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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV | |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| Chapitre XIV
Je crois devoir placer ici un épisode de ma vie d'enfant, qui, en dépit de ses insignifiantes proportions, a laissé une trace persistante dans mes souvenirs. Qu'on ne s'attende à rien d'héroïque; les détails en sont même assez puérils mais les personnes pieuses ou dévotes aimeront peut-être à recueillir mon témoignage en cette circonstance. Je vais tout raconter, dans la même sincérité naïve avec laquelle j'y ai joué mon rôle d'enfant. Je n'en tire aucune conclusion, car, si surprenante que soit cette histoire, je n'ai pas l'orgueil de m'imaginer que Dieu ferait un miracle ou interviendrait même providentiellement pour exaucer une prière tombée de mes lèvres. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| Voici le fait, tout simplement. Un jour d'hiver, je ne sais quelle affaire pressante appela M. et Mme Houghton à New Liverpool maintenant Saint-Romuald. Manquant de servante dans le moment, et toute la famille ne pouvant voyager dans la même voiture, on prit le parti de laisser les deux petits garçons à la maison, après avoir obtenu de ma mère, pour mon frère et pour moi, la permission d'aller passer l'après-midi avec eux. Tout ce qui est en dehors des habitudes journalières est un sujet de réjouissances pour les enfants. Nous partîmes en gaieté, et les jeux s'organisèrent d'autant plus librement que nous n'avions personne pour entraver nos ébats. En deux mots, on nous avait lâché la bride sur le cou, et nous en profitions sans scrupule. Tout à coup, interrompant une partie de bagatelle: |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| -Si nous allions manger du sucre! s'écria Bonnie. Je fais grâce au lecteur du jargon, dont nous nous servions ensemble, et dont j'ai donné une idée dans le chapitre précédent. Manger du sucre, c'était alléchant. -Allons manger du sucre! fîmes-nous avec une touchante unanimité. Dans notre canton, pour ceux qui en avaient les moyens, les provisions d'hiver s'emmagasinaient à l'avance; les uns reléguaient caisses et barils au grenier; chez M. Houghton, dont la maison était grande, on avait réservé pour cela une chambre non meublée, dans les mansardes. Il y avait là, en particulier, un minuscule mais appétissant boucaut de fine cassonade qu'il s'agissait d'aller visiter. Cette expédition ainsi proposée par l'aînée des enfants de la maison, si peu justifiable qu'elle nous eût paru en temps ordinaire, empruntait aux circonstances un caractère de légitimité qui ne la rendait à nos yeux pas trop incompatible avec nos notions d'honnêteté. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| En somme, nous étions en visite chez des amis, nous n'obéissions qu'à une invitation généreuse; et nous voilà grimpant les escaliers quatre à quatre, et nous gavant dans le baril de cassonade comme des moineaux dans un boisseau d'avoine. Jamais nous n'avions fait pareille bombance. Mais les plus belles choses ont une fin et en particulier le goût pour la cassonade. Une fois rassasiés, nous songeâmes à la retraite. Fatalité! Nous avions fermé la porte derrière nous, et nous étions prisonniers. La serrure, suivant l'expression populaire, était mêlée. Le bouton ne fonctionnait pas, et le pêne adhérait à la gâche comme une molaire dans son alvéole. Pas moyen seulement de l'ébranler. Et avec cela, pas un outil, pas un canif, pas même un clou sous la main! Nous n'avions que la ressource d'enfoncer la porte, ce qui, comme on le pense bien, n'était pas une besogne facile pour des poings, des genoux et des épaules de sept et six ans. Impossible de se le dissimuler, nous étions bien et dûment dans un cachot. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| On conçoit notre détresse: M. et Mme Houghton pouvaient revenir d'un moment à l'autre; personne n'était là pour leur ouvrir la porte; nous étions pris autant dire la main dans le sac. C'est étonnant comme la différence des situations modifie quelquefois les appréciations de la conscience. Ce petit régal, qui nous semblait si légitime un moment auparavant, se changeait tout à coup à nos yeux en un déshonorant larcin. Au lieu d'être des invités, nous nous trouvions être ni plus ni moins que des voleurs. C'était terrible. Pour mon frère et pour moi, la position était plus humiliante; mais pour nos petits amis, elle était plus responsable et aussi plus dangereuse. Leur désespoir crevait le coeur. Comment faire? Tous les efforts possibles avaient été tentés. