Les douleurs du poète vERSION 1905
1er novembre 1905
Souvent dans le silence où se berce mes rêves
Quand mon grand désespoir me parle du passé
Je pleure les beaux jours aux chimères si brèves
Qui passent ici-bas comme un songe effacé
Je pleure et les échos de la forêt profonde
Répètent les secrets de mes grandes douleurs
Comme l'écho troublé des murmures de l'onde
Chante du nautonier les joyeuses clameurs
Ces échos du passé que j'aime les entendre
Ils sont les voix du monde qui vient de s'achever
Mais pourquoi les ravir est-ce pour nous les rendre
Quand nos coeurs en souffrant ont su les regretter
Répondez-nous, abîmes qui figurez la vie
Et toi sombre forêt où je viens méditer
Quand tous nos souvenirs chantent leur agonie
Le bonheur d'ici-bas cesse-t-il d'exister ?
Ou bien chaque chimère enfantée dans un rêve
Enfante-t-elle aussi une douce chimère
Et le bonheur qui passe aussitôt qu'il s'achève
Est-il suivi d'un rêve au bonheur éphémère ?
Quoi, je vous interroge et mon coeur me répond
Dans cette vie hélas quand les joies disparaissent
Les mortels entrevoient un abîme profond
Où meurent lentement les rêves qu'ils caressent
Un linceul qui s'agite sous leurs yeux pleins de larmes
Est l'image des jours qu'il leur faut accepter
L'homme désespéré n'a plus que des alarmes
Et de grandes douleurs qu'il ne peut partager
Ah, je comprends pourquoi chaque heure de la vie
N'est plus ce qu'elle était dans les jours du passé
Des années disparues, une caresse ravie
Et dans mon coeur meurtri hélas tout est changé
Les fleurs se sont fanées sous ma lourde caresse
Et les lèvres aimées qui me parlaient d'amour
Se sont tues à mon coeur et ma sombre détresse
N'est plus qu'un mal affreux qui grandit chaque jour
Les cloches dont j'aimais la sauvage harmonie
De leurs chants de gaieté ne troublent plus les airs
Elles chantent toujours mais c'est mon agonie
Qu'elles mêlent moqueuses à leurs tristes concerts
Eh pourquoi ces regrets que m'importe le monde
Je ne demande rien, plaisirs disparaissez
De toutes vos chimères la source est trop profonde
La nature me reste et pour moi c'est assez
Elle suffit aux âmes qui savent la comprendre
Elle sait consoler le coeur des affligés
Les bienfaits qu'elle donne elle aime à les répandre
C'est une joie pour elle de les avoir donnés
Elle est la loi suprême, le grand consolateur
De ceux qui dans son sein viennent pour oublier
Et dans mon avenir où veille le malheur
Elle cache l'amour qui doit me protéger
Alors je comprendrai chaque heure de la vie
Et tout ce qu'elle était dans les jours du passé
Puis quand aura sonné mon heureuse agonie
Je m'en irai joyeux car j'aurai tout aimé.
Honoré HARMAND