Les épis du glaneur
4 septembre 1906
12 juillet 1906
Heureux celui qui va franchement dans la vie
Sans déchirer son coeur aux ronces du chemin
Heureux celui qui sait l'instant d'après l'orgie
Au jour cher d'Aujourd'hui fixer un lendemain
Quand à l'éphéméride arrachant un feuillet
Je dis encor un jour qui va grossir la source
D'un passé qui vieillit à chaque heure qui naît
Il semble que le Temps accélère sa course
Effrayé je regarde et je vois l'Avenir
Intrépide coursier qu'on ne peut retenir
Emporter de mes jours la dernière ressource
L'Espérance fragile et l'heureux souvenir
13 juillet 1906
Ne relisez jamais une lettre où l'auteur
Cherche à vous préparer à la dure souffrance
Que vous éprouverez en voyant l'Espérance
Soutenir en tremblant vos faiblesses de coeur
N'écoutez pas le Rêve il cache dans sa flamme
L'amertume tragique et le grand désespoir
Et par lui vous verrez les reflets de l'âme
Briller d'un feu cruel dans l'ombre d'un beau soir
Gravissez lentement la montagne du Temps
Sa pente est dangereuse et sa route glissante
Et quand vous regardez l'horizon qui vous tente
Fermez à vos désirs ses tableaux ravissants
Dans sa réalité la Vie est effrayante
Quand on la voit de près ses défauts sont plus grands
16 juillet 1906
Ah ! Combien le plaisir est chose fugitive
Aujourd'hui comme un rêve il passe dans nos coeurs
Sa caresse est cruelle et sa gaieté chétive
Le lendemain sommeille au sein de nos douleurs
Que de désirs semés dans le champ de la Vie
Et combien la moisson est faible en notre coeur
L'homme est né pour pleurer le bonheur qu'il envie
Les larmes aux regrets donnent plus de valeur
Mortels éloignez-vous de l'amante perfide
Qui s'offre à votre amour, vous parle de plaisir
Chaque heure où vous riez est chaque heure où le vide
Se creuse plus profond l'instant du souvenir
Gardez vous de prier les lois de l'Existence
Laissez passer les jours et glanez les épis
Que le bonheur prodigue à toute jouissance
Mais n'abusez jamais de sa réjouissance
Un souffle de gaieté soulève mille ennuis
Ô ne cherchez jamais l'oubli de vos douleurs
Dans le concert joyeux des plaisirs d'un beau songe
Le rêve sous son aile a caché le mensonge
Et souvent sa gaieté nous fait verser des pleurs
17 juillet 1906
N'ouvrez pas votre coeur à l'amour imprévu
L'Instant où votre lèvre a goûté sa caresse
Est l'instant où le rêve après avoir vécu
Expire lentement au sein de la tristesse
19 juillet 1906
Ne regardez jamais d'un oeil indifférent
Le malheureux qui passe entraînant sa misère
Sous la loque, parfois une existence chère
Sait cacher sa valeur au mauvais jugement
Ne regardez jamais dans l'ombre de la nuit
Si vous ne voulez pas entrevoir la Misère
Signer votre malheur d'une plume adultère
Et l'Amour protéger le plaisir qui s'enfuit.
N'allez pas d'une joie égayer votre vie
L'heure passe rapide et le rêve expirant
Aux yeux désabusés se fait plus effrayant
Surtout quand il est né des germes de l'Envie.
20 juillet 1906
Mortels ne croyez pas dans le jour de demain
Trouver un terme heureux à vos grandes souffrances
Mille obstacles dressés partout sur le chemin
Vous feront trébucher vous et vos espérances ;
N'enviez pas le sort de ces gens fortunés
Qui par leur élégance abaissent la misère
Leur corps comme le notre est un grain de poussière
A la mort comme nous Dieu les a condamnés
Voulez-vous vivre heureux dans les jours à venir
Reprenez le chemin des ivresses passées
Que ne voyez-vous pas ? L'ombre d'un souvenir
Des rêves expirants des amours délaissées
Le livre de la Vie aux pages déchirées
Alors vous raisonnez. Qu'il est fou de souffrir
Et des jours bienheureux sacrifier le plaisir
Puisqu'il en est ainsi des heures expirées.
21 juillet 1906
Que sommes-nous mortels, un souffle une chimère
Que le zéphyr emporte au caprice du sort
Aujourd'hui nous vivons et demain ô mystère
Notre lèvre glacée embrassera la Mort.
Ne calculez jamais les plaisirs de la Vie
Jouissez du bonheur qu'ils savent prodiguer
Leur chimère est fragile et l'extase ravie
Sait assombrir les jours qu'il nous faut regretter
23 juillet 1906
Le lendemain d'un jour où les yeux ont pleuré
La vie est transformée et semble moins cruelle
Le lendemain d'un jour où nous avons aimé
La Mort est à nos yeux l'amante la plus belle
Ne vous arrêtez pas aux potins de la rue
Que votre coeur vous guide au sein noir de la Nuit
Quand la foule chicane elle fait trop de bruit
Si bien que la Raison ne peut être entendue
Laissez dire aux gens dont la vertu peureuse
S'offusque au moindre mot au calembour grivois
Souvent de leur morale un peu trop scrupuleuse
Leur esprit sait tirer de bien fragiles lois.
2 septembre 1906
Ainsi tout passe et meurt tout ici-bas s'efface
Chaque jour a sa nuit chaque heure son trépas
L'amour fuit et bientôt aisément se remplace
Mais dans les coeurs bien nés l'amitié ne meurt pas.
Aimer est un mal dont on aime souffrir.
Honoré HARMAND