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| À tour de rôle, et à cent reprises différentes, nous avions assailli la serrure, secoué et tourné le bouton à gauche, à droite, brusquement, doucement, en poussant, en tirant, en biaisant, vers le haut, vers le bas... Travail inutile! La sueur au front, les doigts écorchés, les poignets fourbus, nous nous regardions tous les quatre, atterrés, la mort dans l'âme. Il y avait plus d'une heure que nous nous épuisions ainsi en vains efforts, quand il me vint une idée: -Nous n'avons qu'une chose à faire, dis-je prier le bon Dieu! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:17 | |
| Nos petits amis étaient protestants, et il s'élevait quelquefois entre nous des discussions sur la valeur relative de nos différentes religions. Je trouvais la nôtre bien supérieure, naturellement; et j'éprouvais une peine réelle en songeant que de si bons petits garçons, avec des parents si respectables, pour des Anglais, étaient destinés à brûler dans l'enfer durant toute l'éternité. -N'était-il pas de mon devoir de leur ouvrir les yeux? L'occasion était bonne pour cela, et, n'ayant pas d'autre alternative, d'ailleurs, je résolus d'en profiter. -Laissez-moi prier le bon Dieu, dis je, et je saurai bien l'ouvrir, moi, la porte! Et sans m'occuper de la moue d'incrédulité qui se peignait sur la figure de mes camarades, je m'agenouillai dans un coin et me mis en prière. Oh! ma prière fut fervente, je vous l'affirme ! Quand elle fut finie, je me relevai et dis à mes camarades: |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:18 | |
| -Essayez encore une fois d'ouvrir la porte, maintenant. Et cette dernière épreuve ayant eu le même résultat que les précédentes, plein de confiance, ou plutôt sûr de moi- même en honneur et conscience je n'exagère pas d'une syllabe je mis la main sur le bouton de la porte... Et la porte s'ouvrit. Je laisse à deviner le cri de joie que nous poussâmes en dégringolant les escaliers. Les yeux rouges et les joues livides, nous nous regardions en pleurant et en riant tout à la fois. Mais, attendez, nous n'avions pas vu le plus beau. -Hein! dis-je tout à coup aux petits Anglais, vous voyez bien que c'est notre religion qui est la vraie! -Pas tant que ça, répondit l'aîné des Houghton; rien ne prouve que ma prière n'aurait pas été aussi efficace que la tienne. -Veux-tu en faire l'épreuve? -Volontiers. -Eh bien, recommençons. -Comment cela? |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:18 | |
| -Enfermons-nous de nouveau. La proposition n'avait rien de rassurant: on protesta; je triomphais. -Eh bien, dis je, si vous ne voulez pas, c'est que vous n'avez pas confiance. L'orgueil piqué fut plus fort que la peur. -C'est bien, dit Bonnie, allons-y. Nous remontâmes dans le magasin aux provisions, mais sans songer à la cassonade cette fois, je vous en réponds. Enfermés de nouveau, nous essayâmes chacun son tour d'ouvrir la porte. J'y allai pour ma part je l'affirme sur l'honneur! aussi consciencieusement que la première fois. Impossible! La serrure était plus mêlée que jamais. Les figures s'allongeaient à vue d'oeil. -Allons, fais ta prière! dis-je à Bonnie. Bonnie fit sa prière dans une embrasure, et revint à la porte. Il travailla de bon coeur, car il était hors d'haleine et tout épuisé quand il s'avoua vaincu. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV Mer 12 Juin - 9:18 | |
| -À ton tour, Dozzie! Mais Dozzie avait perdu la tête, et sanglotait comme un sourd au-dessus du fatal baril de cassonade. Le temps s'envolait vite, on entendait des grelots dans le lointain, il fallait agir, et le devoir m'incombait de sauver la situation. J'essayai de nouveau de faire fonctionner la serrure car j'avais autant besoin de me convaincre moi- même que de convaincre les autres et tous mes efforts étant vains, je me mis en prière. En me relevant, je marchai droit à la porte, et l'ouvris sans le moindre effort, juste au moment où la voiture de M. Houghton entrait dans la cour. Voilà! J'ai raconté cette histoire d'enfant en honnête homme, avec la sincérité d'un vieillard, me croira qui voudra.
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| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XIV | |
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