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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:04 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre XI
Je n'ai encore fait jusqu'ici que des allusions bien indirectes à ma vie d'écolier, et je n'ai encore rien dit de mes maîtres d'école. Elle commença pourtant de bonne heure, ma vie d'écolier; je n'avais pas encore quatre ans. Quant à mes maîtres d'école, je renonce à les présenter tous à mes lecteurs, car ils s'appellent légion. Oui, en fait de maîtres et de maîtresses d'école, j'en ai eu de toutes les couleurs je pourrais presque dire de toutes les nations : des Anglais, des Irlandais, des Canadiens, un Français de France et un sauvage. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:07 | |
| Tout cela paraît exagéré, impossible, incroyable, n'est-ce pas? eh bien, c'est pourtant la vérité toute pâle et toute nue. Je me demande encore comment ce geôlier féroce pouvait lui-même supporter un pareil régime, sans relâcher sa surveillance. Quand il sortait pour cinq minutes, il se faisait remplacer par sa femme ou sa fille aînée, deux créatures assez compatissantes, mais qui avaient l'ordre le plus sévère de ne jamais nous adresser la parole. C'était à en devenir fou. Nous passions ainsi des journées entières, le dos courbé sur nos pupitres, et les yeux fixés sur les pages d'un livre, dont, au bout de deux heures, nous ne pouvions distinguer une lettre. Nous voyions bleu, nous avions la berlue à l'état chronique. Les idées se mêlaient, le jugement se figeait, la mémoire fichait le camp: jugez de nos progrès!
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:07 | |
| Gamache, lui, pendant ce temps-là, arpentait la pièce de long en large, en fredonnant quelque bribe de cantique entre ses dents; et si l'un de nous avait l'imprudence de risquer un coup d'oeil sur autre chose que sur son livre, en classe, ou sur son assiette, à table, clan!... Car ce que je viens de raconter n'étaient que les roses; il y avait, comme à toutes les roses, des épines. Gamache la bouche me crispe chaque fois que je prononce ce nom-là n'avait point de martinet... Bah! un simple martinet, qu'eût-il fait de cette bagatelle? Chassé les mouches tout au plus. Il avait mieux: il avait des triques, qu'il appelait des règles. Il en avait toute une collection de différentes grandeurs, en chêne, en orme, en érable. Quand l'une lui fatiguait le bras ou lui donnait des ampoules aux mains, il l'échangeait pour une autre. Il en prenait une plus étroite ou plus large, plus lourde ou plus légère, suivant le besoin. Il n'en avait jamais trop, d'ailleurs, car il en brisait souvent. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:07 | |
| Une fois il lui arriva d'en fendre une sur son propre genou, en manquant un élève qui lui avait joué le tour de retirer sa main au moment où la terrible trique s'abattait sur elle. Le pauvre petit paya pour la règle et pour le genou. Frapper quelqu'un ou quelque chose surtout quelqu'un - était passé chez cet énergumène à l'état de monomanie. Il frappait toujours, à tout propos, partout, sans relâche. Pour un rien, il vous faisait enfler les mains d'un pouce et vous faisait jaillir le sang du bout des doigts.
