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| Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII | |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:08 | |
| Rappel du premier message :
Chapitre XII
L'intéressante personnalité de Gamache à laquelle je devais bien quelque attention particulière m'a entraîné sur la voie de l'anticipation; qu'on me permette de revenir un peu sur mes pas, c'est-à-dire vers ce que je pourrais appeler le menu fretin des premiers guides que m'a fournis le hasard des temps dans la carrière des Lettres. Bien que tous ces remarquables spécimens du professorat s'entendissent parfaitement sur l'importance et la haute suprématie du martinet dans le domaine des études, il n'en était pas de même sur tout le reste. Il y avait certains points sur lesquels se manifestaient chez eux des divergences d'opinions absolument radicales. La question des plumes, par exemple. Ah! voilà une question sur laquelle l'entente amicale me parut longtemps impossible. |
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Auteur | Message |
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Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:10 | |
| Et vous verrez que ces absurdités-là se répandront! De nos jours, c'est à qui fera litière des coutumes les mieux établies et les plus respectables. Et ainsi de suite. La lutte contre les enveloppes et les crayons de mine ne fut pas aussi sérieuse que la lutte contre les plumes d'acier, mais bien des vieux et des vieilles de mon temps ne voulurent jamais renoncer à la petite réputation qu'ils s'étaient acquise dans l'art difficile de bien plier et cacheter une lettre. Le fait est que quelques-uns en étaient arrivés à faire des merveilles sous ce rapport. Les cocottes les plus compliquées n'étaient rien à côté des chefs-d'oeuvre que leur imagination pouvait tirer d'une feuille de papier à lettre artistement manipulée. On conçoit qu'une supériorité si laborieusement acquise fût précieuse à leur petit orgueil. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:10 | |
| Parmi les plus chauds partisans de la plume d'oie, du crayon de plomb, et de l'ancienne manière de plier et cacheter les lettres, nul n'était plus zélé qu'un de nos maîtres - un vieux du nom de Gagné dont on me permettra de dire un mot. C'était un vrai type, pas dans le genre de Gamache oh non! mais un type original tout de même. Comme nous étions trop éloignés de l'église pour la fréquenter assidûment, nous avions assez à faire que de nous y rendre les dimanches et fêtes pour entendre la messe obligatoire et les vêpres. Les autres cérémonies ou menues pratiques du culte auraient été lettres mortes pour nous, sans l'intervention du père Gagné. Il avait fait de son école une succursale de l'église. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:10 | |
| Il y avait élevé un autel, qu'il surmontait d'une image quelconque d'un cadre, comme il disait dont le sujet variait suivant les circonstances. Cette image, avec une nappe en toile blanche, deux flambeaux et une clochette, constituaient tout l'appareil ritualistique de ce temple improvisé, dont cela va sans dire le père Gagné était tout à la fois le prêtre officiant, le maître-chantre et le bedeau. C'est nous qui étions les enfants de choeur, et je vous assure que nous prenions notre rôle au sérieux. Là, suivant la saison, nous avions les prières du mois de Marie, la neuvaine à saint François-Xavier un bon saint bien délaissé aujourd'hui, mais bien populaire alors la neuvaine à saint Roch, un autre excellent saint, qui avait la réputation de chasser le choléra, fléau qui nous faisait trembler tous les étés. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:10 | |
| Le père Gagné présidait à tout cela, disant le chapelet, récitant des litanies, lisant de longues méditations, et chantant des cantiques. Il étendait aussi l'exercice de son quasi- ministère à l'extérieur. Quand un malade allait être administré, quand il y avait un mort à veiller, on voyait arriver le vieux, ses besicles sur le nez et son gros livre sous le bras; et, entouré de ses élèves tout fiers de lui faire escorte et de jouer un rôle dans la cérémonie, il pontifiait. Bref, le père Gagné ne disait pas la messe ni ne confessait, mais à part cela c'est lui qui desservait le canton. Il avait le droit de se faire pardonner bien des petites anicroches, comme on le voit. Avec cela qu'il n'était pas méchant; il négligeait un peu d'acquérir des fleurons pour sa couronne dans le ciel; c'est-à- dire qu'il ne se servait pas du martinet plus qu'une dizaine de fois par jour, et encore n'était-ce assez souvent que pour la forme. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:10 | |
| Aussi nous ne le détestions pas; tout au plus nous amusions-nous quelquefois à le taquiner en l'appelant Papineau un sobriquet qui lui était venu de je ne sais où ni comment, mais qui avait le privilège de le piquer au vif. Cela lui donnait l'occasion de réagir contre sa bonne nature en jouant du martinet de temps en temps, suivant les principes orthodoxes. Dame, il s'y croyait probablement obligé, comme les autres. Il faut sauver son âme, n'est-ce pas? Et puis il faut bien élever les enfants, si l'on ne veut pas qu'ils meurent sur l'échafaud. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:11 | |
