PLUME DE POÉSIES
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 François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 3 SCENE 2

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François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 3 SCENE 2 Empty
MessageSujet: François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 3 SCENE 2   François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 3 SCENE 2 Icon_minitimeMar 23 Aoû 2011 - 0:35

ACTE 3 SCENE 2

Euphémie, Théotime.
on le voit venir de très-loin dans le détour, et
approcher avec tous les signes de l'inquiétude;
il avance et jette ses regards de tous côtés;
la scène est toujours faiblement éclairée.

Théotime.
Mes regards inquiets cherchent envain Constance!
Qui peut la dérober à mon impatience?
Il l'aperçoit sur les marches du tombeau, et court

À elle.

Que vois-je? En quel état!...

Euphémie, comme revenant d'un profond
accablement.
Ah! Sinval, est-ce vous?

Théotime vivement.
C'est moi, c'est ton amant, c'est ton fidèle époux,
Qui ferme pour jamais la source de tes larmes;
Pourquoi ce trouble affreux, dans ces momens de charmes?

Euphémie regardant Sinval avec attendrissement.
Pourquoi, Sinval?

Théotime lui tendant la main.
Quittons un séjour détesté;
Tout est prêt.

Euphémie avec trouble.
Tout est prêt!

Théotime vivement.
Reprends ta liberté;
Lève-toi.

Il la relève.
suis mes pas; des amis nous attendent;

Lui prenant la main.

Songe que mon bonheur, que mes jours en dépendent;
Ne tardons point...

Euphémie, appuyée sur le tombeau, et regardant
Sinval avec des larmes.

Sinval...

Théotime.
Tu pleures! Tu gémis!
Tu repousses ma main? Ne m'as-tu point promis?

Euphémie.
J'ai promis de mourir.

Théotime.
Maîtresse de mon ame,
Tu ne brûlerois plus de ce feux qui m'enflamme!
Tu ne m'aimerois plus!

Euphémie.
Ah! Cruel! Ah! Sinval!
Cher amant...

Le regardant avec un attendrissement marqué.

un dieu seul peut être ton rival.

Théotime.
Que veux-tu dire? Hé quoi! N'es-tu pas mon épouse?

Euphémie a quitté le tombeau.
Je suis celle d'un dieu dont la grandeur jalouse
Me défend pour jamais d'être à d'autre qu'à lui.

Théotime au désespoir.
Par quelle main ce dieu me foudroie aujourd'hui!
De quoi me parles-tu? De noeuds que l'artifice,
Que la trahison même unie à l'injustice,
Que l'erreur t'a contrainte à serrer malgré toi.
Avant que d'être à Dieu, tu m'as donné ta foi;
Ose me démentir.

Euphémie.
Il est vrai, l'hymenée
À ton sort promettoit d'unir ma destinée;
Mais, réponds; si Constance, entraînée aux autels,
D'un autre avoit reçu les sermens solemnels;
Si l'on m'avoit forcée à devenir sa femme,
À lui porter ma main, que ton amour réclame;
Si le devoir enfin m'eût soumise à ses lois,
Pour rompre cet hymen, parle; aurois-tu des droits?

Théotime avec fureur.

Les mieux fondés, les droits d'une prompte vengeance.
Tout devient légitime à l'amour qu'on offense;
De cent coups de poignard, et jusques dans ton coeur,
Ma rage auroit percé celui du ravisseur...
Mais ce dieu que j'adore, et que pour mon supplice,
De ses crimes la terre a rendu le complice,
Ce dieu que le mensonge et la crédulité
Font servir de prétexte à leur férocité,
Au gré de leur caprice indulgent ou sévère,
Il voit du haut des cieux, il voit avec colère,
Tous ces humains grossiers lui prêter leurs erreurs,
Consacrer de son nom leurs stupides fureurs;
Non, jamais l'éternel n'a forgé ces entraves,
Ce joug sous qui s'abaisse un vil peuple d'esclaves;
De ces fers odieux les regards sont blessés;
Un volontaire hommage, et non des voeux forcés,
Voilà le seul tribut que la raison lui donne,
Voilà le pur encens, qui s'élève à son trône.

Rapidement.

Ingrate, c'étoit lui, ce dieu si bienfaisant,
Qui m'amenoit vers toi dans cet heureux instant,
Qui brisoit tes liens, qui terminant nos peines,
En des noeuds enchanteurs changeoit d'horribles chaînes,
Me nommoit ton époux, m'appeloit dans tes bras.
Ordonnoit notre hymen tu ne m'écoutes pas;
Tes yeux couverts de pleurs...

Avec tendresse.

ô maîtresse adorée,

Il lui prend la main.

Chère épouse, suis-moi mon ame est déchirée;
Ne me résiste plus; n'attendons point le jour;
Jette-toi dans mon sein; fuyons de ce séjour
Fuyons...

