AMOURETTES STANCES
Quand je veux dire en vers mon martyre, ma belle,
La muse qui me fait escorte nuict et jour,
Me dit, mon cher Auvray, ton service fidele
Merite estre chanté par la bouche d' amour.
Le malade qui peut sa douleur si bien dire
A beaucoup plus de peur qu' il n' a d' affliction,
Aussi l' amant qui peut exprimer son martyre
A plus de vanité qu' il n' a de passion.
Amour est un tiran qui s' emparant des ames
Les gourmande si fort, que les pauvres amans
Sont contraints de chanter au milieu de leurs flames,
Ou de garder silence au fort de leurs tourments.
Celuy qui soubz les loix d' une dame se lie
Se reduit en tutelle, et dés le premier jour
Renonçant à soy-mesme esclave rezilie
Toutes ses volontez entre les mains d' amour.
De la vient que celuy qui si doctement touche
La corde de son mal n' est en fin qu' un mocqueur:
Toutes ses passions ne luy passent la bouche,
Jamais le traict d' amour ne luy navra le coeur.
Car la langue ne peut tant faconde soit elle
Exprimer les concepts d' un coeur bien amoureux,
Le messager du coeur c' est le penser fidele
Que les sages amants font parler par les yeux.
L' oeil au choc de ses raiz fait jaillir une flame
Qui penetre au profond de nos affections
C' est le miroir du coeur, la fenestre de l' ame,
Et le vray truchement de nos intentions.
Aussi des vrays amans qui ont l' ame bien née
Aux misteres d' amour: le premier document,
C' est d' imposer silence à la langue effrenée,
Et de permettre aux yeux de parler seulement.
Voila comme ce dieu d' un parler angelique
Par l' oeil coule au penser ses desirs les plus doux,
Et comme il nous aprend ce langage mistique
Pour establir son regne en despit des jaloux.
De la vient que je suis une immobile souche
Quand je veux tesmoigner la grandeur de ma foy
Mais, mon oeil usurpant l' office de ma bouche
Mes amoureux regards parlent assez pour moy.