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 Victor HUGO (1802-1885) Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts

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Victor HUGO (1802-1885) Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts  Empty
MessageSujet: Victor HUGO (1802-1885) Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts    Victor HUGO (1802-1885) Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts  Icon_minitimeMar 20 Sep - 14:16

Où sont-ils ? Sur les quais, dans les cours, sous les ponts ;
Dans l'égout, dont Maupas fait lever les tampons,
Dans la fosse commune affreusement accrue,
Sur le trottoir, au coin des portes, dans la rue,
Pêle-mêle entassés, partout ; dans les fourgons
Que vers la nuit tombante escortent les dragons,
Convoi hideux qui vient du Champ-de-Mars, et passe,
Et dont Paris tremblant s'entretient à voix basse.
Ô vieux mont des martyrs, hélas ! garde ton nom !
Les morts sabrés, hachés, broyés par le canon,

Dans ce champ que la tombe emplit de son mystère,
Étaient ensevelis la tête hors de terre.
Cet homme les avait lui-même ainsi placés,
Et n'avait pas eu peur de tous ces fronts glacés.
Ils étaient là, sanglants, froids, la bouche entrouverte,
La face vers le ciel, blêmes dans l'herbe verte,
Effroyables à voir dans leur tranquillité,
Eventrés, balafrés, le visage fouetté
Par la ronce qui tremble au vent du crépuscule,
Tous, l'homme du faubourg qui jamais ne recule.
Le riche à la main blanche et le pauvre au bras fort,
La mère qui semblait montrer son enfant mort,
Cheveux blancs, tête blonde, au milieu des squelettes,
La belle jeune fille aux lèvres violettes,
Côte à côte rangés dans l'ombre au pied des ifs,
Livides, stupéfaits, immobiles, pensifs,
Spectres du même crime et des mêmes désastres,
De leur œil fixe et vide ils regardaient les astres.
Dès l'aube, on s'en venait chercher dans ce gazon
L'absent qui n'était pas rentré dans la maison ;
Le peuple contemplait ces têtes effarées ;
La nuit, qui de décembre abrège les soirées,
Pudique, les couvrait du moins de son linceul.
Le soir, le vieux gardien des tombes, resté seul,
Hâtait le pas parmi les pierres sépulcrales,
Frémissant d'entrevoir toutes ces faces pâles ;
Et, tandis qu'on pleurait dans les maisons en deuil,
L'âpre bise soufflait sur ces fronts sans cercueil,
L'ombre froide emplissait l'enclos aux murs funèbres
Ô morts, que disiez-vous à Dieu dans ces ténèbres ?

On eût dit en voyant ces morts mystérieux
Le cou hors de la terre et le regard aux cieux,
Que dans le cimetière où le cyprès frissonne,
Entendant le clairon du jugement qui sonne,
Tous ces assassinés s'éveillaient brusquement,
Qu'ils voyaient, Bonaparte, au seuil du firmament,
Amener devant Dieu ton âme horrible et fausse,
Et que, pour témoigner, ils sortaient de leur fosse.
Montmartre! enclos fatal ! quand vient le soir obscur
Aujourd'hui le passant évite encore ce mur.
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