| Il me prend fantaisie de vous raconter à ce sujet une petite scène assez drolatique. Notons d'abord que notre maison d'école avait autrefois servi de boulangerie. Elle était flanquée à l'extérieur d'un grand four, dont la porte-bouchoir en fonte munie d'un fort loquet et d'un ventilateur à coulisse s'ouvrait à l'intérieur, justement dans la pièce où se faisait la classe. La pelle et le fourgon étaient même encore là, soigneusement rangés sur deux patères en bois, de chaque côté de l'ouverture. Ce four servait quelquefois de lieu de pénitence pour les paresseux et les récalcitrants. Ce n'était certainement pas un lieu de récréation, car, de même que dans la fameuse cage de fer où Louis XI tint le cardinal La Balue enfermé durant dix ans, on ne pouvait ni s'y coucher, ni s'y asseoir, ni s'y tenir debout. Or nous avions au nombre de nos camarades, un nommé Joe Langlais, un bon garçon au demeurant, mais un loustic de la plus belle eau, tapageur, raisonneur, fumiste, agaçant comme cinq cent mille diablotins. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:11 | |
| Ce caractère fantasque lui a porté malheur, par parenthèse, car je me suis laissé dire que le malheureux avait été assassiné quelque part dans l'Ouest, où l'avait conduit son esprit d'aventures. Rien d'étonnant à ce qu'il eût souvent maille à partir avec les différents maîtres d'école qui, ainsi que je l'ai dit précédemment, se succédaient chez nous avec une régularité qui faisait honneur à leur esprit de suite, ou tout au moins à l'esprit de suite de ceux qui étaient chargés de les engager et de les expédier ailleurs à tour de rôle. Le père Gagné, malgré son caractère indulgent, ne faisait pas exception à la règle. Un jour, je ne sais trop pour quelle peccadille, Joe Langlais avait été mis à genoux dans un coin, en face de toute la classe, son alphabet à la main. Le maître se promenait de long en large, en faisant répéter le catéchisme aux petites filles. |
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| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:11 | |
| Tout à coup un éclat de rire général se fait entendre. Le vieux se retourne: seul, Joe Langlais, le dos hypocritement courbé et la tête penchée sur son livre, ne riait pas. Le père Gagné reprend sa promenade, et la scène se répète: nouvel éclat de rire, et Joe Langlais, toujours absorbé dans son étude, paraît de plus en plus étranger à l'hilarité universelle. Cette attitude parut suspecte au bonhomme, dont les sourcils se froncèrent d'une façon menaçante. Sans attendre l'éclat de rire, cette fois, en voyant tous les regards dirigés sur Joe Langlais, il fait une brusque volte-face, et aperçoit le gaillard tourné vers lui, les deux mains en position d'ébaucher un des pieds de nez les mieux réussis de son répertoire. L'atmosphère était grosse de tempête: l'orage éclata. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:11 | |
| Le père Gagné laissa là catéchisme et petites filles, cueillit son martinet d'une main, attrapa de l'autre le farceur par le collet, lui passa la tête entre ses deux genoux, et, dans cette position qui lui donnait tous les avantages stratégiques possibles, le voilà qui se met à administrer une sanglade numéro un sur une arrière-garde aussi proéminente que mal protégée. La partie n'était pas égale, et justifiait jusqu'à un certain point un recours à des manoeuvres plus ou moins traîtresses. Le battu, se sentant dans l'impossibilité de faire face de ce côté avec quelque chance de succès, eut la pensée de créer une diversion en attaquant à son tour d'un côté opposé. Tout à coup le père Gagné lâcha un cri terrible, en même temps qu'il lâchait son prisonnier, et se mettait à sauter à cloche-pied, la main sur un de ses mollets, et le museau crispé dans la plus patibulaire des grimaces qui ait jamais honoré la physionomie d'un mascaron. Joe Langlais, qui avait les dents acérées d'un chien-loup, venait de lui prendre une sanglante bouchée dans les chairs, à quelques pouces au- dessus de la cheville. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:11 | |
| Mais la victoire n'était pas encore décidée, comme on le pense bien. Le pauvre maître, tout boiteux, mais animé d'un ressentiment bien légitime, revient sur ses pas, ouvre la porte du four, saisit Joe Langlais par le fond de sa culotte, et le fourre comme un paquet de guenilles dans l'ouverture, qu'il referme soigneusement par derrière en laissant tomber le loquet; et, tout maugréant, tout essoufflé, il regagne sa place en traînant la patte. Mais à peine était-il installé sur son siège, qu'il bondit comme un chien piqué par un taon, au milieu d'un éclat de rire formidable. Une voix méchante, agressive, cruelle, remplie de mordacité vipérine, venait, dans le silence de la classe, de crier à tue-tête sur un ton de crécelle fêlée: -Hourrah pour Papineau! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII Mer 12 Juin - 9:11 | |
| En fermant la porte du four, le vieux avait oublié de fermer le ventilateur, et c'était Joe Langlais dont la vengeance lui lançait par là l'invective qui avait plus que toute autre le don d'exaspérer le pauvre maître. La scène fut homérique. Le vieux ne boitait plus. Il se précipite vers le four, saisit le fourgon d'une main fébrile et l'introduit violemment par le ventilateur, à la façon des zoulous maniant la zagaie. -Aïe! Aïe! cria Joe Langlais. Mais ne voilà-t-il pas le fourgon qui prend tout à coup une allure de va-et-vient régulière, et se met à scier avec acharnement dans la petite ouverture. Joe Langlais avait saisi l'instrument par l'autre bout, et fourgonnait de son côté en criant toujours: -Hourrah pour Papineau! Cela tournait au haut-comique; mais nous n'avions pas vu le plus beau. Hors d'haleine et se mangeant les sangs, le vieux Gagné lâche le fourgon, ouvre la gueule du four et crie: -Sors ici, toi! |
| | | | Louis-Honoré Fréchette (1839-1908) Mémoires intimes Chapitre XII | |
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