AMOURETTES STANCES
Belle dont les sourcis cambrez à demy tour
Servent d' un arc d' ebeine à l' enfant de Cyprine
Permettez qu' en vos yeux, s' envole mon amour,
Toute chose de soy tend à son origine.
Je ne peux m' esloigner du ciel de vos beautez
Que dans la sombre nuict du desespoir je n' entre,
Je suis un corps sans ame, un flambeau sans clartez,
Un poisson hors de l' eau, un feu hors de son centre.
Amour est l' aliment des plus nobles esprits,
Ce petit dieu n' en veut qu' aux cervelles d' élite,
Qui voit une beauté, et n' en est point épris
C' est manque de courage, ou faute de merite.
Que ne peuvent les traicts, d' un bel oeil eslancez
Sur un coeur bien assis, d' amoureuse nature,
Ils peuvent, nous jettant au rang des trespassez
Brusler d' amour nos os dedans la sepulture.
Encor si ce tyran nous tenant soubs ses loix
Souspirer nos tourmens nous donnoit les licences,
Mais de peur d' escouter les plaintes de nos voix,
Il fait semblant d' oüir les voix de nos silences.
Nous l' esprouvons assez quand trop audacieux
Nous voulons contre luy gemir quelques complaintes,
Car il nous clost la bouche et nous ouvre les yeux,
Et permettant les pleurs, il nous deffend les plaintes.
Pensez-vous mal apris (nous dit-il en courroux)
Qu' un prolixe babil, triomphe de mes charmes?
Apprenez que les yeux, ont un parler plus doux,
Et que mes truchemens sont les müettes larmes.
Aussi, quand s' esteindront vos brasiers chaleureux
Et qu' aurez à la Parque offert vos hecatombes,
Vous serez couronnez de mirthes amoureux,
Et mille Cupidons se jouëront sur vos tombes.
Passons donc ceste vie, en peine et en soucy,
Et gardons nos plaisirs, pour les royaumes sombres,
Non: belles croyez-moy, commençons dés icy,
C' est un maigre plaisir, que d' embrasser les ombres.