IV
Ô peuples fortunés! ô vous! dont le génie
Au monde spirituel découvrit jusqu'aux Dieux,
Qui brillez dans les temps comme l'astre des cieux,
L'esprit est immortel, et chaque oeuvre accomplie
Par sa divine essence est et sera toujours;
Dieu même n'en saurait interrompre le cours.
Ainsi Rome et la Grèce éternisant leur gloire,
À l'immortalité léguèrent leur mémoire.
L'Europe rajeunie, instruite à leurs leçons,
Poursuivit les travaux des Plines, des Platons;
Et l'homme remontant ainsi vers la nature,
Élève au créateur toujours la créature.
Mais pourquoi rappeler ce sujet dans mes chants?
La coupe des plaisirs effémine nos âmes;
Le salpêtre étouffé ne jette point de flammes:
Dans l'air se perdent mes accents.
Non, pour nous plus d'espoir, notre étoile s'efface,
Et nous disparaissons du monde inaperçus.
Je vois le temps venir, et de sa voix de glace
Dire, il était; mais il n'est plus.
Ma muse abandonnée à ces tristes pensées
Croyait déjà rempli pour nous l'arrêt du sort,
Et ses yeux parcourant ces fertiles vallées
Semblaient à chaque pas trouver un champ de mort.
Peuple, pas un seul nom n'a surgi de ta cendre;
Pas un, pour conserver tes souvenirs, tes chants,
*** Ni même pour nous apprendre ***
S'il existait depuis des siècles ou des ans.
Non! tout dort avec lui, langue, exploits, nom, histoire;
Ses sages, ses héros, ses bardes, sa mémoire,
Tout est enseveli dans ces riches vallons
Où l'on voit se courber, se dresser les moissons.
Rien n'atteste au passant même son existence;
S'il fut, l'oubli le sait et garde le silence.