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:07 | |
| Les autres maîtres accrochaient leur martinet à un clou, quand ils ne s'en servaient pas: lui ne déposait jamais son arme; il l'emportait même à table, et la gardait sur ses genoux. Que voulez-vous, nous étions là, il le fallait bien! J'ai dit qu'il frappait partout; il y avait cependant une portion de nos individus où il aimait à s'exercer de préférence. C'était dans le dos; sur les reins, sur les épaules, sur les lombes, au petit bonheur; un feu roulant, une pluie, une grêle. Et cela pour une tache d'encre sur un cahier, pour une erreur, pour une hésitation, pour un coup d'oeil, pour un sourire. A cette époque, on appelait les gens de la Pointe-Lévis des « Dos-blancs »; l'appellation ne pouvait guère s'appliquer aux élèves de Gamache cependant, car du premier au dernier et d'une semaine à l'autre, nous avions tous le dos bleu. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:07 | |
| Le brutal individu ne parlait presque jamais, il frappait. Quand il ne frappait pas sur les enfants, il frappait sur les bancs, sur la table. Les roulements de tambour, les sonneries militaires, les coups de sifflet d'une machine à vapeur ont tous leur signification particulière; il en était de même des coups de trique de Gamache. Et malheur à celui qui ne comprenait pas! Ce n'était plus sur les tables ou les bancs que la terrible règle retombait. Voilà pour les coups; quant aux punitions, il me suffira d'en citer un exemple. Un dimanche la seule journée où il nous fût permis de sortir de prison me trouvant rendu à l'église quelques minutes avant l'heure, je m'arrêtai à causer un instant sur le perron de la sacristie. Ne faisant aucun mal, je ne songeais pas à me cacher: Gamache m'aperçut. A mon retour à la maison, il m'attendait sa trique à la main. La raclée me laissa plus mort que vif; et, quand elle prit fin, j'étais condamné à rester à genoux durant trois jours de suite. Au milieu de la deuxième journée, je m'affaissai sans force aux pieds de mon bourreau, qui voulut bien me faire remise de ma peine, à la condition de passer le reste de la semaine assis par terre, les jambes allongées sur le parquet. J'en serais devenu infirme si la mesure n'eût été comble. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:07 | |
| Mon frère et moi, nous complotâmes pendant la nuit; et, au moment du réveil, nous étions près pour enfiler la porte et prendre notre course, pendant que Gamache passait son pantalon. Nous courûmes près de deux milles sans prendre haleine; la peur nous donnait des ailes. Nos parents étaient venus nous voir tous les dimanches, cela va sans dire; mais, comme l'entrevue avait toujours lieu sous les yeux de Gamache ou de quelqu'un des siens, nous n'avions pu les mettre au courant de nos griefs, et l'on nous croyait les plus heureux enfants de la création... Je n'ai jamais gardé rancune à aucun des maîtres dont j'ai cru avoir à me plaindre, à l'école ou au collège. Mon Dieu, qui n'a pas quelques fautes à se faire pardonner? Mais quant à Gamache, il a toujours fait exception à la règle générale. Je n'ai jamais cherché à le revoir pour me venger; mais il ne m'aurait pas provoqué à deux fois, je vous en donne ma parole d'honneur, avant de se faire étriller à son tour, et dans les grands prix. Je ne l'ai revu qu'une seule fois, l'individu ayant émigré à la Beauce, m'a-t-on dit. Je venais, je crois, d'être élu député. C'était sur le bateau passeur entre Québec et Lévis. Il s'approcha de moi d'un air cauteleux: |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:08 | |
| -Vous êtes M. Fréchette? -Oui. -Louis? -Oui, Louis. -Je parie, dit-il, que vous ne me remettez pas. Je l'avais reconnu du premier coup d'oeil. -Vous gagneriez, lui répondis je, car je ne vous connais pas du tout. -Vraiment? Vous ne vous souvenez pas de Gamache? -Quel Gamache? J'ai entendu parler de Gamache, de l'île d'Anticosti, un mécréant qui vivait en relations intimes avec le diable; seriez-vous son fils? -Non, non! Gamache le maître d'école; vous ne vous rappelez pas... à Saint-Joseph? -En effet, dis je, attendez donc. Je me souviens avoir connu une espèce de pédagogue de ce nom-là, dans le temps: une méchante bête à fond noir, une vraie peste, un barbare, un sauvage, une brute... -Permettez! -Mais ce ne peut pas être vous, car je ne croirai jamais que vous auriez le toupet de vous en vanter. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI Mer 12 Juin - 9:08 | |
| Et je tournai les talons, laissant mon individu tout ébaubi, et pliant le dos sous les rires et les quolibets de la foule que cette petite scène avait attirée. Le malheureux doit être mort maintenant, que Dieu ait pitié de son âme! Mais si j'ai jamais place au ciel, faites, Seigneur que ce soit dans un autre quartier. En tout cas, ma petite cousine avait d'autres notions pédagogiques, et je m'en trouvais bien. Chère cousine Elodie! ce n'est pas en pédagogie seulement, et dans mon enfance, que j'eus l'occasion d'apprécier un heureux contraste entre ses procédés et ceux des autres.
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| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XI | |
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