PLUME DE POÉSIES
Vous souhaitez réagir à ce message ? Créez un compte en quelques clics ou connectez-vous pour continuer.

PLUME DE POÉSIES

Forum de poésies et de partage. Poèmes et citations par noms,Thèmes et pays. Écrivez vos Poésies et nouvelles ici. Les amoureux de la poésie sont les bienvenus.
 
AccueilPORTAILS'enregistrerDernières imagesConnexion
 

 Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 9

Aller en bas 
AuteurMessage
Invité
Invité




Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 9 Empty
MessageSujet: Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 9   Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 9 Icon_minitimeMer 29 Fév - 23:13

EPISTRE 9



À M Le Marquis De Seignelay,
Secretaire d' etat.
Dangereux ennemi de tout mauvais flatteur,
Seignelay, c' est en vain qu' un ridicule auteur,
Prest à porter ton nom de l' èbre jusqu' au Gange,
Croit te prendre aux filets d' une sotte loüange.
Aussi-tost ton esprit prompt à se revolter,
S' échappe, et rompt le piége où l' on veut l' arrester.
Il n' en est pas ainsi de ces esprits frivoles,
Que tout flatteur endort au son de ses paroles,
Qui dans un vain sonnet placez au rang des dieux,
Se plaisent à fouler l' Olympe radieux,
Et fiers du haut étage où La Serre les loge,
Avalent sans dégoust le plus grossier éloge.
Tu ne te repais point d' encens à si bas prix.
Non, que tu sois pourtant de ces rudes esprits


Qui regimbent toûjours, quelque main qui les flate.
Tu souffres la loüange adroite et délicate,
Dont la trop forte odeur n' ébranle point les sens.
Mais un auteur novice à répandre l' encens,
Souvent à son heros, dans un bizarre ouvrage
Donne de l' encensoir au travers du visage:
Va loüer Monterey d' Oudenarde forcé,
Ou vante aux électeurs Turenne repoussé.
Tout éloge imposteur blesse une ame sincere.
Si pour faire sa cour à ton illustre pere,
Seignelay, quelque auteur d' un faux zele emporté,
Au lieu de peindre en luy la noble activité,
La solide vertu, la vaste intelligence,
Le zele pour son roy, l' ardeur, la vigilance,
La constante équité, l' amour pour les beaux arts,
Lui donnoit les vertus d' Alexandre ou de Mars;
Et, pouvant justement l' égaler à Mecene,
Le comparoit au fils de Pelée ou d' Alcmene,
Ses yeux d' un tel discours foiblement ébloüis,
Bien-tost dans ce tableau reconnoistroient Louis;
Et, glaçant d' un regard la muse et le poëte,
Imposeroient silence à sa verve indiscrete.


Un coeur noble est content de ce qu' il trouve en luy,
Et ne s' applaudit point des qualitez d' autruy.
Que me sert en effet, qu' un admirateur fade
Vante mon embonpoint, si je me sens malade,
Si dans cet instant mesme un feu seditieux
Fait boüillonner mon sang, et petiller mes yeux?
Rien n' est beau que le vrai. Le vrai seul est aimable.
Il doit regner par tout, et mesme dans la fable:
De toute fiction l' adroite fausseté
Ne tend qu' à faire aux yeux briller la verité.

Sçais-tu pourquoi mes vers sont lûs dans les provinces,
Sont recherchez du peuple, et reçeus chez les princes?
Ce n' est pas que leurs sons, agreables, nombreux,
Soient toûjours à l' oreille également heureux;
Qu' en plus d' un lieu le sens n' y gesne la mesure,
Et qu' un mot quelquefois n' y brave la césure.
Mais c' est qu' en eux le vrai du mensonge vainqueur
Par tout se montre aux yeux, et va saisir le coeur:
Que le bien et le mal y sont prisez au juste,
Que jamais un faquin n' y tinst un rang auguste,
Et que mon coeur toûjours conduisant mon esprit,
Ne dit rien aux lecteurs, qu' à soy-mesme il n' ait dit.
Ma pensée au grand jour par tout s' offre et s' expose,
Et mon vers, bien ou mal, dit toûjours quelque chose.
C' est par là quelquefois que ma rime surprend.
C' est là ce que n' ont point Jonas, ni Childebrand,
Ni tous ces vains amas de frivoles sornettes,
Montre, miroir d' amours, amitiez, amourettes,


Dont le titre souvent est l' unique soûtien,
Et qui parlant beaucoup ne disent jamais rien.
Mais peut-estre enyvré des vapeurs de ma muse,
Moi-mesme en ma faveur, Seignelay, je m' abuse.
Cessons de nous flatter. Il n' est esprit si droit
Qui ne soit imposteur, et faux par quelque endroit.
Sans cesse on prend le masque, et quittant la nature,
On craint de se montrer sous sa propre figure.
Par là le plus sincere assez souvent déplaist.
Rarement un esprit ose estre ce qu' il est.
Vois-tu cet importun que tout le monde évite
Cet homme à toûjours fuir qui jamais ne vous quitte?
Il n' est pas sans esprit: mais né triste et pesant,
Il veut estre folâtre, évaporé, plaisant:
Il s' est fait de sa joye une loy necessaire,
Et ne déplaist enfin que pour vouloir trop plaire.
La simplicité plaist sans étude et sans art.
Tout charme en un enfant, dont la langue sans fard,
À peine du filet encor débarrassée,
Sçait d' un air innocent bégayer sa pensée.
Le faux est toûjours fade, ennuyeux, languissant:
Mais la nature est vraye, et d' abord on la sent.
C' est elle seule en tout qu' on admire, et qu' on aime.


