AMOURETTES A MADAMOISELLE M. C.
Ode.
Sus amour, d' un docte traict,
Trace au vif le beau pourtraict
De Marthe object de mes larmes,
Mais, pein la moy mon vainqueur
Aussi belle dans ces carmes
Que tu l' as peinte en mon coeur.
D' un pinceau qui n' est commun
Frisette luy son poil brun,
Pein luy mainte veine noire
Dessus son col grasselet,
Puis enfle son sein d' yvoire
En deux petits monts de laict.
Sur ces deux tertres de lys
Pein deux boutons frais-cueillis
Dont la châsse à demy s' ouvre,
Que ses sous-ris soient charmants:
Riant, sa lévre découvre,
Deux rangs de fins diamants.
Borde (mignon) richement
D' un incarnat passement,
Sa belle bouche de basme,
Pein de fin azur son oeil,
Et qu' au beau jour de sa flame
S' esbloüisse le soleil.
Pein luy (petit foleton)
Une fossette au menton,
Et sur sa jouë arrondie:
Où tu puisse brave archer
Quand ta mere te chatie
Secrettement te cacher.
Mais pour peindre les beautez
Et tant de divinitez
Que son habit nous dérobe,
Cache moy furtivement,
Dessous les plis de sa robe
Une heure tant seulement.
Aussi bien tu gastes tout,
Tu ne peux venir à bout,
D' un si excellent ouvrage,
Puis c' est trop peu de ces vers,
Il faudroit que son image
Fut plus grand que l' univers.
Pres ce chef-d' oeuvre du ciel
Le sucre n' est que du fiel,
L' or n' est que paille de seigle,
Si flamboyant est son oeil
Que la prunelle de l' aigle
Ne peut souffrir ce soleil.
Venus luy donne ses yeux,
Berecinthe ses cheveux,
Leur sein les belles Charites,
Son front la mere des mois,
Et pour croistre ses merites
Pithon luy donne sa voix.
Elle n' a donc rien d' humain,
De neige est sa blanche main,
Sa parole est un oracle,
Son esprit est tout parfait,
Bref c' est le plus grand miracle
Que jamais nature ait fait.
Quand je contemple mortel
D' un vermeillon naturel
Rougir sa lévre bessonne,
Baisez-là dis-je à mes yeux:
Car bouche à bouche personne,
Ne la baise que les dieux.
Quand nous l' oyons quelquefois
Au luth marier sa voix,
Ô delices nompareilles!
Nos esprits soudain ravis
Courent dedans nos oreilles
Jouïr d' un doux paradis.
Quand je voy de roses plein
Hausser et baisser son sein
En deux petits flots de marbre,
Mon coeur va et vient souvent
Comme la fueille d' un arbre
Qui sert de joüet au vent.
Tremblez donc foibles esprits,
N' approchez ceste Cypris,
Cachez le traict qui vous blesse,
Ne touchez point ses autels
Aussi bien telle déesse
N' appartient qu' aux immortels.
Vous l' a pouvez adorer,
Mais gardez de souspirer
Tourmentez d' amour pour elle,
Souvenez-vous la voyant
Du feu qui brusla Semelle
Au sein du dieu foudroyant.
Que ce feu n' a t' il bruslé
Ce mary dissimulé
Qui oza tant entreprendre?
Pour quoy ce capricieux
Ne fut-il reduit en cendre
Par le foudre de tes yeux?
Que faut-il à ce jaloux?
Que ne va t' il en courroux
Au ciel faire aux dieux la guerre?
D' où peut sa peur proceder
Puis qu' il n' est rien sur la terre
Digne de te posseder?
Qu' il chasse donc son esmoy,
Seulement craigne avec moy
Que Jupiter abandonne
Les cieux au bruit de ton nom,
Et qu' amoureux il te donne
Le sceptre de sa Junon.
L' ingrat ne meritoit pas
La douceur de tes appas:
N' y voir de ses yeux prophanes
Tant de graces et de dons?
Ne sçait-on pas bien qu' aux asnes
Il ne faut que des chardons?
Mais tant divine sois-tu,
J' offre aux pieds de ta vertu
Mes voeux, mes vers, et ma vie,
Presens assez precieux:
Car c' est par la poësie
Que les hommes sont faicts dieux.
Je peux t' immortaliser
Et ton los eterniser,
Car quand la Parque cruelle
Te fera pasture aux vers:
Je te rendray immortelle
Dans le tableau de mes vers.