ACTE 3 SCENE 3
Euphémie, Théotime, Mélanie, la comtesse d'Orcé,
Cécile.
Mélanie apercevant Sinval.
Théotime!
La Comtesse D'Orcé laissant échapper le
Flambeau de ses mains, et tombant dans les bras de
Mélanie.
Sinval!
Cécile, ouvrant une porte qui donne dans le
Caveau, recule d'étonnement. Euphémie et
Théotime sont frappés de terreur, et cet état
Les empêche d'apercevoir les autres personnages.
Euphémie à peine revenue de son accablement.
Enfin, Dieu me punit;
Je tombe sous son bras; c'est ici qu'il m'appelle;
C'est ici qu'il détruit ma substance mortelle,
Qu'il a marqué le terme à mes égaremens,
Que vont rouler pour moi des siècles de tourmens,
L'éternité terrible à mes regards offerte;
Ici, j'attends la mort et ma tombe est ouverte.
Théotime veut la relever; elle le repousse avec
Indignation.
Homme trop criminel, va, fuis loin de ces lieux,
Et puisse mon trépas te dessiller les yeux!
N'as-tu point dans cette ame, à mon repos fatale,
Entendu retentir la pierre sépulchrale?
N'as-tu point vu ce dieu la briser sous mes pas?
Lui-même est accouru m'arracher de tes bras;
Dans ce tombeau, lui-même il m'a précipitée;
Aux pieds de sa justice, il m'a déjà citée;
Il t'y traîne avec moi; ne crois pas échapper
À son glaive il menace, il s'apprête à frapper;
Son flambeau te poursuit à travers ces ténèbres;
Lis ton arrêt écrit sur ces marbres funèbres...
La foudre approche, éclate elle fond sur nous deux;
L'enfer s'ouvre ô Sinval, quels fantômes hideux!
Des spectres agités errent dans ces lieux sombres;
Sous le même linceul, je vois un peuple d'ombres;
Tous les morts, réunis dans ces murs pleins d'effroi,
Du fond de leurs tombeaux s'élèvent contre moi;
Ils m'entraînent! Je vais auprès de vous m'étendre,
À vos tristes débris mêler ma froide cendre;
Par vos accens plaintifs cessez de m'accuser.
La colère du ciel ne sauroit s'appaiser!
Ô maître des humains, qu'ont lassé mes offenses,
Sur moi seule répands la coupe des vengeances;
Avec attendrissement.
De Sinval, ô mon dieu, détourne ton courroux,
Et qu'un remords heureux le dérobe à tes coups!
En se tournant, elle aperçoit la comtesse.
Ah! Ma mère, c'est vous que ma faiblesse implore.
Oui, vous voyez Sinval, pour qui je brûle encore,
Ma mère; en ce moment, j'allois j'allois vous fuir,
Infidèle à mes voeux, les rompre, les trahir...
De cet asyle saint je marchois vers l'abîme,
Et j'engageois Sinval à partager mon crime,
Je l'entraînois un dieu, trop lent à se venger,
Dans cette tombe enfin est venu me plonger...
J'y veux mourir.
Elle se jette sur la tombe et l'embrasse tendrement.
La Comtesse D'Orcé.
ô ciel!
Théotime à la comtesse.
Vous voyez votre ouvrage!
Tous les personnages restent pendant quelques tems
dans un silence profond.
Euphémie se relevant avec fureur, et jetant les
yeux sur Théotime.
Je te revois encor! Que veux-tu davantage?
Le ciel frappera-t-il sans ébranler ton coeur?
Cruel, n'est-il pas tems que ce ciel soit vainqueur?
Criminels dévoués au terrible anathème,
Combattrons-nous toujours contre ce dieu suprême?
Attendrons-nous l'instant où rassemblant ses coups,
Son tonnerre, qui gronde, ait éclatté sur nous,
Qu'il nous ait engloutis, pour venger ses injures,
Dans une éternité de feux, et de tortures?
Du sort qu'il nous prépare, il vient de m'avertir;
Sinval, cède à ma voix, au cri du repentir,
À la religion, à Constance, à toi-même;
Pour la dernière fois je te dis que je t'aime,
Que je dois, que je veux dompter ces mouvemens...
Que je veux étouffer les moindres sentimens.
Si l'amour qu'ai-je dit? Si la pitié t'inspire,
Si mes larmes encore ont sur toi quelque empire,
Théotime s'attendrit par degrés.
Laisse-moi retourner aux pieds de nos autels,
Y porter mes remords, mes tourmens éternels;
Laisse-moi m'immoler à ce dieu que j'offense...
Je vois couler tes pleurs; ils prennent ma défense,
Te parlent pour ce dieu, qui te r'ouvre les bras,
Qui rentre dans ton sein ne le repousse pas,
Sinval, cours à ses pieds déposer nos larmes;
Sinval le repentir pour Dieu même a des charmes;
Nos maux l'attendriront; il se désarmera;
Un pas vers lui de plus, il nous pardonnera.
Théotime en pleurant amèrement, et après une
longue pause.
Il l'emporte, ce dieu; sa grace est dans ta bouche;
Je cède à son pouvoir; c'est par toi qu'il me touche;
Tu me rends aux autels, à mes devoirs, à moi,
À dix ans de vertus que je perdois sans toi;
Mon coeur envain s'élève et t'oppose un obstacle;
Tes larmes sur ce coeur vont produire un miracle.
Eh bien! Ce mot affreux, le puis-je prononcer?
Je vais à mon amour Constance renoncer,
Oui te quitter te fuir tout ce que j'adore,
Finir loin de ta vue un destin que j'abhorre,
T'arracher, te bannir de mes sens éperdus...
Ô ciel! En est-ce assez? Que te faut-il de plus?
Euphémie.
Euphémie, ô mon dieu, retrouve Théotime?
Théotime.
Ah! Jamais la vertu ne fut plus près du crime.
Mon coeur l'éprouve trop; c'est peu que de mourir;
Connois, sens tous les maux que l'homme peut souffrir;
Vois l'abîme effroyable où je me précipite;
Je m'éloigne je pars Constance, je te quitte...
Je pars je t'obéis bien plus encor qu'à Dieu;
Constance tu reçois mon éternel adieu,
Mon ame, de regrets, de douleurs consumée,
Pour toujours! Quand jamais tu ne fus plus aimée.
Il se fait violence et sort précipitamment.
Euphémie le suivant des yeux jusqu'à ce qu'elle
Ne l'aperçoive plus.
Je n'ai plus qu'à mourir.
Elle tombe les bras étendus sur une des pierres
Sépulchrales.