une religion plus pure et plus
sérieuse que celle de Jupiter et de Vénus, de
Mars, d' Apollon, et des autres dieux, pour
persuader les gens de bon sens. Tant pis pour
toi de l' avoir crue.

Hérodote. (????)
Mais tu ne méprisois pas moins la philosophie.
Rien n' étoit sacré pour toi.

Lucien.
Je méprisois les dieux, parceque les poëtes
nous les dépeignoient comme les plus
mal-honnêtes gens du monde. Pour les philosophes,
ils faisoient semblant de n' estimer que la vertu,
et ils étoient pleins de vices. S' ils eussent été
philosophes de bonne foi, je les aurois respectés.

Hérodote.
Et Socrate, comment l' as-tu traité ? Est-ce
sa faute, ou la tienne ? Parle.

Lucien.
Il est vrai que j' ai badiné sur les choses dont
on l' accusoit ; mais je ne l' ai pas condamné
sérieusement.

Hérodote.
Faut-il se jouer aux dépens d' un si grand
homme sur des calomnies grossières ? Mais,
dis la vérité, tu ne songeois qu' à rire, qu' à te
moquer de tout, qu' à montrer du ridicule en
chaque chose, sans te mettre en peine d' en
établir aucune solidement.

Lucien.
Hé ! N' ai-je pas gourmandé les vices ? N' ai-je
pas foudroyé les grands qui abusent de leur
grandeur ? N' ai-je pas élevé jusqu' au ciel le
mépris des richesses et des délices ?

Hérodote.
Il est vrai, tu as bien parlé de la vertu : mais
pour blâmer les vices de tout le genre humain,
c' étoit plutôt un goût de satire, qu' un
sentiment de solide philosophie. Tu louois même
la vertu sans vouloir remonter jusqu' aux principes
de religion et de philosophie qui en sont
les vrais fondements.

Lucien.
Tu raisonnes mieux ici-bas que tu ne faisois
dans tes grands voyages. Mais accordons-nous.
Hé bien ! Je n' étois pas assez crédule, et tu
l' étois trop.

Hérodote.
Ah ! Te voilà encore toi-même, tournant
tout en plaisanterie. Ne seroit-il pas temps
que ton ombre eût un peu de gravité ?

Lucien.
Gravité ! J' en suis las, à force d' avoir vu des
hommes qui n' en avoient que les dehors. J' étois
environné de philosophes qui s' en piquoient,
sans bonne foi, sans justice, sans amitié, sans
modération, sans pudeur.

Hérodote.
Tu parles des philosophes de ton temps, qui
avoient dégénéré : mais...

Lucien.
Que voulois-tu donc que je fisse ? Que j' eusse
vu ceux qui étoient morts plusieurs siècles
avant ma naissance ? Je ne me souvenois point
d' avoir été au siège de Troie, comme
Pythagore. Tout le monde ne peut pas avoir été
Euphorbe.

Hérodote.
Autre moquerie. Et voilà tes réponses aux
plus solides raisonnements ! Je souhaite pour
ta punition que les dieux, que tu n' as pas
voulu croire, t' envoient dans le corps de
quelque voyageur qui aille dans tous les pays dont
j' ai raconté des choses que tu traites de
fabuleuses.

Lucien.
Après cela il ne me manqueroit plus que
de passer de corps en corps dans toutes les
sectes de philosophes que j' ai décriées : par là
je serois tour-à-tour de toutes les opinions
contraires dont je me suis moqué. Cela seroit
bien joli. Mais tu as dit des choses à peu près
aussi croyables.

Hérodote.
Va, je t' abandonne, et je me console quand
je songe que je suis avec Homère, Socrate,
Pythagore, que tu n' as pas épargnés plus que
moi ; enfin avec Platon, de qui tu as appris
l' art des dialogues, quoique tu te sois moqué
de sa philosophie.



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