Euphémie le quitte, va s'appuyer à la
Colonne funéraire qui est sur le devant du
Théâtre; Théotime l'y suit.

hé quoi! Toujours à mes desirs rebelle...

Il revient au milieu de la scène.

Tu ne m'aimas jamais! Il falloit donc, cruelle,
Il falloit me montrer, sans nul déguisement,
Ce coeur, qui peut jouir de mon affreux tourment;
Il falloit t'opposer au penchant qui m'entraîne,
Combattre mon projet, satisfaire ta haine,
T'applaudir de ces noeuds, que l'enfer a tissus!
Oser me dire enfin que tu ne m'aimois plus,
Que tu me laisserois une vie odieuse,
Que tu voulois ma mort la mort la plus affreuse...

Avec attendrissement.

Ah! Constance, et ces coups...

En pleurant.

ils partent tous de toi!

Euphémie, revenant à Sinval avec précipitation.

Ecoute, cher amant Sinval, écoutez-moi;
N'attends pas que jamais Constance dissimule,
Cédant à ma tendresse, à ce feu qui me brûle,
Oui, j'avois tout promis; je ne le cache pas;
Oui, je t'immolois tout; je volois sur tes pas;
Insensible aux dangers, aux menaces de l'onde,
Je te suivois par-tout, jusqu'aux bornes du monde;
Je portois mon amour aux plus sombres déserts;
Avec toi partagés, ils me devenoient chers;
Je te sacrifiois mon repos, ma patrie,
Mes sermens, mon devoir, ma déplorable vie,
Mon honneur; mille fois préférable à mes jours,
Tout, en un mot ce Dieu que j'offense toujours;
Pour combler mon supplice, en ce moment encore
Plus que jamais, Sinval, je t'aime, je t'adore;
Je le dis à ces lieux par la mort habités,
À ce ciel dont j'entends les foudres irrités...
Prête à tomber enfin sur les bords de l'abîme,
Mes yeux se sont ouverts, et j'ai vu tout mon crime.
Tu t'élèves envain contre ces noeuds sacrés,
Par la religion, par la loi consacrés;

Avec noblesse.

Sois mon juge, Sinval; j'en appelle à toi-même;
Prononce; ose oublier que mon arbitre m'aime;
Ose écarter l'amour de tes sens prévenus;
Consulte ta raison, et dix ans de vertus,
Dix ans, qu'un jour peut-être, un instant va détruire;
L'équité te conduit; la probité t'inspire;
Parle; j'ai contracté, Sinval, avec un dieu;
Un dieu même a reçu ma parole, et mon voeu,
Sinval; et tu voudrois que malgré ma promesse,
Malgré tous mes sermens, que je démens sans cesse,
Ma lâche trahison m'arrachant à l'autel,
Rompît ouvertement ce contrat solemnel!
Elle fait quelques pas, en regardant le ciel.
Le crime est digne assez, grand dieu, de ta colère,
D'apporter dans ton temple un hommage adultère,
De nourrir dans mon sein des parjures secrets,
Sans ajouter encor l'audace à mes forfaits;
Non, ne t'en flatte pas, Sinval; ma perfidie
Respectera du moins la chaîne qui me lie;
Je saurai m'y soumettre, attendant que le ciel
Etouffe dans mon coeur un feu trop criminel,
Y dompte ton image, ou que la mort plus prompte
Vienne dans mon cercueil ensevelir ma honte.
Si Constance t'est chère, ose donc l'imiter;
Renferme ton ardeur; cherche à te surmonter;
À nos propres regards méritons notre estime;
Rappelle ta vertu; montre-moi Théotime;
Ce nom t'instruit, Sinval, de ton devoir, du mien;
Tous deux ils t'ont parlé. Je n'écoute plus rien;
Je dois, sans doute, à Dieu cette force suprême;
Je pourrois retomber sauve-moi de moi-même.

Pendant tout ce couplet, Théotime donne divers
signes d'agitation.

Ah! Sinval, qu'ai-je dit? Je connois mon amour.

Elle s'avance vers le souterrain.

Va séparons-nous, fuis par ce même détour
Qui t'a vu pour ma honte en ces lieux t'introduire...
Laisse-moi sur mon coeur conserver cet empire...
Adieu...

Théotime montrant ce souterrain, et parcourant le
théâtre avec une sombre fureur.

Ce n'est pas là, barbare, mon chemin.

Il revient sur ses pas.

Euphémie.
Que dis-tu? Réponds-moi quel seroit ton dessein?

Il parcourt le devant de la scène, et Euphémie
le suit.

Tes regards enflammés! Eh! Que prétends-tu faire?

Il va du côté de l'escalier; elle court à lui.

Ah! Sinval! Où vas-tu?...

Théotime se tournant.
Je vais te satisfaire.

Euphémie.
Quoi?...

Théotime, avec impétuosité.
C'est peu que Sinval expire de tes coups;
Le trépas te paroît un supplice trop doux;
Ta cruauté demande un plus grand sacrifice;
Tu veux que, sans mourir, sur moi je réunisse,
Mes maux les plus affreux, tous les fléaux divers,
Une éternelle mort, les tourmens des enfers;
Tu connois les transports de ces ames sacrées,
Et d'encens et de fiel à la fois enivrées...
Je vais m'abandonner à toutes leurs fureurs,
Sécher dans des cachots inondés de mes pleurs,
Chaque jour y maudire une horrible existence...
Puissent mes cris perçans jusqu'à toi retentir,
Te troubler, t'arracher un trop vain repentir!
Oui, pour les épuiser ces châtimens terribles,
Je vais porter mon coeur, à ces coeurs inflexibles,
Par un aveu sincère allumer leur courroux,
Contre moi les armer au nom d'un dieu jaloux;
Le cloître, dont le zèle exige des victimes,
Le cloître va savoir mes erreurs, tous mes crimes;
Il saura que j'ai pris pour la religion,
Pour de saints mouvemens, mes feux, ma passion,
Que, lorsqu'à Dieu j'ai cru rendre un fidèle hommage,
C'étoit toi, c'étoit toi dont j'adorois l'image;
Que Sinval de tes fers a voulu t'affranchir;
Qu'à tes pieds gémissant, il n'a pu te fléchir;
Qu'une ame sans pitié, barbare, est ton portage;
Que je meurs de douleur, de désespoir, de rage;
Et j'y cours...

Il va du côté de l'escalier.

Euphémie, voulant le retenir.
Ah! Sinval, arrête...

Théotime marchant toujours.
C'est en vain.

Euphémie le suivant.
Arrête...

Théotime.
Laisse-moi...

Euphémie.
Tu me perces le sein!
Eh! Cruel, est-ce à toi d'augmenter mes alarmes;
Elle se jette avec précipitation à ses pieds.
Vois Constance à tes pieds, les baigner de ses larmes;
Demeure...

Théotime la relevant.
De tes pleurs tu sçais trop le pouvoir.

Il la regarde avec tendresse.

Constance j'obéis...

Il fait quelques pas en revenant sur la scène.

Mais remplis mon espoir...

Il se jette à ses pieds.

C'est moi dont la douleur, c'est moi dont la tendresse
Embrasse tes genoux, te conjure, te presse...
Épouse de mon coeur, ne me refuse pas;
Il se relève avec vivacité, la serre dans ses bras.
Viens, sortons de ces lieux, précipitons nos pas.

Euphémie en pleurant.
Que veux-tu?

Théotime.
Mon bonheur.

Euphémie.
Ma mort.

Théotime.
Ah! Dis la mienne;
Si tu tardes encor...

Il entraîne Euphémie vers le détour.

Euphémie.
Je me soutiens à peine.
Pour mes sens désolés, quels combats! Quel tourment!

À Théotime.
Ô ma religion je me meurs un moment;
Sinval, écoute-moi:

Elle s'arrête.

Sais-tu que la misère,
Le chagrin dans ces murs ont amené ma mère?

Théotime avec surprise et indignation.
Ta mère! Ici! Quel nom! L'auteur de tous nos maux?

Euphémie avec attendrissement.
Sinval! Elle a repris des sentimens nouveaux;
Sinval! Elle est ma mère hélas! Par notre fuite,
Au malheur, au besoin elle se voit réduite.

Théotime s'est arrêté avec Euphémie.

Tu parles de parens à ton amant à moi,
Qui n'adorai jamais, n'idolâtrai que toi!
Ah! Tu n'as pas mon coeur; la mère de Constance
Ne doit point éprouver l'horreur de l'indigence.
Malgré les bords lointains qui nous sépareront,
Sur son adversité nos secours s'étendront.
Et...

Il entraîne une seconde fois Euphémie.

partons. L'heure fuit; sous ces voûtes funèbres
J'aperçois s'éclaircir, et tomber les ténèbres.

Euphémie.
Trahir non je ne puis...

Elle tombe sur ses genoux, les mains levées vers
Théotime, comme pour le prier.

Théotime.
Ne crois plus me toucher;
De ces lieux, malgré toi, je saurai t'arracher...

Il la soulève avec violence et marche vers le
Souterrain.

Euphémie éplorée.
Que fais-tu, malheureux? Sinval mon dieu! J'expire!...

Son voile est en désordre.

Sous tes coupables mains, mon voile se déchire!...
Arrête ciel! ô ciel! La terre m'engloutit!

Une des tombes qui sont sur la scène, s'ouvre sous
les pas d'Euphémie; la pierre se brise, et roule
avec bruit. Euphémie est entraînée dans la chûte,
et se trouve à moitié engloutie dans ce sépulchre.
la comtesse d'Orcé paraît sur l'escalier, un
flambeau à la main, et conduite par Mélanie.

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François-Thomas-Marie De Baculard D'Arnaud(1718-1805) ACTE 3 SCENE 2
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