Un esprit né chagrin plaist par son chagrin mesme.
Chacun pris dans son air est agreable en soy.
Ce n' est que l' air d' autrui qui peut déplaire en moy.
Ce marquis estoit né doux, commode, agreable;
On vantoit en tous lieux son ignorance aimable:
Mais depuis quelques mois devenu grand docteur,
Il a pris un faux air, une sotte hauteur:
Il ne veut plus parler que de rime et de prose.
Des auteurs décriez il prend en main la cause.
Il rit du mauvais goust de tant d' hommes divers,
Et va voir l' opera, seulement pour les vers.
Voulant se redresser soi-mesme on s' estropie,
Et d' un original on fait une copie.
L' ignorance vaut mieux qu' un sçavoir affecté.
Rien n' est beau, je reviens, que par la verité,
C' est par elle qu' on plaît, et qu' on peut long-tems plaire.
L' esprit lasse aisément, si le coeur n' est sincere.
Envain par sa grimace, un bouffon odieux


À table nous fait rire, et divertit nos yeux.
Ses bons mots ont besoin de farine et de plâtre.
Prenez-le teste à teste, ostez-luy son theâtre,
Ce n' est plus qu' un coeur bas, un coquin tenebreux.
Son visage essuyé n' a plus rien que d' affreux.
J' aime un esprit aisé, qui se montre, qui s' ouvre,
Et qui plaist d' autant plus, que plus il se découvre.
Mais la seule vertu peut souffrir la clarté,
Le vice toûjours sombre aime l' obscurité:
Pour paroistre au grand jour il faut qu' il se déguise.
C' est luy qui de nos moeurs a banni la franchise.
Jadis l' homme vivoit au travail occupé,
Et ne trompant jamais, n' estoit jamais trompé.
On ne connoissoit point la ruse et l' imposture;
Le normand même alors ignoroit le parjure.
Aucun rheteur encore arrangeant le discours,
N' avoit d' un art menteur enseigné les détours.
Mais si-tost qu' aux humains, faciles à seduire,
L' abondance eut donné le loisir de se nuire,
La mollesse amena la fausse vanité.
Chacun chercha pour plaire un visage emprunté.
Pour ébloüir les yeux la fortune arrogante
Affecta d' étaler une pompe insolente.
L' or éclata par tout sur les riches habits.
On polit l' émeraude, on tailla le rubis,
Et la laine et la soye en cent façons nouvelles
Apprirent à quitter leurs couleurs naturelles.
La trop courte beauté monta sur des patins.
La coquette tendit ses laqs tous les matins,


Et mettant la céruse et le plâtre en usage,
Composa de sa main les fleurs de son visage.
L' ardeur de s' enrichir chassa la bonne foy.
Le courtisan n' eut plus de sentimens à soy.
Tout ne fut plus que fard, qu' erreur, que tromperie.
On vit par tout regner la basse flatterie.
Le parnasse sur tout fecond en imposteurs,
Diffama le papier par ses propos menteurs.
De là vint cet amas d' ouvrages mercenaires,
Stances, odes, sonnets, epistres liminaires,
Où toûjours le heros passe pour sans pareil,
Et fust-il louche et borgne, est reputé soleil.
Ne croi pas toutefois, sur ce discours bizarre,
Que d' un frivole encens malignement avare,
J' en veüille sans raison frustrer tout l' univers.
La loüange agreable est l' ame des beaux vers.
Mais je tiens, comme toy, qu' il faut qu' elle soit vraye,
Et que son tour adroit n' ait rien qui nous effraye.
Alors, comme j' ai dit, tu la sçais écouter,
Et sans crainte à tes yeux on pourroit t' exalter.
Mais sans t' aller chercher des vertus dans les nuës,
Il faudroit peindre en toy des veritez connuës:


Décrire ton esprit ami de la raison,
Ton ardeur pour ton roy puisée en ta maison,
À servir ses desseins ta vigilance heureuse,
Ta probité sincère, utile, officieuse.
Tel, qui hait à se voir peint en de faux portraits,
Sans chagrin voit tracer ses veritables traits.
Condé mesme, Condé, ce heros formidable,
Et non moins qu' aux flamans aux flatteurs redoutable,
Ne s' offenseroit pas, si quelque adroit pinceau
Traçoit de ses exploits le fidele tableau;
Et dans Seneffe en feu contemplant sa peinture,
Ne désavoûroit pas Malherbe ni Voiture.
Mais malheur au poète insipide, odieux,
Qui viendroit le glacer d' un éloge ennuyeux.
Il aurait beau crier: premier prince du monde,
Courage sans pareil, lumiere sans seconde,
Ses vers jettez d' abord, sans tourner le feüillet,
Iroient dans l' antichambre amuser Pacolet.
Revenir en haut Aller en bas
 
Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 9
Revenir en haut 
Page 1 sur 1
 Sujets similaires
-
» Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 5
» Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 6
» Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 7
» Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 8
» Nicolas Boileau-Despreaux (1636-1711) EPISTRE 10

Permission de ce forum:Vous ne pouvez pas répondre aux sujets dans ce forum
PLUME DE POÉSIES :: POÈTES & POÉSIES INTERNATIONALES :: POÈMES FRANCAIS-
Sauter vers: